Déclin des taux horaires: la tendance se poursuit
Delphine Jung
2017-06-09 16:15:00
Le rapport indique que près de la moitié des directeurs des affaires juridiques interrogés (*) utilisent actuellement des ententes d’honoraires non conventionnelles, ce qui englobe tous les modes de facturation qui ne sont pas à taux horaires. Ils prévoient même de le faire encore davantage au cours des prochaines années.
Me Fred Headon, conseiller juridique général adjoint chez Air Canada confirme : « nous demandons activement des modes de facturation alternatifs et c’est une tendance qui s’installe de manière assez général ». Il s’agit de « mieux aligner la valeur ajoutée avec les besoins des clients » d’après lui.
Pour Anne-Marie Lynda Boisvert, associée, Juricomptabilité Deloitte, Crimes financiers., les honoraires non conventionnels sont « un avantage compétitif car ils sont vus comme une innovation ». Les cabinets qui s’y mettent, tirent donc leur épingle du jeu.
Mais tous les domaines du droit ne sont pas touchés d’après Me Pierre Paquet, associé directeur chez Miller-Thomson : « c’est un peu moins vrai en litige, c’est un secteur moins prévisible. Le secteur des fusions-acquisitions l’est plus en revanche ».
Car la prévisibilité est bien ce qui motive les entreprises à demander des modes de facturation alternatifs.
Faire des économies?
Il y a aussi des causes budgétaires : « nous faisons face à des contraintes budgétaires, alors il faut trouver le moyen de répondre aux besoins juridiques avec des budgets stables ou presque », détaille Me Headon.
Interrogé par Deloitte, Me Gordon Currie, vice-président directeur des affaires juridiques chez George Weston Limited, le géant du commerce de détail n’est pas forcément d’accord : « Les ententes d’honoraires non conventionnelles ne visent pas nécessairement à faire des économies, mais plutôt à rehausser la valeur des services et à éviter de payer pour des services sans valeur ».
Parmi les honoraires non conventionnels on trouve des taux fixes ou encore des taux plafonnés.
« Par exemple, le client conclut une entente en lui donnant un budget fixe pour l’ensemble des services. On parle aussi du taux horaire unique qui prévoit que tous les avocats impliqués dans le dossier soient payés pareil, peu importe qu’ils soient senior, associé, ou plus jeune », détaille Me Jean-François Gagnon, directeur associé chez Langlois.
Il y a aussi des honoraires qui seront indexés sur les résultats du cabinet. « Il s’agit de convenir d’un montant pour le dossier qui sera plutôt faible et si le succès est au bout, il y aura une majoration. Donc ça peut sembler être une perte pour le cabinet… Quoi qu’il en soit, cela implique une discussion franche entre les deux parties », poursuit Me Gagnon.
Anne-Marie Lynda Boisvert explique que les cabinets d’avocats « ne sont pas toujours habitués et qu’ils doivent faire preuve d’organisation, d’adaptation. Cela leur demande un effort supplémentaire, mais la plupart ne m’ont pas semblés déstabilisés ».
Plus d’agilité
D’après le rapport Deloitte, la situation « pèse sur les marges bénéficiaires de certains d’entre eux et que près du tiers des cabinets d’avocats qui offrent des ententes d’honoraires non conventionnelles affirment qu’elles ne sont pas aussi rentables que la facturation à l’heure traditionnelle ».
Me Pierre Paquet estime que les nouveaux moyens technologiques aident à s’adapter sans que le cabinet y perdent et souligne aussi qu’il y a de moins en moins d’associés, donc les bénéfices sont moins divisés aussi.
Me Gagnon est aussi sceptique vis-à-vis de cette affirmation contenue dans le rapport : « Je ne suis pas certain de cela », tout en concédant : « c’est sûr que les nouveaux modes de facturation demandent de l’agilité ».
Que les cabinets soient en tout cas rassurés, puisque 90 % des directeurs des affaires juridiques interrogés se disent satisfaits ou très satisfaits de leurs fournisseurs de services juridiques externes.
(*) Deloitte a interrogé 100 personnes à travers tout le Canada, tant du côté des cabinets d’avocats que des avocats en entreprise.
Sahalor
il y a 6 ansEn tant qu’avocat en droit des affaires et détenteur d’un MBA, je salue le changement de culture dans la manière de concevoir le prix de nos services.
Pour mémoire, le Barreau a parrainé une journée complète dédiée aux nouveaux modèles d’affaires. Ceux qui étaient présents se souviendront que le premier conférencier, un professeur de gestion, nous avait provoqués avec de nombreux exemples tirés de diverses industries et entreprises qui ont dû et qui ont su se redéfinir et se transformer. Un brassage d’idées exaltant qui avait su captiver l’auditoire. Comme quoi tous les avocats et avocates ne sont pas les dinosaures qu’on prétend.
La conférence suivante avait jeté une douche froide sur les participants. Il s’agissait d’une présentation offerte par le service de l’inspection professionnelle. Autant la première conférence était tournée vers l’avenir, autant celle-là était tournée vers le passé. On y égrainait la longue liste de ce que les avocats n’ont pas le droit de faire, barrant à toutes fins pratiques la voie aux avenues que la première conférence avait commencé à tracer. Le point culminant de cette présentation fut cette déclaration, faite au cœur d’une journée qui se voulait une exploration à tous les modes de facturation autres que la vente d’heures, à l’effet que l’avocat qui prend une entente à forfait avec son client doit quand même tenir le compte des heures passées à travailler au mandat que son client lui a confié, car…(wait for it) en cas de contestation, c’est sur cette base que se fondera le comité d’arbitrage ou le juge pour déterminer à combien a droit l’avocat!
J’ai eu l’occasion depuis de voir l’inconfort que provoquent chez le personnel du Barreau, des pratiques nouvelles telles que le taux unique décrit par Me Jean-François Gagnon.
Il faut donc souhaiter que le personnel de l’inspection professionnelle, celui du bureau du syndic, de même que les membres du comité de discipline soient éduqués sur des notions de gestion, de stratégie d’entreprise et de « pricing », autrement les membres de la profession qui se situe à l’avant-garde de ce changement de culture risquent de faire les frais de l’ignorance, du conservatisme et du réflexe réactionnaire de certains.