Ces avocats à mieux connaître

Le droit à la pointe de son épée

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Emeline Magnier

2014-06-19 15:00:00

Sa toge sous le bras et le fleuret à la main, il a fait partie de l’équipe nationale d’escrime. Après avoir frôlé la qualification olympique, il a combattu devant la Cour suprême. Rencontre avec un plaideur qui fait mouche...
Membre du Barreau depuis 1994, Me Yann Bernard est associé chez Langlois Kronström Desjardins où il pratique en droit administratif et le droit du travail, et représente notamment des commissions scolaires.

Il a pendant longtemps conjugué sa carrière d'avocat avec celle d'un escrimeur de haut niveau - il était membre de l'équipe nationale. Âgé de 42 ans, il a plaidé pour la première fois devant la plus haute juridiction du Canada au début de l'année et a répondu aux questions de Droit-inc.

Droit-inc : Qu'est ce qui vous a conduit à prendre le chemin du droit ?

Me Yann Bernard est associé chez Langlois Kronström Desjardins où il pratique en droit administratif et le droit du travail
Me Yann Bernard est associé chez Langlois Kronström Desjardins où il pratique en droit administratif et le droit du travail
Me Yann Bernard : Au départ, je voulais être médecin mais je n'avais pas d'assez bonnes notes (rires), et j'ai donc pensé à me diriger vers les relations internationales et la diplomatie. Comme j'avais trois ans d'avance sur ma scolarité, je suis entré en Sciences politiques à McGill à 16 ans. Mais mon père m'a conseillé de me rediriger vers le droit, qui offrait selon lui un meilleur bagage.

En 1989, je me suis donc inscrit au baccalauréat en droit à l'Université de Montréal. C'était une période très intense parce que je faisais partie de l'équipe nationale d'escrime en fleuret et je voyageais beaucoup. Après mon bac, je me suis dit que j'irais chercher le titre d'avocat et je n’ai jamais réussi à m'en sortir (rires) !

J'ai fait mon stage du Barreau dans un petit cabinet de six avocats, Paquette Meloche, et j'ai commencé à pratiquer en droit du travail et droit administratif pour des commissions scolaires. J'ai aimé le contact client et le fait que le litige soit moins formel qu'en civil ; en litige administratif, tout dépend des relations entre les parties - si elles ne sont pas bonnes, la preuve n'est pas communiquée avant.

En 1998, il y a eu la fusion des commissions scolaires au Québec et leur nombre a diminué. Le cabinet a fusionné avec son concurrent majeur, Lavery, que j'ai alors intégré. J'ai poursuivi la même pratique mais dans une équipe plus grande. J'en garde un très bon souvenir, et aussi beaucoup d'amis.

Comment avez-vous pu exercer comme avocat tout en pratiquant un sport de haut niveau ?

Avec le temps que me laissait la pratique, je continuais à m'entraîner pour être sélectionné dans l'équipe olympique d'escrime, mais je n'ai pas été qualifié au fleuret. Pour m'amuser, j'ai commencé à faire des compétitions à l'épée et, rapidement, j'ai eu de meilleurs résultats qu'au fleuret, ce qui me laissait entrevoir une ouverture pour les Jeux Olympiques.

Il fallait donc que je trouve une pratique plus flexible pour pouvoir tout conjuguer. En 2001, j'ai intégré la Commission scolaire English Montréal comme directeur des affaires juridiques, avant de devenir secrétaire général de la Commission scolaire de Laval deux ans plus tard. Ce n'était pas évident, mais plus facile à concilier qu'en cabinet privé.

Pourquoi êtes-vous finalement reparti en pratique privée ?

En 2004, je ne me suis finalement pas qualifié pour les jeux d'Athènes, et les confrères avec qui je travaillais chez Lavery étaient partis chez LKD. On m'a offert de les rejoindre en tant qu'associé et j'ai accepté. Le niveau d'adrénaline et les challenges sont plus importants. Comme dans le sport, l'incitation au dépassement de soi est très présente, on est constamment dans la représentation et le client a un droit de vie ou de mort presque instantané : s'il n'aime pas un détail, il ne fera plus affaire avec nous.

