Les avocats des « anges » de Snowden !
Céline Gobert
2019-04-03 15:00:00
Au total, ils sont sept sans-papiers à avoir caché le célèbre lanceur d'alerte américain Edward Snowden, lors de sa cavale à Hong Kong : Vanessa Rodel, sa fille Keana mais aussi le père de Keana, ses demi frères et soeurs âgés de 7 et 3 ans, la conjointe de son père ainsi qu’un autre individu seul.
Persécutés, sans possibilité de travailler, devenus des cibles faciles en raison de la médiatisation du dossier Snowden, les membres de cette famille ont plus que besoin de l’aide de ces avocats.
Grâce à leur travail 100 % pro bono, Ottawa a accordé la semaine passée l'asile à deux des sept : Vanessa et sa fille.
« C’est Robert Tibbo, l’avocat d'Edward Snowden, qui m’a approché en me disant que certains de ses clients allaient se retrouver en situation plus vulnérable après la sortie du film d’Oliver Stone sur Snowden, explique à Droit-inc Me Séguin, associé chez Exeo Avocats.
Il faut dire que Hong Kong mène la vie dure aux demandeurs d’asile.
« Même laver de la vaisselle dans un restaurant pourrait leur valoir 22 ans de prison! » explique l’avocat de 35 ans, impliqué dans le dossier depuis deux ans et demi.
Le taux d’acceptation des demandes de réfugiés à Hong Kong est de moins de 1 %, contre plus de 50 % au Canada. Hong Kong n'ayant pas signé la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) n’a pas le droit d’agir sur le terrain, pas plus que la Croix-Rouge.
Si la famille a pu survivre jusqu’ici c’est uniquement grâce au soutien de l’association For the Refugees dont Me Séguin est le président et fondateur et Me Rogov la vice-présidente.
« Ils dépendent entièrement des dons que nous collectons, indique au bout du fil le premier. Faire l’épicerie, maintenir un toit sur leur tête, garder les enfants à l’école, ça représente 7000 dollars canadiens par mois à trouver et à débourser. »
Un dossier « exceptionnel »
Dans l’avion vers Montréal, la femme de 42 ans et sa fille étaient accompagnées par Me Cliche-Rivard, président de l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration (AQAADI), qui a rejoint sur le tard ses deux confrères, fort d’une expertise en demandes d’asiles.
C’est lui qui a dû prouver leur statut de réfugiées devant la Cour. À Hong Kong, la famille lui a ouvert les portes de sa maison.
« L’asile, c’est ma passion, c’est ce que je fais dans la vie, dit à Droit-inc le juriste de 29 ans. Le droit d’exister, d’avoir un statut légal là où l’on vit, surtout quand il s’agit d’enfants, c’est le type de droit que je veux pratiquer. Dans ce dossier, il y un volet exceptionnel : des personnes qui ne possèdent rien et qui ont ouvert leur porte en faisant un geste humanitaire assez grandiose. Ce sont des héros pour Snowden. On ne voit pas ça tous les jours. »
Leur voyage a pris des airs d’exfiltration. Aucune information ne devait être rendue publique avant que l’avion ne soit dans l’espace aérien international. Les avocats craignaient entre autres que les autorités locales nuisent à l’opération.
Toutefois, même si « tout s’est bien passé », l’euphorie n’a été que de courte durée, confie Me Cliche-Rivard. Car ils sont encore cinq à attendre à Hong Kong…
Bon nombre de challenges
Pour Me Cristina Rogov, membre du Barreau de l'Ontario disposant d’un permis restrictif temporaire en Droit de l'Immigration et des Réfugiés au Barreau du Québec, le plus grand challenge de ce dossier est d’abord médiatique.
« Il faut faire très attention à comment on explique les choses pour que la société comprenne bien les enjeux sur ce dossier », déclare à Droit-inc l’avocate de 30 ans.
Diplômée d’une maîtrise en droit des réfugiés, elle a pu constater sur place les persécutions vécues par la famille. « Le plus frappant, ça a été la séparation entre le père et la fille le 22 mars dernier. On ne sait pas s’ils vont se revoir un jour, c’est très dur.»
Travailler sur un tel dossier lui a permis non seulement d’évoluer comme avocate, mais aussi en tant qu’être humain, dit-elle à Droit-inc. D’autant que les enjeux humains lui manquaient dans un quotidien fait de dossiers d’immigration d’affaires concernant une clientèle bien plus aisée.
« Il est rare de voir des situations aussi dures devant ses yeux, sur place. On a pu voir leur vie là-bas, au jour le jour. On n’est pas habitués. Ça rend les choses beaucoup plus réelles et on reste des humains. »
Son confrère Me Cliche-Rivard dit avoir pu constater la réalité des demandeurs d’asile à Hong Kong et ainsi comparer le droit canadien à la réalité d’autres juridictions.
« Se déplacer au bout de la planète pour aider des clients vulnérables c’est aussi très stimulant. Il s’agit d’un dossier très émotionnel mais ce n’est pas tant différent des autres dont je m’occupe, c’est toujours des rencontres individuelles avec le client, on établit une certaine relation.»
Même son de cloche pour Me Séguin qui y voit plusieurs challenges qui ne se limitent pas qu’au droit.
« Le premier défi est de constamment chercher à rassurer et à encadrer des familles qui sont au bout du rouleau, dit le Barreau 2010, diplômé de McGill. Elles vivent avec une épée de Damoclès sur la tête. En termes de droit, c’est un travail qui se fait sur deux tableaux : on se bat contre une administration hongkongaise très hostile et qui a tout fait pour exercer de la pression contre eux. Et il faut également présenter cette détresse-là au gouvernement canadien. »
Pour lui aussi, la relation avec la famille est également très étroite.
« On est non seulement avocat mais on joue aussi au travailleur social, au psy, on va être leur seule béquille quand ils n’en ont pas d’autres. Car leur avenir est entre les mains du gouvernement canadien et c’est nous qui faisons les représentations. Il y a des moments très intenses, très émotifs, avec lesquels on doit composer comme avocats. »
Et maintenant?
La suite est désormais entre les mains du gouvernement canadien.
« On va voir s’il manque des choses, faire monter la pression, rallier l’opinion publique, explique Me Cliche-Rivard. La petite est séparée de son père maintenant. C’est une course contre la montre ».
Les heures qu’il consacre à ce dossier, il a tout simplement arrêté de les compter. « Ce serait trop déprimant », dit-il.
« Mais quand on s’engage dans un dossier comme ça on s’engage à fond, on ne le fait pas à temps partiel ou à temps perdu. Il est important de l’amener à bon port, derrière il y a des rêves, un avenir, de l’espoir. Alors on donne tout et on espère que ça fonctionne ! »
En attendant, le travail des avocats auprès de la famille ne s’arrête pas là.
« On est là pour les aider à s’intégrer ici. Elles ont survécu au décalage horaire qui est horrible! (Rires), plaisante Me Rogov. On les accompagne pour rencontrer des organisations. Il reste beaucoup de choses à faire encore. »
D’ailleurs, la mère et la fille ont déjà des projets plein la tête : Vanessa souhaite s’installer à Montréal, apprendre le français et entreprendre des études. Quant à Keana, la jeune fille de 7 ans rêve de voir des chiens huskies, son animal préféré…
''Avec Radio-Canada ''