Les juricomptables : ces experts qui font parler les chiffres au tribunal
Sophie Ginoux
2023-10-31 15:00:00
Pascal Labrosse et Yvonne Kitkarska font néanmoins partie d’une classe de comptables à part. Ils ont tous deux été CPA à la base, mais ils ont rapidement bifurqué vers la juricomptabilité, car ils voulaient aller au-delà de l’élaboration d’états financiers et d’audits.
« Les juricomptables ne font pas de comptabilité générale, explique M. Labrosse. Ils travaillent essentiellement dans le domaine juridique, et ils plongent dans les chiffres pour raconter une histoire qui sera comprise par les avocats et, plus globalement, toutes les parties en litige. Leurs hypothèses servent aussi aux juges et aux tribunaux à se prononcer sur un certain nombre d’affaires ».
C’est ce volet humain, bâti à force d’entrevues, de correspondances et d’investigations qui a tout de suite passionné les deux experts, qui se sont dotés de certifications supplémentaires pour exercer ce métier, comme le CFE (Certified Fraud Examiner) et le CBV / EEE (Expert en évaluation d’entreprise).
Mais au-delà des diplômes, les juricomptables développent des qualités particulières : « Ce sont des gens à l’écoute des détails et d’une grande rigueur, mais qui savent aussi se questionner et construire plusieurs scénarios de calculs pour embrasser toutes les avenues possibles » indique Pascal Labrosse.
Il raconte d’ailleurs avec enthousiasme comment, par exemple, il a récemment réussi à confirmer une allégation de vol de matériel informatique dans une entreprise en découvrant, à travers des documents financiers, qu’un de ses employés possédait parallèlement une petite société qui vendait, justement, du matériel de ce type.
« Les chiffres parlent quand on s’y attarde et qu’on a une vision plus large que celle de la comptabilité traditionnelle », explique le spécialiste.
Des services variés
Mener des enquêtes financières sur des fraudes alléguées ne constitue pas l’unique spécialité du bureau juricomptable MDD. « Ça, c’est le côté intrigant et sexy de notre métier, dit Pascal Labrosse, mais nous faisons bien d’autres choses. »
De manière concrète, les huit experts du bureau de Montréal mènent notamment des évaluations d’entreprise.
« Il s’agit souvent de cas d’oppression d’un actionnaire d’une société, ou bien de litiges commerciaux liés à des ruptures de contrats », commente Yvonne Kitkarska, directrice principale. Le rôle des juricomptables consiste dans ces situations à quantifier les dommages passés, actuels et futurs de la partie demanderesse ; ou bien, s’ils se trouvent en défense, à vérifier les documents présentés par ce même demandeur.
« Cela peut aller très loin, déclare la juricomptable. Imaginez par exemple qu’un fournisseur de services essentiels d’une entreprise rompt son contrat avec elle du jour au lendemain, et qu’elle ne puisse plus opérer. Il est possible de calculer les pertes de profits immédiates, mais aussi la perte de l’entreprise tout court, et donc sa valeur entière. »
Le champ des possibilités est tout aussi vaste en quantification des dommages, qui regroupe toutes les situations relatives à des litiges financiers associés à des blessures corporelles, de la propriété intellectuelle, un incendie et bien d’autres choses encore. Le travail des juricomptables de MDD se réalise alors avec des avocats, mais aussi des assureurs, des sociétés ou des individus.
« Il y a chaque fois une histoire à fouiller, indique Pascal Labrosse. Comme celle d’une personne qui a des séquelles corporelles à plus ou moins long terme à la suite d’une chute dans les escaliers glissants d’un hôpital. Selon qu’il s’agit d’un employé ou d’un chef d’entreprise, le calcul de mitigation de son absence au travail peut être bien différent. »
Enfin, et c’est peut-être moins connu, les juricomptables de MDD peuvent également être mandatés pour évaluer les actifs d’une entreprise à des fins d’impôts (et de litige potentiel avec le ministère concerné), ou bien être engagés comme consultants par un avocat qui souhaite évaluer les risques financiers que court son client en défendant telle ou telle position dans un litige. Que de choix, n’est-ce pas?
Une crédibilité à toute épreuve
Même si les dossiers qu’ils prennent en charge sont très diversifiés, tous les juricomptables de MDD ont en commun de jouir d’une grande indépendance.
« C’est la base de notre crédibilité, explique Yvonne Kitkarska. Nous mettons un point d’honneur à n’avoir aucun conflit d’intérêt, ce que peuvent rencontrer des cabinets comptables traditionnels, et nous travaillons toujours de sorte que nos dossiers puissent être présentés en Cour. Même si l’affaire ne se rend pas jusqu’aux tribunaux, nous sommes ainsi parés à défendre nos hypothèses. »
Les juricomptables de MDD suivent d’ailleurs un processus très rigoureux pour chaque dossier. Une enquête débute avec des allégations, se poursuit avec une analyse financière très poussée, la rédaction d’un rapport contenant un ou plusieurs scénarios financiers, et éventuellement la participation à titre d’expert indépendant à la Cour.
Pour être totalement irréprochables, y compris dans des secteurs spécifiques (comme les TI ou les mines), les professionnels de MDD peuvent compter sur leurs nombreux collègues à l’international, aux spécialisations très nichées.
Mais les juricomptables ne doivent pas seulement faire preuve d’excellence et d’indépendance. « Nous devons aussi nous montrer ouverts à d’autres points de vue », indique Mme Kitkarska, qui se voit de temps en temps amenée à rédiger un rapport conjoint avec un expert de la partie adverse, et donc à confronter ses hypothèses à d’autres.
« J’aime cet exercice, avoue-t-elle, car je pense qu’il faut rester ouvert pour grandir professionnellement en juricomptabilité. »
C’est probablement cet esprit d’ouverture, associé à une rigueur sans faille et à une volontaire accessibilité, qui constituent la recette du succès de ce bureau montréalais auprès des meilleurs cabinets juridiques du Québec. Une belle découverte!