Séance ciné : la crise sur le canot

Céline Gobert
2012-11-23 17:00:00
Pour les avocat(e)s aux âmes de punks
Louise-Michel, Mammuth et maintenant Le Grand soir pourraient former une sorte de trilogie subversive, anti capitaliste, anti patronat, anti société de consommation. Une analyse punk et débridée de l’après crise française.

Lorsque ce dernier est viré, après ce que l’on choisira d’appeler un burn out ou une prise de conscience (c’est selon), c’est le début des possibles : au-delà des emplois, des petits salaires, de la galère, il y a la vie.
Le Grand soir, c’est avant toute chose un film qui dit « merde » à l’ordre établi, aux normes sociales, à ces zones commerciales qui puent le conformisme et poussent à l’immobilisme.
Des aires aux allures d’anti-rêves. Delépine et Kerver, dans un bordel à l’enthousiasme communicatif dopé au cynisme et au désespoir, appellent à un retour à plus d’humanité et de chaleur. Personne ne regarde plus personne, disent-ils. Même pas un mec qui crie « justice » et qui s’immole dans un centre commercial, c’est dire... Les gens sont devenus des robots, des zombies avides de consommation.
À partir de là, Not (joué par Benoît Poelvoorde) ne fait pas peur. Avec sa crête dressée sur sa tête (beau plan d’ouverture par ailleurs), il symbolise le refus d’abandonner la lutte, de baisser la tête, d’entrer dans la danse de tous ces pantins morts-vivants.
« We are not dead », écrira-t-il avec des lettres volées aux enseignes des grandes chaînes commerciales. A la manière des lettres blanches d’Hollywood, comme un grand rêve de cinéma, qui dit que c’est possible.
Formellement, Le Grand soir épouse le propos rebelle : on part dans tous les sens, les idées fourmillent, et c’est parfois bancal. Mais de l’horreur visuelle (une pendaison, l’esthétique monstrueuse du lieu unique de la zone commerciale), le duo tire des séquences réjouissantes.
Parsemé de guest stars de luxe (Yolande Moreau, Brigitte Fontaine, les Wampas, ou encore une apparition hilarante de Depardieu), Le Grand soir n’est pas un film pauvre, ni pour les pauvres. C’est un film qui a du cœur et du cran, en colère, tendre, jamais résigné. Un brin naïf aussi, ce qui fait son charme.
« Nous sommes tous des punks à chiens », résume Not : un beau slogan en pied-de-nez à ce monde de pub et de toc. Pas sûr que la démarche mène quelque part, mais le chemin, lui, est franchement fun.
N comme Naufrage
Pour les avocat(e)s aux âmes d’enfants
On aime bien Ang Lee, mais ce n’est pas sur le terrain du divertissement qu’il est à son meilleur, comme en témoigne une filmographie inégale, entre un Hulk faiblard, et des drames poignants (Brokeback Mountain, Lust caution).

Une volonté d’allier la complexité des nouvelles technologies (il avoue lui-même les difficultés rencontrées sur le tournage) et de retourner à davantage de simplicité (narrative notamment).
Son film tout entier est une ode au merveilleux et à l’innocence : on y croise des dauphins, des zèbres, des poissons-volants, des lémuriens et des bons sentiments en veux-tu, en voilà. La pureté des enfants versus le cynisme des adultes, un récit fantastico-féérique qui refuse en bloc toute seconde lecture et second degré, infiltration du drame-, et cela malgré l’âpreté ou la profondeur des thématiques abordées (la part de bestialité inhérente à l’homme, le passage de l’enfance à l’âge adulte).
Ang Lee, malin, a déjà anticipé les critiques des vilains cyniques (contenu du livre à l'appui) : son film s’adresse exclusivement à tous ceux capables de garder une (pure) âme d’enfants, de voir le merveilleux dans le pire, de toujours garder la foi (l’ado est un adepte de nombreuses religions).
Les autres ? Ils peuvent bien aller voir ailleurs tant son Histoire déploie les grands moyens d’Hollywood : violons à tout va, catalogue animalier, sentiers balisés et confortables. Le parfait contraire du Hugo Cabret de Scorcese qui trouvait le juste équilibre entre pur divertissement et hommage au cinéma.
Life of Pi est définitivement une oeuvre pour enfants (et grands enfants) qui ne désire rien de plus qu’entraîner le spectateur dans son univers fabuleux.
Visuellement, la 3D est belle et réserve quelques séquences agréables à l’œil ; pour le reste, c’est le naufrage : on est plongés en plein Seul au monde (de Zemeckis) pour les dix-douze ans, avec interdiction formelle de critiquer ce que l’on voit de nos hauteurs d’adultes blasés.
Vous voilà prévenus.