De l'AMF à Euronext

Faut-il réglementer les marchés financiers? À cette question, bien des gouvernements dans le monde ont répondu oui et ont adopté des mesures à la suite des scandales des dernières années. Mais toutes ces nouvelles lois, règles, et procédures ont-elles réellement eu l'effet escompté? Voilà la vraie question qui taraude bien des gens ces temps-ci et pour laquelle personne ne semble avoir trouvé de réponse. Or, une jeune avocate de Montréal a décidé de s'y attaquer sérieusement.

Depuis mars 2009, Nicolette Kost de Sèvres, 30 ans, fait la navette entre Sydney et Paris dans le cadre d'un doctorat en finance. Sujet de sa thèse? La mondialisation du droit financier. La jeune femme analyse les effets des règles de droit sur les marchés financiers.

Il s'agit d'un programme commun de l'Australian School of Business et de l'Université Paris Dauphine. Elle a obtenu une bourse du Capital Markets Cooperative Center Research (CMCCR), un organisme universitaire australien qui regroupe des chercheurs universitaires qui s'intéressent à l'avenir des marchés financiers. C'est la première fois que la bourse - dans les six chiffres - est accordée à un avocat.

«Je cherche à comprendre si les lois créées par le législateur et qui régissent les marchés financiers aident vraiment les investisseurs», dit la jeune juriste, de passage cette semaine à Montréal. Dans le fond, explique-t-elle, il s'agit de savoir si le droit et la finance peuvent faire bon ménage.

Un sujet chaud

Il faut en convenir, le sujet est d'actualité, autant au Québec, avec les scandales Norbourg et Earl Jones, qu'au Canada, où les conservateurs veulent harmoniser les commissions des valeurs mobilières, qu'aux États-Unis, où les règles se sont passablement raffermies depuis les scandales du début des années 2000, notamment avec Sarbanes-Oxley (SOX), loi fédérale imposant de nouvelles règles sur la comptabilité et la transparence financière.

Or, justement, quel a été l'effet de la SOX sur les marchés financiers? Y a-t-il eu moins de manipulations? Moins de transactions d'initiés illégales? Les marchés sont-ils devenus plus ou moins efficients depuis? Rien n'est moins certain, affirme Nicolette Kost de Sèvres. «En général, on se rend compte que les effets obtenus ne sont pas aussi forts que l'on aurait souhaité», dit-elle.

Actuellement, Nicolette Kost de Sèvres s'intéresse surtout aux marchés financiers européens. Pour comprendre les impacts de la réglementation, elle et son équipe du CMCCR analysent des milliards de transactions boursières. Une vingtaine de programmeurs travaillent comme assistants sur le projet. Et chose certaine, la thèse de Me Kost de Sèvres suscite de la curiosité.

Consultante pour NYSE Euronext!

Elle intéresse d'ailleurs NYSE Euronext. Au point où la plus grande Bourse du monde a décidé d'acheter le projet de recherche de la jeune avocate et d'embaucher celle-ci comme consultante-chercheuse. Depuis quelques mois, elle est donc installée à Paris, où elle conseille la haute direction de la NYSE Euronext en matière de réglementation.

Nicolette Kost de Sèvres n'en est pas à ses premiers pas en grande entreprise. Au Québec, elle a été pendant cinq ans la conseillère du président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), Jean St-Gelais, avant d'occuper le poste de secrétaire corporatif adjoint d'Air Transat, une société cotée en Bourse. Elle a donc connu ce qui se passe dans un organisme (AMF) qui crée la réglementation et comment ça se déroule dans une société cotée en Bourse. En travaillant aujourd'hui pour une Bourse, elle vient, en quelque sorte, de boucler la boucle.

Et ce n'est pas le boulot qui manque. Car, en matière de marchés financiers, les nouvelles règles européennes sont nombreuses. Depuis novembre 2007, les MiFID (Markets in Financial instruments directive), l'un des éléments clés du plan d'action des services financiers lancé par la Commission européenne, ont permis entre autres une fragmentation des marchés boursiers européens. On a vu naître au cours des dernières années plusieurs Bourses, grandes et petites. Mais comment les réglementer? Et comment s'assurer de la transparence de ces nouvelles institutions?

Pour le moment, Nicolette Kost de Sèvres analyse les impacts de ces nouvelles structures juridiques sur les marchés financiers. Son verdict devrait tomber l'été prochain, alors qu'elle remettra sa thèse de 300 pages, 18 mois avant l'échéance. Mais déjà, on peut prévoir que les règles en matière de finance ne produisent pas les effets escomptés. «Un jour ou l'autre, il faudra créer des lois qui fonctionnent beaucoup plus efficacement», dit-elle. Ce sera peut-être l'objet de son prochain projet de recherche...