Tête-à-tête avec le nouveau bâtonnier du Québec

Sonia Semere
2025-03-31 15:00:32

Le Comité électoral du Barreau du Québec a annoncé l’élection par acclamation de Me Marcel-Olivier Nadeau au poste de bâtonnier du Québec.
Il succédera à Catherine Claveau et entamera officiellement son mandat de deux ans lors de la première réunion du nouveau Conseil d’administration, prévue le 2 juin prochain. La cérémonie de passation des pouvoirs se tiendra quant à elle le 18 juin, à l’occasion de la Journée du Barreau du Québec, au Centre Mont-Royal, à Montréal.
En février dernier, lors d’un entretien avec Droit-inc, Me Nadeau avait exprimé son désir de se porter candidat, sans toutefois pouvoir dévoiler en détail ses idées, conformément aux règles du Barreau.
Deux mois plus tard, il nous partage les grands défis qui l’attendent à l’aube de son mandat.
Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez appris votre élection au poste de bâtonnier du Québec ?
D'abord de la joie, mais également beaucoup d'enthousiasme et un profond sentiment d'humilité tout de même puisqu'il s'agit tout de même d'une élection par acclamation…
Lors de notre dernier échange, nous n’avions pas pu approfondir les défis qui vous attendent. Maintenant que vous êtes élu, quels seront les premiers dossiers sur lesquels vous allez vous concentrer ?
Tout d’abord, il me semble essentiel de parler de l’état de droit. Ce qui se passe aux États-Unis est préoccupant, et je pense que le Barreau du Québec doit jouer un rôle actif dans la sensibilisation à cette question. C’est pourquoi je propose une campagne de communication permanente sur l’importance de l’état de droit et des institutions démocratiques.
Par ailleurs, je souhaite rapprocher le Barreau de la population. Pour ce faire, j’envisage des mesures concrètes, notamment à l’occasion des rentrées judiciaires ainsi que l’organisation de forums régionaux sur l’accès à la justice, partout au Québec. L’objectif est d’aller à la rencontre du public et des leaders communautaires afin de renforcer le dialogue.
Lors de l’annonce de ma candidature, j’avais évoqué l’audace et l’innovation. Certaines propositions de mon programme s’inscrivent dans cette dynamique, en particulier celles qui visent à réduire les coûts et les délais en justice civile et familiale. Je propose un véritable changement de culture.
Aujourd’hui, le Canada se classe 58e en matière de délais et 64e pour l’accessibilité financière de la justice civile et familiale. C’est inacceptable. Le juge David Brown, de la Cour d’appel de l’Ontario, a lancé un défi il y a un an : dans les dossiers de moins de 500 000 $, il suggère que les justiciables puissent obtenir une décision en moins de 18 mois et que les frais extrajudiciaires ne dépassent pas 10 % de la valeur en litige. Je pense que nous devons relever ce défi.
Je souhaite aussi ouvrir une discussion sur les modes alternatifs de facturation. Trop de citoyens renoncent à faire valoir leurs droits ou se retrouvent contraints de se représenter seuls. Il est impératif de trouver des solutions pour rendre la justice plus accessible à tous.
En février dernier, vous nous parliez de la pratique en région comme d’un sujet qui vous tient particulièrement à cœur…
Effectivement, depuis deux ans, le Barreau a mis en place un plan d’action visant à améliorer l’attractivité et la rétention de la relève juridique en région. Nous avons notamment sondé les jeunes avocats et les étudiants pour mieux comprendre leurs préoccupations et leurs attentes.
Aujourd’hui, je propose d’aller plus loin avec un plan d’action 2.0. Il est essentiel que nous nous impliquions activement dans la création de programmes de droit au sein des universités régionales. Pour mieux cibler les besoins, je suggère également de développer une carte interactive recensant les secteurs où la relève juridique est particulièrement nécessaire à travers le Québec.
Un autre enjeu majeur concerne le jumelage en reprenariat. De nombreux avocats approchent de la retraite sans parvenir à trouver de jeunes professionnels pour assurer la relève de leur cabinet. Il faut mettre en place des mécanismes facilitant ces transitions.
L'intelligence artificielle occupe une place croissante dans le domaine juridique et soulève de nombreuses questions. Quel est votre point de vue sur son impact et son rôle futur dans la profession ?
Il va de soi que les praticiens doivent utiliser l'intelligence artificielle de manière respectueuse et sécuritaire. Le Barreau a également un rôle essentiel à jouer dans le contrôle de son utilisation. Cela dit, je suis convaincu qu'il est tout aussi crucial d'accompagner activement les membres dans cette transformation de la pratique.
Vous mentionniez, plus tôt, la nécessité de revendiquer le principe de l’État de droit face à la menace américaine. Le Barreau perçoit-il une menace similaire qui pourrait émerger au Canada et au Québec ?
Je ne dirais pas qu'on sent une menace mais je pense qu'on ne doit rien prendre pour acquis en matière d'institutions démocratiques. C'est extrêmement inquiétant. Les États-Unis sont nos voisins médias donc il faut sensibiliser le public à l'importance de l'état de droit et de notre vie démocratique.
Votre prédécesseure Catherine Claveau avait mis l'accent sur les questions de santé mentale au cours de ses deux mandats. Est-ce que vous comptez continuer sur cette lignée ou prendre une autre direction ?
Pour les avocats et avocates ayant moins de 10 ans de pratique, je m’engage à les accompagner dans la mise en œuvre des recommandations de l’étude concernant le bien-être psychologique des jeunes avocats.
De plus en plus d’avocats signalent des problèmes de détresse psychologique, et il est urgent de réagir face à cette réalité. Il est vraiment temps de nous rapprocher de nos membres. Sur le plan individuel, chaque avocat doit se sentir responsable de son propre bien-être, ainsi que de celui de ses collègues.
Quelle direction souhaitez-vous donner au Barreau du Québec pendant votre mandat ?
Comme je l'ai dit lors de mon annonce, mon objectif est de faire preuve d'audace. De l'audace en matière d'accès à la justice, notamment en matière civile et familiale. Je veux vraiment changer la culture judiciaire à ce niveau-là.
L'innovation est également cruciale, notamment dans la transformation numérique de la justice et l’intégration de l’intelligence artificielle. On doit dès maintenant prendre le virage. Je le répète : le train passe et on ne doit laisser personne sur le quai.