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Secret professionnel et IA : les conseils d’un avocat

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Camille Dufétel

2023-05-23 14:15:00

Les avocats qui commencent à recourir à l’intelligence artificielle doivent veiller à respecter certaines balises, croit un avocat montréalais. Lesquelles ?
Me Amir Kashdaran. Source: Delegatus
Me Amir Kashdaran. Source: Delegatus
Pour Me Amir Kashdaran, avocat chez Delegatus à Montréal et passionné de technologie et d’innovation, il n’est pas possible aujourd’hui d’ignorer l’existence des outils d’intelligence artificielle comme ChatGPT.

Certains avocats ou clients y ont déjà recours. À titre d’exemple, le cabinet montréalais Avens sensibilise d’ailleurs ses clients au fait de ne pas tout déléguer à l’intelligence artificielle.

Me Kashdaran se spécialise notamment en technologie de l’information et représente des compagnies de petite, moyenne ou grande taille disposant de technologies de pointe.

Il croit que certaines règles doivent être posées pour les avocats souhaitant utiliser l’intelligence artificielle, notamment au regard du respect du secret professionnel. Droit-Inc l’a questionné à ce sujet.

À quels enjeux fait face un avocat qui a recours à l’intelligence artificielle de temps en temps pour son travail, par rapport au secret professionnel ?

Tout dépend de si on est un avocat solo ou si on travaille dans un cabinet. Les enjeux peuvent être un peu différents.

Pour les cabinets, je propose l’adoption de règles internes de gouvernance. Un avocat qui veut utiliser ChatGPT devrait non seulement considérer l’impact d’une telle utilisation, mais aussi les règles de son cabinet.

Mais commençons avec l’avocat solo. S’il n’est pas assujetti à d’autres contrats ou règles de gouvernance, il doit en premier lieu se demander pourquoi il est en train d’utiliser ChatGPT.

Si c’est pour faire des recherches, pour commencer un processus de réflexion, lancer quelques idées ou même obtenir de l’information générale, je pense que ChatGPT pourra faire un excellent travail.

Si c’est pour l’aider à faire son travail juridique, c’est là qu’il faut faire attention. Si l’avocat désire rédiger une mise en demeure, c’est sûr et certain que pour qu’elle soit rédigée correctement, il faudra rentrer de l’information pertinente dans le dossier traité.

Et ça, il ne pourra pas le faire. Il faut faire attention à ne pas empiéter sur le secret professionnel.

Il y a donc aussi l’avocat qui travaille en cabinet. Les cabinets sont à risque de voir leurs avocats utiliser ChatGPT et d’éventuellement nuire à leur réputation, car ils peuvent mettre de l’information protégée par le secret professionnel.

La bonne pratique pour ces cabinets serait d’adopter des procédures de règles internes, de mettre des balises sur l’utilisation de ChatGPT. Les règles doivent être claires pour que les avocats qui utilisent cet outil sachent dans quel contexte ils peuvent le faire.

Pourquoi pensez-vous que la réputation des cabinets peut être mise en péril ?

Dans le cas où le cabinet produit du contenu juridique littéralement copié de ChaptGPT, il ne peut pas réclamer le droit d’auteur sur le texte généré. Or, si c’est un outil qui a produit le contenu d’un mémo juridique, la question qui va se poser est « est-ce que l’avocat a rendu des services juridiques ? ».

Si ce n’est pas le cas et que l’information donnée cause préjudice au client, pourrait-il exposer sa responsabilité personnelle ? Est-ce que l’assurance professionnelle va accepter de couvrir cet acte juridique qui n’en est peut-être pas un ?

On n’a pas nécessairement toutes les réponses. Il pourrait y avoir une ambiguïté par rapport à la protection que l’avocat pourrait avoir.

Si l’avocat rend un mémo juridique à un client, il devrait ainsi s’assurer que son opinion professionnelle est reflétée dans le document.

C’est pour ça qu’il y a des enjeux d’assurance et aussi de secret professionnel.

Quelles balises suggérez-vous aux cabinets de poser ?

J’irais avec les choses que je ne veux pas que mes avocats entrent dans ChatGPT. Pour le reste, au fur et à mesure de notre apprentissage avec l’outil, on pourra amender davantage les procédures.

Règle numéro 1, je dirais que les avocats ne doivent pas y entrer de l’information protégée par le secret professionnel.

Règle numéro 2, ils ne doivent pas entrer de l’information confidentielle, même si elle n’est pas protégée par le secret professionnel. Et pas non plus un secret commercial du cabinet.

Règle numéro 3, ils ne doivent pas rédiger de mémos en utilisant ChatGPT et prétendre que c’est leur mémo juridique. Ils ne doivent pas utiliser cet outil pour créer des documents de nature juridique.

Tu peux demander à ce que ChatGPT te donne un premier projet de document. Mais ce que j’essaie de dire, c’est que tu ne peux pas copier-coller ce document et prétendre que c’est le fruit de ton travail. Le document livré au client doit être substantiellement le fruit de ton labeur.

Règle numéro 4, ils ne doivent pas utiliser cet outil s’ils ont un doute sur le fait que l’information rentrée pourrait être utilisée contre leur client ou contre eux, et accessible à des tiers. L’idée est de s’assurer que l’utilisation de cet outil n’expose pas leur client à un recours.

En somme, vous pensez que tous les cabinets québécois devraient rapidement se doter d’une politique claire à ce sujet si ce n’est pas déjà fait ?

Absolument. On avance tellement vite dans le développement de l’intelligence artificielle, à travers différents types de logiciels, qu’on ne peut pas ne pas être conscient des risques et de l’impact de cela sur notre profession.

Peut-être que les cabinets peuvent encore s’en passer à court terme, mais ça va éventuellement les rattraper.

Nous sommes des professionnels dont la réputation est très importante. Ça va prendre juste un incident pour complètement mettre à terre la réputation d’un cabinet ou d’un avocat. Le risque n’en vaut pas la peine.

Les cabinets ne devraient donc pas selon vous songer à interdire le recours à l’intelligence artificielle dans le cadre professionnel ?

Je ne pense pas qu’il faille l’interdire. Je pense que c’est une technologie qui a beaucoup de potentiel et il y a même des cabinets qui utilisent ChatGPT pour créer une sorte d’assistant juridique interne.

C’est comme un ChatGPT déployé au sein du cabinet, sans que l’information ne sorte de la frontière de celui-ci.

Chez Delegatus, comptez-vous mettre des balises en place à ce niveau ?

Des discussions sont en cours et il y a tout un processus de réflexion qui doit se faire. L’important est que la conversation soit sur la table et que le cabinet réfléchisse à mettre en place une politique interne.
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