Gardien de sa firme, à la Ken Dryden!
Dominique Tardif
2017-01-11 14:15:00
Mon idole de jeunesse était Ken Dryden. Comme lui, je voulais être avocat et …gardien de but pour le Club de hockey Canadien! Ayant moins de talent que lui au hockey, je n’ai pu emprunter le même parcours que le sien pour réaliser mon rêve. Cependant, j’ai eu la chance d’œuvrer pour une entreprise qui, à mes yeux, est tout aussi glorieuse dans son domaine que le Club de hockey Canadien l’est dans le sien!
En effet, de par ma fonction de Vice-président affaires juridiques et chef du contentieux, je suis le gardien de l’entreprise au niveau légal…et je peux donc dire que j’ai réalisé mon rêve d’une autre façon!
J’ai choisi le droit sans hésitation. Je suis quelqu’un qui aime la justice. Dès que quelque chose est inéquitable, cela « m’égratigne un peu ». Très jeune, c’est moi qui faisais, à l’école ou à la maison, les demandes au nom des autres : j’ai toujours eu le sens de la représentation. Comme personne dans ma famille n’avait « fait le chemin pour moi », j’ai pris les moyens qu’il fallait. J’ai, au cégep, rencontré le professeur de droit et lui ai demandé ce qui était nécessaire pour être admis en droit. Il m’a incité à avoir de bonnes notes, d’au moins 15 points au-dessus de la moyenne. J’étais, à partir de ce moment, « sur une mission », et ai été accepté à l’Université de Sherbrooke avec plus qu’il ne fallait pour y entrer.
2. Quel est le plus grand défi professionnel auquel vous avez fait face au cours de votre carrière / dans votre emploi actuel?
Les défis sont nombreux dans une carrière qui s’étend sur 30 ans. Cela dit, le plus grand défi de ma carrière fut d’intégrer, il y a bientôt huit ans, le nouveau service juridique de Pomerleau à ses opérations commerciales. Je faisais déjà, avant cela, la majorité de leur travail de l’externe, et ai alors quitté la pratique privée pour me joindre à l’entreprise.
À titre de premier Vice-président affaires juridiques de cette compagnie d’une cinquantaine d’années d’existence, mon objectif était de faire en sorte que le service juridique devienne très proche des opérations commerciales quotidiennes de l’entreprise, et ce, afin de faire de la prévention de litige et de soutenir professionnellement nos gestionnaires de contrats.
Il fallait ainsi changer l’approche et la philosophie, et relever ces mêmes défis qu’ont bien des conseillers juridiques en entreprise, à savoir, démontrer sa valeur ajoutée avant même qu’il n’y ait des problèmes à résoudre, et être perçu comme un véritable conseiller d’affaires. Évidemment, cette valeur ajoutée est beaucoup plus apparente lorsqu’on est « proche de l’action » et consulté rapidement dans le cadre d’un projet.
Il s’agissait d’un gros changement chez Pomerleau, comme l’avocat était jusque-là à l’externe, ne répondant qu’à des questions isolées sans avoir la chance de valider tous les paramètres du problème juridique. Il m’a fallu être pédagogue et démontrer que le service juridique n’était pas qu’un simple service et une dépense. Avec le soutien d’une très bonne équipe d’avocats au sein de Pomerleau, je suis très heureux des résultats obtenus à ce jour. Je suis aussi privilégié de pouvoir compter sur l’appui de mon président, Pierre Pomerleau, dans cette mission.
3. Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous à la pratique du droit?
Je vais ici me limiter au droit de la construction. Si j’avais une baguette magique, chaque grand projet compterait un expert technique et un expert légal indépendants nommés par les parties au début du projet. Ces experts suivraient le projet à partir du « jour 1 » à titre d’observateurs. En cas de litige, ils pourraient intervenir rapidement et leur décision serait contraignante pour tous les intervenants. De cette façon, la procédure serait sommaire et rapide.
Il est, en effet, souvent injuste pour les parties d’œuvrer dans l’incertitude et de devoir supporter les longs délais d’un litige. Un climat néfaste peut aussi s’installer plus facilement entre les parties au détriment du projet.
À l’inverse, l’approche suggérée forcerait les intervenants du milieu de la construction à plus de rigueur, tant avant qu’en cours de réalisation du projet. Pour l’avocat spécialiste de la construction, une proximité d’intervention ferait en sorte que la documentation et les versions des intervenants seraient fraîches à la mémoire et facilement et rapidement accessible. De plus, le travail de représentation de l’avocat ne se ferait pas sur une longue période et les honoraires chargés pourraient être plus facilement liés au résultat obtenu. En intervenant plus rapidement, les délais sur les chantiers seraient réduits et les projets en souffriraient beaucoup moins.
Je pense par ailleurs qu’il faut plus de dialogue et moins de procédures judiciaires. Les clients sont de plus en plus sophistiqués et les avocats internes ou externes qui les conseillent dans le domaine sont très compétents. Les parties savent donc ce qu’elles peuvent perdre ou gagner en allant à procès. Avec une bonne dose de réalisme et de bonne foi, des solutions peuvent généralement être trouvées dans l’intérêt de tous. Agir rapidement pour trouver une solution plutôt que de s’en tenir à « monter son dossier », permet de limiter les frais, sachant que plus le temps passe, plus les frais augmentent et plus la capacité de régler, par ricochet, diminue compte tenu de l’investissement déjà fait.
