Fusion des Bourses: quel impact sur les avocats?
Rene Lewandowski
2011-03-04 15:00:00
La question est de savoir jusqu'à quel point une Bourse fusionnée affectera les grands et moins grands cabinets. Y aura-t-il migration du travail juridique? Certains en profiteront-ils plus que d'autres? Ces questions demeurent sans réponses, mais il est bien difficile d'analyser ce mariage boursier en faisant abstraction des stratégies d'expansion amorcée depuis quelque temps par plusieurs cabinets canadiens, notamment à Londres.
Car si, comme plusieurs le pensent, les émetteurs canadiens seront à moyen terme de plus en plus nombreux à migrer vers la Bourse de Londres, alors les cabinets déjà implantés dans la capitale anglaise sont les mieux positionnés pour en profiter.
Actuellement, une demi-douzaine de firmes canadiennes ont des bureaux à Londres, mais deux en particulier ont une présence significative: Fasken Martineau et Ogilvy Renault.
Fasken ou Ogilvy?
Fasken, rappelons-le, a fusionné en 2007 avec Stringer Saul, petit cabinet-boutique londonien, ce qui lui a permis de devenir l'un des plus importants cabinets du monde en droit minier.
Fasken s'est aussi bien positionné sur le marché boursier spécialisé des investissements alternatifs, AIM. Cela en fait-il pour autant un cabinet privilégié si jamais le mariage TMX-LSE va de l'avant?
« C'est sûr qu'avec un poumon à Londres, nous sommes avantagés «, dit l'associé Jean-Pierre Chamberland, un pro des valeurs mobilières chez Fasken, à Montréal. Il fait valoir que les entreprises qui voudront faire de l'inscription croisée - c'est-à-dire être à la fois listée à Londres et à Toronto - auront tendance à choisir un cabinet bien implanté dans les deux métropoles. D'autant plus, dit-il, qu'avec 16 avocats en valeurs mobilières à Londres, Fasken est en mesure de bien les servir.
Pour Ogilvy Renault, présent à Londres depuis les années 80, la situation est différente. Ce n'est pas avec ce bureau de représentation qu'il profitera de la fusion des Bourses, mais plutôt grâce à son rapprochement avec Norton Rose. Dès juin 2011, en effet, Ogilvy se joindra à ce grand groupe international aux racines britanniques. Le cabinet compte plus de 2500 avocats dans le monde, dont plus de 400 à Londres, avec des groupes de pratique en droit bancaire, financement d'entreprise, fiscalité... Nul doute qu'il s'agit d'un attrait intéressant pour les sociétés lorgnant les deux bourses.
Où se prendront les décisions?
À court terme, il ne faut toutefois pas s'attendre à de grands bouleversements, estime Luc Lissoir, de Gowlings, cabinet canadien qui compte également un bureau à Londres avec une dizaine d'avocats. L'associé est d'avis que la fusion ira de l'avant, mais que les mesures de sauvegarde seront tellement imposantes au début que les emplois et le boulot juridique seront protégés. « À court terme, pas de problème pour les avocats «, dit-il.
À plus long terme, Luc Lissoir est moins convaincu. Il craint que le centre de décisions de la nouvelle entité migre vers Londres, ce qui entrainera également un déplacement de l'expertise des gros joueurs, particulièrement des sociétés qui conçoivent et « fabriquent « des produits financiers, et qui sont de grands donneurs d'ouvrage pour les cabinets d'avocats.
« Si Toronto conserve sa capacité d'innovation de produits, ça devrait aller, dit Luc Lussoir. Car pour les avocats, mieux vaut être proche de la conception. « Me Lissoir souligne que les avocats ont perdu beaucoup de travail depuis que la Bourse de Montréal s'est spécialisée dans les dérivés. Essentiellement, cette Bourse vend des produits mais en conçoit peu. Il n'y a presque plus de prospectus ni de premiers appels à l'épargne, deux sources importantes de revenus pour les cabinets.
Perte d'identité
Alfred Page, associé et chef du groupe de valeurs mobilières chez BLG, à Toronto, est lui aussi plus ou moins optimiste. Il souligne que la Bourse de Toronto a connu du succès grâce à son positionnement très niché dans le secteur des ressources. Or, dit-il, la Bourse de Londres est aussi très forte dans ce créneau. Il craint donc qu'avec la fusion, Toronto perde sa spécificité, qu'elle ne devienne qu'une simple annexe de la Bourse de Londres.
"Si cela se produit, il y aura moins de travail pour les avocats au Canada", dit Me Page.
Autre point fondamental, selon M. Page, concerne la Bourse de croissance, qui permet à de plus petites entreprises de se financer à moindres coûts, et qui, par la bande, est une source importante de mandats juridiques. Intéressa-t-elle la nouvelle entité, plus axée vers les marchés financiers internationaux?
«J'en doute, dit M. Page. Et cela m'inquiète pour les avocats.»