L’avocate qui sort des sentiers battus
Suzanne Dansereau
2016-12-15 14:00:00
Débit de parole rapide, mais éloquence dans le propos: Me Lafontaine, qui vient de fêter ses 40 ans, avoue être un peu débordée par l’attention qu’on lui accorde à la suite de la publication de son rapport. Mais elle le répète: cette affaire va au-delà du droit et déborde sur de réels enjeux de justice et de réconciliation.
Droit-inc : Quelle est la prochaine étape en ce qui vous concerne dans ce dossier?
Me Fannie Lafontaine : Mon mandat continue tant que le SPVM enquête. Le rapport que j’ai publié englobait les accusations reçues depuis le début de l’enquête d’octobre 2015 jusqu’à mars 2016. C’était la phase 1. Mais le SPVM enquête toujours sur des allégations portées à son intention depuis avril 2016. Et en ce moment, les chefs autochtones et le premier ministre Couillard se rencontrent pour déterminer si d’autres mesures sont à prendre.
Depuis le début de l’enquête, les choses ont changé: le gouvernement a créé le Bureau des enquêtes indépendantes, qui est en fonction depuis l’été dernier. Est-ce qu’il prendra la relève du SPVM? Pour l’instant son mandat est restreint aux crimes graves. Un projet de loi a été déposé pour l’élargir mais ce qui va arriver après l’enquête du SPVM n’est pas clair. Ce sera à décider par le gouvernement. En concertation avec les autochtones. En ce qui me concerne, j’ai rencontré des gens formidables dans ce dossier, et je vais voir comment je pourrai m’impliquer à l’avenir.
Des leçons à tirer?
Il règne dans l’esprit des gens une confusion sur ce qui peut être fait dans un processus criminel, qui est souvent très très difficile envers les victimes. Pas juste les victimes autochtones, regardez l’affaire Gomeshi! On est dans un système qui maintient la présomption d’innocence et toutes sortes de principes importants, mais qui, à lui seul, demeure incomplet quand on veut faire la lumière sur des enjeux plus profonds
Je comprends la déception du public. Le danger, c’est qu’on se dise: vu qu’il n’y a pas d’accusation, ce qu’ont dit ces femmes n’est pas vrai. Or, il ne faut pas remettre en question les histoires racontées et les témoignages. J’espère que les enjeux plus collectifs ou systémiques dans ce dossier seront examinés par d’autres mesures. J’ai appelé à un dialogue, à une consultation réelle entre le gouvernement et les autochtones pour convenir de ce qui est nécessaire à adopter pour complémenter l’enquête nationale, les enquêtes criminelles et trouver des objectifs communs. C’est ce qu’ils font en ce moment et je suis heureuse de voir que le dialogue est réel alors qu’avant, c’était un dialogue de sourds à travers des communiqués de presse.
Comment ce mandat est en lien avec votre expérience passée et s’inscrit dans votre parcours professionnel?
Il est à la croisée de plusieurs champs d’intérêts.Pour être observatrice civile indépendante d’une enquête de police, il faut d’abord connaître le système pénal et je suis professeure de droit pénal. Cette enquête est faite dans un contexte de crise. Or, dans mon travail, je m’intéresse au mélange d’enquêtes policières avec des questions profondes de droits de la personne et de résolutions de conflits. C’est l’interaction entre ces choses qui m’occupent depuis plusieurs années, et que j’ai observées au Darfour, en Colombie. Je ne veux surtout pas dire que ce qui se passe à Val d’Or est pareil, mais dans l’expérience à l’international on peut aller chercher des pistes de solutions.
Votre portfolio impressionne. Qu’est ce qui vous a préparé à ça?
J’ai grandi entre deux êtres passionnés, un père avocat et une mère prof d’université. Très tôt dans ma vie, je suis partie à la découverte du monde. Au Cégep, je suis allée en Australie. Avant de commencer mon bac en droit, je suis allée en Amérique latine et pendant le bac, j’ai fait une session au Mexique. Ensuite, je suis allée planter des arbres dans l’Ouest canadien, et après avoir travaillé pas longtemps chez McCarthy Tétrault, je suis repartie un an en Asie avec mon sac à dos. Ma vie a toujours été très nomade. C’était naturel pour moi de me tourner vers l’international.
J’ai vu la pauvreté. J’aime le dépaysement. D’autre part, j’ai eu la chance inouïe de croiser Louise Arbour., une femme que j’admirais au plus haut point à un moment ou j’avais encore peu percé dans le droit international. Elle m’a embauchée pour travailler pour elle à la Cour Suprême. Cela a marqué ma vie, elle revenait du Rwanda. Elle est devenue mon mentor, mon amie. Ma devise dans la vie a toujours été: saisir les occasions. Pour cela, il faut que la valise soit prête sur le bord de la porte.
Aujourd’hui, vous voyagez moins….
J’ai deux filles de 9 et 11 ans. C’est un choix assumé de les voir grandir. Je choisis donc mes combats professionnels pour passer le plus de temps possible avec elles. Mon mandat actuel ne me fait pas changer de fuseau horaire, mais il prend beaucoup d’énergie. Mais la vie c’est comme ça : on recherche l’équilibre, parfois c’est moins, parfois c’est plus.
Dans le dossier du soldat canadien Omar Kadr, elle s’est impliquée au sein d’Avocats sans frontières pour plaider pour son rapatriement au Canada, puis a oeuvré pro-bono pour Amnistie internationale devant la Cour Suprême du Canada.