Pratique solo : au ralenti, mais on survit
Florence Tison
2020-05-04 15:00:00
Les avocats en pratique solo qui tirent le mieux leur épingle du jeu ont plusieurs points en commun : ils ont une pratique établie et fonctionnelle, ils ont prévu des mois de revenus de côté pour les mauvais jours, ils n’ont pas d’obligations financières exorbitantes comme un loyer hors de prix, et finalement, sont à jour côté technologie.
« Ici, on n’a pas vraiment vu de grosse différence parce qu’on était déjà à date », témoigne Me Paul Fréchette, avocat pratiquant surtout en matière familiale à Gatineau.
Le droit familial continue surtout grâce à la médiation
Avant même le début de la crise, Me Fréchette utilisait des moyens technologiques tels que les services de visioconférence. C’était bien pratique pour la médiation familiale, qui continue d’ailleurs de lui apporter des dossiers, quoique le volume ait baissé de 80 %.
Pas grave : Me Fréchette en profite pour avancer d’autres dossiers, faire ses 30 heures de formation obligatoire, et « mettre à jour plein de choses qu'on tardait un petit peu avant de mettre à jour ».
Mais Me Fréchette a la chance d’avoir une pratique en droit familial et matrimonial. Ses clients ont encore besoin de lui, même que les divorces et les demandes de changement d’accès pullulent à cause de la crise.
« J’ai vraiment du travail comme d’habitude », indique quant à elle Me Camille Alix, qui pratique en droit civil et en droit de la famille comportant parfois des implications internationales.
« J’ai plus de demandes de médiation familiale de la part de gens qui n’avaient peut-être pas le temps d'aller en médiation en revenant du travail, et qui là se retrouvent à la maison et prennent le temps », poursuit l’avocate de Montréal.
Droit immobilier, civil et commercial : clientèle en baisse
En droit immobilier, comme en civil et en commercial, c’est au ralenti. Les clients ont encore des questions par rapport aux offres d’achat et aux annulations, mais s’ils ne veulent pas payer de frais d’avocats parce que leur situation financière est pénible, ils s’en passeront et prendront les décisions eux-mêmes sans conseils juridiques.
« Le nombre de nouveaux clients est à la baisse », estime Me Hugo Vaillancourt. Mais pour le Barreau 2017, ce n’est pas encore la catastrophe. « Il faudrait que (la crise) continue pendant un an avant que ce ne soit plus possible de continuer comme ça. »
Me Michaël Barcet pratique surtout le droit civil, et selon lui, « tout est en sommeil ». Deux ou trois fois par jour, il rend service à la population en donnant des conseils au téléphone. Mais puisque sa pratique dépend de la réouverture des tribunaux, il ne fait pas grand chose d’autre… et n’a donc pas d’entrées d’argent.
« Naturellement, j'ai demandé la PCU, je n’avais pas d’autre choix, soupire Me Barcet. Et puis il y a aussi la problématique des clients : j’ai beaucoup d’impayés des clients pour les mois février et mars. »
Comme bien des avocats, Me Barcet pense pense parfois à changer de branche « dans un coin de sa tête ». Mais il n’est pas encore rendu là.
« Honnêtement, si la situation devait perdurer pendant plusieurs mois encore, il est évident que je penserais sérieusement à changer de profession ou à me reconvertir dans d'autres secteurs d'activité. »
Devant le Tribunal administratif du Québec
Me Marc-Antoine Desjardins, lui, pratique pour la défense des accidentés de la SAAQ et de la CNESST. À ce titre, il plaide presqu’exclusivement devant le Tribunal administratif du Québec (TAQ), qui comme les autres tribunaux suit les règles du confinement : déjà, moins de travail pour l’avocat.
Les gens étant à la maison, il y a également moins d’accidents au travail et d'accidents de la route. « Mais il y en a encore, assure Me Desjardins, et des dossiers qui sont ouverts, des réclamations actives pour lesquelles des gens se cherchent des avocats. »
Au final, bien qu’au ralenti, sa pratique va bien.
« Les gens trouvent des avocats sur Internet et veulent quand même avoir de l’aide malgré le ralentissement de la machine administrative », poursuit l’avocat, qui estime que ladite machine s’ajuste en conséquence.
Comme tous les tribunaux, le TAQ se met aux audiences par visioconférence. Tant mieux! Ce qui sauve Me Desjardins aussi, c’est l’obligation des avocats de faire de la conciliation, ce qui n’était déjà pas une obligation pour lui : il en fait depuis le tout début de sa pratique privée en 2007.
« Crise, pas crise, ça nous empêche pas d'être proactifs avec les dossiers et de prendre l'appareil pour appeler l'autre, croit l’avocat. Honnêtement, il ne faut pas paniquer. Ça retarde le processus parce qu’il y a une réalité sanitaire, mais ça n’empêche pas les avocats qui ont des dossiers de travailler. »
Au final, tous les avocats en pratique solo auxquels Droit-inc a parlé gardent l’espoir de jours meilleurs, qui sont souvent liés à l’ouverture éventuelle des tribunaux. En attendant, on survit.
« Il s'agit d'être très bien entouré, et que les clients comprennent la valeur d'un avocat dans des moments comme ça pour s'en sortir », conclut Me Hugo Vaillancourt.