Chez Pomerleau, ma directive en cas de litige ou de litige appréhendé est de favoriser la discussion, la négociation et la médiation, même quand de tels forums ou processus n’existent pas dans nos contrats (ce qui est de plus en plus rare).
4- La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis?
Je pense que la perception est sensiblement la même. Les clichés où l’avocat est parfois perçu comme un ratoureux qui manipule le système existeront bien entendu toujours.
La réalité, à mon avis, est cependant autre. La formation en droit dans les diverses universités est excellente et la formation du Barreau du Québec donnant le droit d’accès à la profession est de haute qualité, sans compter la pléthore de formations continues offertes.
Pour les non-initiés, la valeur du service juridique peut être plus difficilement palpable vu sa complexité. Les coûts sont élevés et les résultats peuvent se faire attendre. Voilà autant de motifs subjectifs qui peuvent justifier le mécontentement d’une minorité de justiciables.
« L’expérience client » est ici importante. L’avocat, pour bien réussir, doit trouver le moyen de se distinguer et de sortir de l’ordinaire. Bien rédiger une opinion légale, prendre en temps opportun les bonnes procédures, bien suivre son dossier en respectant les délais sont et devraient être considérés comme un service de base. Outre cela, l’avocat doit apporter à son client le génie et l’innovation dans l’approche qui sont requis pour atteindre les objectifs du mandat qu’il a reçu…et c’est là que les meilleurs avocats se démarquent.
5- Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière et souhaitant devenir Vice-président des affaires juridiques d’une compagnie d’envergure?
Il faut travailler!
Il faut aussi bien connaître et se coller aux principes de base du droit, et savoir les appliquer.
Il faut garder les choses simples autant que possible.
Il faut toujours adopter une position défendable et protéger jalousement sa crédibilité auprès des tribunaux, des clients et de ses pairs. Soutenir l’indéfendable doit être proscrit.
Il faut aussi une dose de réflexion critique sur l’état du droit et ce qu’il devrait être lorsqu’il n’est pas adapté à la situation à laquelle l’avocat est confronté. Pour l’avocat commercial que je suis, je me pose toujours la question suivante : quels sont les intérêts commerciaux des parties en litige? Cela m’est fort utile pour orienter ma stratégie globale afin d’atteindre le but fixé par mon client.
Enfin, il faut gagner la confiance de son client en lui rendant des services qui lui sont juridiquement et commercialement utiles et valables. La personne qui sait travailler à l’intérieur de ces paramètres verra le réflecteur se porter sur elle quand viendra ultimement le temps pour son client d’engager un avocat à l’interne.
· Le dernier bon livre qu’il a lu : Thirteen Days (auteurs : Robert McNamara, Harold Macmillan et Robert F. Kennedy).
· Deux bons films qu’il a vus : La Liste noire (directeur : Jean-Marc Vallée), et Prisoners (directeur : Denis Villeneuve).
· Sa chanson fétiche : The 59Th Street Bridge Song (Feelin' Groovy) de Simon & Garfunkel.
· Son expression préférée : « Never hate your enemies, it affects your judgment » (du film Le Parrain III). Je dis souvent ceci à mes clients en proie à une trop grande émotivité dans l’analyse du problème auquel ils sont confrontés.
· Son péché mignon : le vin rouge !
· Son restaurant préféré : le Restaurant Initiale (rue Saint-Pierre, Vieux-Québec).
· Il accepterait volontiers de retourner…en Italie, donc il ne se lasse pas, estimant que le paradis est quelque part sur la côte Amalfitaine !
· Le personnage historique qu’il admire le plus est…John F. Kennedy, pour le vent de fraîcheur qu’il apportait à la Maison Blanche, pour sa lutte pour les droits civiques, pour sa vision, sa diplomatie et son sang-froid lors de la crise des missiles de Cuba et pour le défi que représentait le fait de mettre un homme sur la Lune.
· S’il n’était pas avocat, il serait…sans doute diplomate, aimant la stratégie et la négociation.
Il est responsable des questions d’ordre juridique de la société et, à ce titre, a été impliqué dans une multitude de dossiers à travers le Canada, incluant tous les dossiers d’acquisitions et tous les grands projets de construction de l’entreprise. À titre de chef du contentieux de Pomerleau inc., il pilote une équipe d’avocats de litige au sein de l’entreprise. Il agit également à titre de commissaire à l’éthique.
Avant de se joindre à Pomerleau en 2009, il a été clerc juridique à la Cour Fédérale du Canada à Ottawa. Entrepreneur dans l’âme, il a fondé son propre cabinet par la suite pour poursuivre sa pratique en litige commercial, avec spécialisation en droit de la construction et droit du travail (négociation de conventions collectives).
Me Rousselle détient un diplôme en droit civil (LL.B.) de l’Université de Sherbrooke (1985) et une maîtrise en droit de l’Université McGill (1987). Il est récipiendaire de différents prix académiques et membre du Barreau du Québec depuis 1986.