Le silence de l’accusé
Julie Couture
2013-11-07 11:15:00
Mais peu importe les réponses que nous pourrons donner, l’incompréhension des gestes commis (ou non) par une personne accusée d’un crime grave soulève toujours l’indignation, et c’est normal. Dans ce genre de dossiers, les médias, les différents intervenants et la société en général prennent l’affaire en main, se battant pour les intérêts de la victime (lorsqu’il y en a une) et crient haut et fort, en parlant de l’accusé, des choses qui ne seront pas répétées dans ce texte.
Souvent, l’avocat de la défense se trouve à être la dernière personne qui continue d’écouter l’accusé. Qui continue de tenter de comprendre sa version, sa vision, et les enjeux qui découlent de cette accusation, comme sa liberté, la conservation de son emploi,sa sécurité financière, mais aussi celle de ses proches.
L’avocat de la défense n’approuve pas le crime.
Il défend l’individu, pas le crime.
Quand tous les regards sont pointés vers son client, quand la société aimerait qu’il soit enfermé pour la vie ou pire, l’avocat se bat pour qu’ il puisse quand même avoir droit à un procès juste et équitable devant un tribunal impartial.
L’avocat de la défense ne se bat pas contre les victimes, il se bat pour que la loi soit respectée, et ce, peu importe les circonstances.
Certaines situations font en sorte que la population s’indigne contre les principes de «défense pleine et entière» et de «présomption d’innocence». C’est normal. Mais ces principes sont essentiels pour que la justice soit rendue de la façon la plus équitable possible. Le non-respect de ces principes serait beaucoup plus choquant et totalement inacceptable.
L’accusé et les médias
Ce qui rend la chose encore plus difficile, c’est que les accusés s’expriment très rarement dans les médias. Or, ce n’est pas parce qu’ils ont nécessairement quelque chose à se reprocher ou à cacher, mais plutôt parce que leur avocat leurs conseille généralement de ne pas parler. Ni aux policiers, ni aux médias.
La raison est simple: la nervosité peut faire dire ou oublier bien des choses qui ne sont pas nécessairement parfaitement exactes. Ces détails pourront ensuite faire perdre de la crédibilité au procès, et parfois, c’est assez pour changer un verdict. Les accusés ont le droit de garder le silence et ce n’est pas pour rien. La grande majorité de nos clients qui ont fait des déclarations l’ont regretté plus tard, d’une façon ou d’une autre.
Les victimes, elles, s’expriment beaucoup plus ouvertement. La société les encourage, avec raison, à briser le silence. Les accusés ont parfois le goût de répondre, de donner leur version, de donner des explications. Mais ils ne le font pas, car tout peut jouer contre eux et les enjeux sont importants. En effet, la couronne utilise systématiquement chacune des déclarations de l’accusé pour tenter de le piéger.
De plus, lorsqu’un accusé donne sa version dans laquelle il nie être l’auteur d’un crime, cette déclaration ne peut pas être prise en compte par le juge. C’est la règle du “self-serving evidence”. Ainsi, seuls les aveux d’un accusé ont le droit d’être analysés par le juge, et non ses propos qui tendent à le disculper. Dans de telles circonstances, aussi bien garder le silence!
Des pouvoirs policiers très larges
Non seulement tout ce qu’un accusé dit peut être retenu contre lui, mais en plus, les policiers ont le droit d’aller jusqu’à mentir pour faire parler des individus.
Ainsi, ils peuvent faire semblant qu’ils ont une preuve d’ADN ou d’empreintes digitales, ou encore qu’un complice vient de l’incriminer en interrogatoire dans la salle d’à côté. Ils peuvent même faire à semblant de faire partie du crime organisé et que l’accusé aura des avantages s’il admet un crime.
Bien que nous contestions encore aujourd’hui ce genre de techniques d’enquête, qui peut selon nous mener à déclarer coupable des innocents, en attendant, nous ne pouvons faire autrement que de leur dire ceci: gardez le silence!
Passionnée par le droit criminel et engagée dans sa corporation, Me Julie Couture a siégé sur un comité au Barreau du Québec qui concernait la conciliation travail-famille.
Membre du Barreau de Laval, elle a longtemps été membre du Barreau de Longueuil où elle a lancé son cabinet d’avocats.
Me Couture est reconnue comme étant une avocate n’ayant pas froid aux yeux et depuis novembre 2011, elle est également chroniqueuse au Journal de Montréal.