Entrevues

Bâtonnier du Bas-Saint-Laurent : «Je suis enragé!»

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Céline Gobert

2016-11-15 15:00:00

Des avocats en criminel qui rencontrent leurs clients dans les toilettes ou dans le lobby d’un hôtel, aucun expert psychosocial en Gaspésie… Ce bâtonnier n’en peut plus et dénonce la situation!
Me Massé est bâtonnier du Bas-St-Laurent.
Me Massé est bâtonnier du Bas-St-Laurent.
Cet article s’inscrit dans le cadre d’une série d’articles mettant en lumière les différents présidents de Barreaux de section.

Me Clément Massé cumule 42 ans d’expérience et ne pratique pas la langue de bois quand il s’agit de dénoncer les dysfonctionnements de l’administration de la justice en région.

Depuis 2011, celui qui occupe les fonctions de bâtonnier du Bas-Saint-Laurent exerce également chez Cain Lamarre en droit du travail et emploi, immobilier, et droit administratif.

Que fait-il à titre de bâtonnier de section? Comment concilie-t-il sa mission avec la pratique d’avocat? Il se confie à Droit-inc.

Droit-inc: Comment définissez-vous le rôle d'un Barreau régional?

Me Clément Massé: Si l’on regarde la Loi du Barreau là-dessus, c’est une définition assez réduite. On fait partie du Conseil de section qui est réuni deux fois par an par le Barreau. On peut faire des recommandations sur certains sujets, mais c’est réduit à du consultatif. En cas de problèmes disciplinaires et de sanctions, on est les yeux et les oreilles du Barreau. Notre mission est en fait plus locale. C’est surtout là qu’on se manifeste. On est les interlocuteurs entre les membres du Barreau et la magistrature, et également avec le Ministère de la justice ou celui de la sécurité publique.

Comment concevez-vous votre rôle comme bâtonnier de section?

Comme étant l’interlocuteur entre les avocats de tous les domaines et la magistrature ou le gouvernement. Notre territoire contient 12 palais de justice et couvre de 600 à 700 kms, alors on procède beaucoup par conférences téléphoniques. Jeudi midi par exemple, j’ai une réunion avec 20 sujets à l’ordre du jour. En ce moment, nous débattons avec le ministère de la Justice, au nom de l’accès à la justice et à l’égalité, pour que les cours sur la parentalité soient disponibles sur internet. Avant d’avoir le temps d’être entendus par le juge, les justiciables en instance de divorce doivent suivre une formation de deux heures sur la parentalité qui ne se donne pas en vidéo-conférence. Un client de Rivière-du-Loup doit ainsi faire 300 ou 400 kms. On est face à un mur devant le Ministère de la Justice. On essaie que ça change.

Avez-vous d’autres exemples à nous donner?

En ce moment, il n’y a pas d’expert psychosocial en Gaspésie. Le juge ne peut pas rendre d’ordonnance. Il y a 6 ou 7 dossiers comme cela. Les jeunes avocats en région veulent partir travailler à Montréal ou dans les centres comme Chicoutimi. Nous essayons de les garder, de faire la promotion pour la région, pour les inciter à pratiquer ici. Il y a un manque d’avocats en Gaspésie par exemple. Il y aurait de la place pour les jeunes avocats ! Le problème est qu’il faudrait mettre en place un parrainage entre les avocats d’expérience et les jeunes. Enfin, en Gaspésie, il y a un juge permanent qui est prêt à prendre sa retraite et on veut que le gouvernement nomme un nouveau juge.

Comment conciliez-vous cette tâche avec votre pratique d'avocat?

C’est pas beau! On n’est pas rémunéré pour faire ça. Quand j’ai des réunions, je suis rémunéré un montant forfaitaire, parfois jusqu’à 700 $ par journée. Par an, je dirai que ça représente 4000 ou 5000 $. Mais c’est une compensation partielle compte tenu de la facturation que je ne peux pas faire pendant ces journées-là. J’ai l’avantage d’être en préretraite mais je l’avais prise pour moi cette préretraite. Là elle passe dans le Barreau, on n’a pas réussi à recruter de jeunes avocats.

Qu’est-ce qui vous motive à continuer alors?

Il faut avoir le sens du devoir. Vous savez, jusqu’ici je faisais du droit du travail, du civil, de l’administratif, je ne voyais pas l’état délabré de notre système judiciaire. Dans quatre palais de justice ici, les avocats en matière criminelle rencontrent leurs clients dans le corridor! Y’a un bureau de libre où s’entassent les classeurs mais le ministère nous répond qu’il faudrait construire un faux plafond pour masquer les tuyaux que les prisonniers pourraient utiliser pour se blesser! On vit dans de la niaiserie administrative!

Quels sont vos objectifs pour le Barreau du Bas-St-Laurent?

Je voudrais que les gens aient un meilleur accès à la formation sur internet. Aussi, la situation dans certains palais de justice n’a pas d’allure ! À Rivière-du-Loup, certains rencontrent des clients dans le lobby de l’hôtel car des salles en location ont été fermées après l’annulation des baux. Alors parfois, les clients se retrouvent avec la partie adverse dans le lobby! À moins qu’ils ne louent une chambre! À Rimouski, des avocats rencontrent leurs clients dans les toilettes ou dans l’escalier, et se taisent quand il passe quelqu’un.

Je vais vous raconter un incident que l’on a vécu : un juge rend une sentence, puis retourne dans son bureau. L’accusé l’avait suivi, a ouvert la porte, et a crié: « Merci de pas avoir été trop cochon avec la sentence ! ». En matière criminelle, les témoins et les accusés se retrouvent parfois dans la même salle ce qui fait qu’un abuseur peut se retrouver assis face à l’enfant qu’il a abusé. Je n’avais pas réalisé que le système était pourri comme ça. Je suis enragé!

Me Clément Massé exerce chez Cain Lamarre, depuis 2011, en droit du travail et emploi, immobilier, et droit administratif. Titulaire d’une licence en droit de l’Université Laval (1973), il a obtenu son Barreau en 1974.

Auparavant, il a exercé chez Rioux Bossé Massé Moreau à Rivière-du-Loup et Lefebvre Carter Ratté Lefebvre à Québec. Il a été responsable d'une chronique hebdomadaire à la radio de Rivière-du-Loup de 1998 à 2002. Il a été éditorialiste hebdomadaire à la station CKRT-TV de Radio-Canada à Rivière-du-Loup de 2006 à 2014.

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