La dure réalité des mamans en droit criminel
Elyse L. Perreault
2018-10-11 15:00:00
Des difficultés qui n’ont pas épargnées Me Marie-Pier Boulet, du cabinet BMD Avocats (Boulet-Marquis-Duchênes), qui accouchera en décembre prochain de son premier enfant.
Spécialisée dans des dossiers liés aux drogues, à l’alcool au volant, aux crimes contre la personne, à la négligence criminelle et aux délits sexuels, celle qui pratique le droit criminel depuis 2010 confie que son premier trimestre de grossesse a été particulièrement pénible.
Les tribunaux pas adaptés
«Pas facile de suivre la cadence de quatre ou cinq procès par semaine, raconte-t-elle à Droit-inc. On est souvent debout, l’attente est parfois longue... Le fonctionnement des tribunaux n’est pas adapté pour accommoder les femmes enceintes!»
La criminaliste a d’ailleurs souvent dû demander une pause au juge quant les maux de coeur étaient trop intenses question de courir jusqu’à la salle de bain!
Qui plus est, à la suite de la décision rendue dans l’Arrêt Jordan, lequel a fixé un délai maximal entre le dépôt d’une accusation et la tenue d’un procès, il n’est pas rare qu’un juge veuille poursuivre les audiences au-delà de 16h30 pour entendre le plus de causes possible, témoigne la juriste.
Fatiguée et voulant éviter de cumuler trop de stress qui pourrait nuire au bébé, Me Boulet dit être tenue de refuser d’étirer sa journée en dépit des bonnes intentions du juge.
«Il faut mettre nos limites et expliquer qu’il s’agit de notre réalité du moment», explique-t-elle.
Des juges compréhensifs
Jusqu’à maintenant, il semble que la plupart des juges se soient montrés compréhensifs et ouverts d’esprit face aux demandes d'accommodement des futures mamans.
«Ceux qui ont osé passer des commentaires ou rouler les yeux en lien avec certaines contraintes de femmes enceintes se sont fait parler dans le casque!» lance-t-elle en riant.
Au cours des dernières années, des déclarations de principe ont été signées par plusieurs magistrats dans différents districts judiciaires, indique-t-elle. Ces déclarations avaient pour but de sensibiliser les magistrats quant à l’importance de la conciliation travail-famille afin qu’ils sensibilisent à leur tour leurs confrères et consoeurs juges et avocats.
Toutefois, si du côté des juges, la tolérance semble être mise à l’avant-plan, lorsqu’on se tourne du côté de la Couronne, le portrait pourrait être différent…
Des procureurs un peu moins conciliants…
Sans vouloir mettre tout le monde dans le même panier, Me Boulet ne peut s’empêcher de révéler certains refus de la Couronne dont elle garde un goût amer.
Elle souligne une récente demande de remise adressée à la Couronne dans une cause qu’elle devait plaider à Val d’Or alors que son accouchement est prévu dans moins de deux mois.
«Les compagnies aériennes n’acceptent plus que je prenne place à bord d’un avion étant donné que ma date d’accouchement approche à grands pas, explique-t-elle. Et je ne vais certainement pas m’y rendre en voiture avec une grossesse aussi avancée!», poursuit-elle.
Bien qu’elle ait pris la peine de justifier les motifs de sa demande de remise à la procureure chargée du dossier, elle dit s’être méritée un refus accompagné d’une réponse la laissant perplexe: «Monsieur n’a qu’à changer d’avocate et Madame n’a qu’à perdre son client!»
Elle avait pourtant souligné à sa consœur le fait que son client était disposé à signer une renonciation au délai prescrit...
Bien que choquée par la situation, Me Boulet tient à souligner que le juge a rapidement penché en faveur de sa demande dans ce dossier. «Le juge semblait presque outré par le refus de la Couronne!, dit-elle. Il a accepté ma demande sans problème, soulignant que ma situation faisait clairement partie des circonstances exceptionnelles pouvant justifier un report.»
La criminaliste note toutefois qu’une grossesse avancée ne figure pas dans la liste des motifs de report, contrairement à un cas où un juge ou un témoin tombe malade, ce qu’elle considère insensé.
Autre refus de la Couronne dont elle nous parle, celui-ci prononcé en avril après réception d’une requête en délai:
«J’avais dû m’absenter pendant une semaine étant donné des complications dans ma grossesse, dit-elle. D’emblée, le juge avait accepté de reporter la comparution au mois de septembre.»
Mais Me Boulet explique qu’avant de connaître la décision du magistrat, la Couronne l’avait informée s’opposer à sa demande sous prétexte qu’il s’agissait d’un délai de défense.
«Comme si j’avais tenté de gagner du temps pour solidifier ma preuve!», lance-t-elle d’un ton un peu scandalisé...
Selon ses dires, le commentaire qui revenait sans cesse de la part de ses collègues à ce sujet était: «Ben voyons donc!»