Pendant cinq ans, je me suis bâti un réseau à l'interne et les personnes que j'avais côtoyées ont fait affaire avec moi. Ayant été client, j'ai une meilleure idée de ce qu’elles attendent et je connais leurs contraintes de fonctionnement et de budget. Aujourd'hui, j'ai une clientèle autonome et nous avons réussi à construire une belle équipe pour travailler avec les commissions scolaires : nous sommes 5 à Montréal et 4 à Québec.

Dans quels domaines exercez-vous ?

60% de ma pratique est occupée par le droit du travail et le droit administratif pour des institutions d'éducation, commissions scolaires, collèges et universités, en litige, négociation de conventions collectives et arbitrage de griefs. Le droit du travail général représente environ 20% de mes dossiers et pour les 20% restant, j'exerce en droit du sport.

J'ai développé cette pratique en 2011. Un de mes associés, André Sasseville, était l'avocat du Centre canadien pour l'éthique dans le sport, l'autorité anti-dopage. Il m'a présenté et j'ai intégré le domaine. Depuis, nous sommes les conseils pour tous les dossiers francophones au Canada, notamment pour ceux qui concernent les contestations des sélections nationales.

Auparavant, j'avais déjà agi comme bénévole pour représenter des athlètes d'escrime. J'ai été vice-président de la Fédération canadienne d'escrime et membre de la Commission juridique de la Fédération internationale d'escrime à Lausanne. J'ai également été ombudsman pour l'équipe olympique canadienne aux jeux de Vancouver, Londres et Sotchi, et j'espère bien continuer ! Cette autorité de recommandation intervient sur les problèmes de discipline, de respect ou la contestation des résultats d'une équipe.

Quel est le dossier qui vous a le plus marqué ?

Au mois de janvier, je suis allé pour la première fois en Cour suprême dans le dossier Dionne contre la Commission scolaire des Patriotes. La question était de savoir si une enseignante suppléante, en retrait préventif pendant sa grossesse, avait droit aux prestations de CSST alors qu'il n'y avait pas de lien d'emploi. La Cour d'appel avait donné raison à la commission scolaire, mais la Cour suprême a tranché en faveur de l'enseignante. J'en garde un excellent souvenir, même si nous n'avons pas gagné !

Le niveau des débats est très intéressant et le décorum est assez impressionnant. On échange avec des juges qui n'ont pas à considérer ce qui a été décidé avant et qui peuvent changer la direction que le droit a prise. Ils font de la police judiciaire au sens propre, ce qui rend l'exercice encore plus exigeant. Le plaideur a moins de repères et de certitudes mais plus de latitude pour proposer et créer. Les angles à couvrir sont très nombreux et il faut être prêt à discuter de tout ce qui peut intéresser le banc des juges.

Quelles sont les qualités nécessaires pour être un bon plaideur ?

Il faut une grande curiosité intellectuelle et savoir s'attarder aux détails. Pour convaincre et transmettre, il faut aussi être passionné : on essaie de faire vivre aux décideurs ce qu'a vécu notre client, il y a donc un côté didactique et pédagogique. Une bonne confiance en soi est aussi nécessaire, car le milieu dans lequel nous évoluons est très hostile : en face de soi, il y a quelqu'un qui est payé pour nous contredire et pour nous rendre le moins pertinent possible !

Il est aussi important de maintenir un bon équilibre entre la vie personnelle et professionnelle. Du travail, il y en a toujours et si on ne délègue pas, c'est sans fin. Il faut envisager sa carrière comme un marathonien plutôt qu'un coureur de 100 mètres, en mesurant son rythme pour ne pas se brûler trop vite.
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