Le mirage d’un long congé de maternité…
Sans hésitation, Me Boulet lance: «Je compte arrêter de travailler seulement trois mois et demi. D’abord parce que je ne veux pas devoir déléguer mes tâches à mes associés, ensuite pour ne pas perdre de clients.»
Pour elle, il est illusoire pour une avocate criminaliste qui travaille au privé d’envisager un congé de maternité de plus de six mois. Elle considère que c’est d’autant plus vrai pour celles qui travaillent en solo, sans associé.
«Si tu travailles seule à ton compte et que tu t’absentes pendant une année complète, tu risques de perdre ta clientèle qui va s’être trouvé un nouvel avocat durant ton absence.»
Une absence prolongée est coûteuse vu le bébé-bonus du Barreau et les allocations compensatoires très limitées, estime-t-elle.
Certains compromis sont difficiles à faire, selon elle, dont celui de retourner aussi vite au travail. Qui plus est, son conjoint pourra prendre à peine quelques jours de congé parental après l’accouchement, car ses responsabilités en tant que gestionnaire de chantiers de construction ne lui permettent pas de s’absenter plus longtemps. Le couple a donc opté pour l’embauche d’une nounou. Il faut ce qu’il faut!
Pour les futures mères qui n’auraient pas envie d’écourter le temps passé avec leur enfant, Me Boulet soulève l’idée d’envisager un saut du côté de la Couronne. Elle croit l’option intéressante car elle donne accès à une grosse équipe de procureurs qui peuvent plus facilement se relayer des dossiers en cas d’absence.
Et les clients là-dedans?
Lorsqu’elle ne se sentait pas bien du tout en début de grossesse, la criminaliste confie avoir dû faire reporter certaines causes. Le délai sous-jacent était généralement de trois à six mois.
«Mes clients ont toujours été compréhensifs. Ils ont tous accepté de renoncer à leur délai de comparution au besoin, d’abord pour me garder comme avocate, mais aussi pour éviter une longue période d’attente pendant qu’un nouvel avocat étudie leur dossier», explique-t-elle.
Idem pour les causes qui étaient prévues pendant son court congé de maternité: «Un report comporte toujours un risque de perdre le client, mais jusqu’à maintenant, les cas concernés ont tous bien collaboré.»
Savoir ajuster sa pratique
L’avocate ne nie pas le défi que représente sa réalité, surtout considérant la méthode de travail peu commune de son cabinet où chaque associé occupe une fonction bien précise, la sienne étant de plaider les causes.
Étant la seule à se rendre au palais de justice pendant que ses associés s'affairent aux autres tâches, Me Boulet souligne l’importance de l’organisation et de la prévoyance.
«On va abattre le plus de causes possibles avant que je quitte. On a prévu que mes associés ne fassent aucun procès ou presque pendant mon absence», dit-elle.
Concernant son travail sur le terrain, l’avocate constate qu’elle devra peut-être réduire le territoire qu’elle couvre de façon graduelle pour éviter d’être longtemps sur la route. Même chose après son accouchement, souhaitant être le plus présente possible pour sa fille en évitant de rentrer tard.
Questionnée quant à son confort à travailler avec des délinquants sexuels alors qu’elle sera maman, la criminaliste se croit apte à faire une coupure entre sa pratique et sa vie personnelle. Elle n’écarte pas la possibilité d’être plus sensible face à des délits graves envers des enfants, mais elle n’a pas l’intention de refuser de cas pour cette raison.
Pour conclure, l’avocate conseille de ne pas hésiter à demander de l’aide à son entourage et à ses collègues.
«Mes associés me soutiennent, ils comprennent ma situation et ils ont tout intérêt à ce que je revienne au cabinet en forme et dans de bonnes dispositions. On s’entraide beaucoup!»
À la suite de la publication de l’article, le DPCP précise que la conciliation travail‐famille est un enjeu important pour le DPCP et les procureur(e)s qui le représentent. Le DPCP compte 67 % de femmes qui occupent la fonction de procureure au sein de son institution.
Les faits exposés dans l’article ne représentent pas fidèlement ce qui s’est passé lors de l’audience. Le DPCP nie les propos attribués au procureur qui sont rapportés dans l’article.
Lors de la demande de remise présentée par Me Boulet, celle‐ci était absente et représentée par une collègue qui a fait ses représentations par téléphone. Au moment, de l’audition, la procureure du DPCP n’était pas informée de la condition médicale précaire de sa consœur, qui limitait sa capacité de se déplacer à plus de 40 km. Dès que la situation a été exposée devant le tribunal, la procureure a fait preuve d’ouverture tout en s’assurant de la renonciation aux délais afin de ne pas nuire au processus judiciaire.
Dans le traitement de leurs dossiers, les procureur(e)s du DPCP ont la lourde tâche de concilier les intérêts légitimes des victimes et des témoins, le respect des droits de l’accusé tout en demeurant sensibles aux demandes légitimes des avocats de la défense en gardant à l’esprit l’intérêt de la société à ce que le crime allégué soit jugé à l’intérieur d’un délai raisonnable.