Les avocats de Québec inc.
Rene Lewandowski
2011-06-03 10:15:00
" J'ai appris à la bonne école et je suis arrivé juste au bon moment ", affirme Me Wiener, après toutes ces années toujours chez Heenan, où il est aujourd'hui associé.
Au bon moment, en effet, car quelques années plus tôt, le gouvernement de René Lévesque avait instauré le Régime d'épargne-actions (REA), qui allait connaître un essor sans précédent à partir de 1985. À ce moment, Neil Wiener était prêt pour représenter toutes ces petites entreprises québécoises qui avaient besoin de capitaux et de conseils juridiques.
En 1986, il a participé au premier appel public à l'épargne (PAPE) de Pantorama, un détaillant de jeans qui a levé 11 millions de dollars pour son premier REA, mais qui a depuis été privatisé. L'année suivante, il représentait les Industries Dorel, aussi pour son premier REA de 10 millions. Dorel est devenu un géant mondial avec des revenus de plus de 2 milliards de dollars.
" Une expérience formidable ", raconte Me Wiener.
De cette belle époque des REA, on a surtout retenu les noms des entrepreneurs francophones et de leurs entreprises. De celles qui n'ont pas survécu, et des autres qui en ont profité et qui sont devenues des géants de leur secteur - les Quebecor, Jean Coutu, Cascades, Provigo, Canam Manac... Mais la naissance de Québec inc. a aussi donné l'occasion à toutes sortes de professionnels de faire leurs preuves et d'acquérir des connaissances : des comptables, des courtiers en valeurs mobilières et, bien entendu, des avocats.
" C'était très stimulant d'être avocat à cette époque", se souvient Yvon Martineau, associé chez Blakes, à Montréal. Alors qu'il était jeune avocat chez Stikeman, Me Martineau a piloté l'entrée en Bourse de Canam Manac, de Jean Coutu et de bien d'autres encore. Pour lui, pas de doute, les REA ont contribué à l'essor des avocats francophones dans le domaine des valeurs mobilières.
" Ça nous a forcés à innover dans toutes sortes de domaines, notamment sur la réglementation ", dit Me Martineau.
Yvon Martineau a d'ailleurs donné le premier cours sur les PAPE au barreau. Il se rappelle qu'il y avait beaucoup de critiques, car les gens, à l'intérieur même du barreau, se demandaient ce qu'un avocat francophone pouvait bien connaître aux valeurs mobilières, qui étaient encore la chasse gardée des cabinets anglophones.
Robert Paré, associé chez Fasken, était lui aussi au cœur de ce bouleversement. Il se souvient des longues journées de travail et des nombreux projets qu'il fallait gérer simultanément. Au temps des REA, il y avait beaucoup de PAPE - de 10 à 30 par année - et tous les cabinets d'avocats étaient débordés.
" On apprenait sur le tas tellement le métier était jeune pour les avocats francophones ", raconte Me Paré. Il souligne qu'il y avait davantage de face-à-face avec les collègues, car les moyens technologiques de communication n'étaient pas aussi performants et répandus qu'aujourd'hui.
"On en a passé des nuits chez l'imprimeur pour vérifier l'exactitude des prospectus! "
En revanche, explique-t-il, les entreprises d'hier étaient plus simples à comprendre que celles de la nouvelle économie. Elles avaient des stocks, des immeubles, des comptes clients. Celles d'aujourd'hui n'ont rien de tout cela; en lieu et place, elles ont des brevets et des concepts qu'il faut valoriser d'une autre façon, ce qui requiert d'autres techniques de la part des avocats.
" Aujourd'hui, l'évaluation et les analyses des risques sont beaucoup plus poussées. "
Une chose n'a toutefois pas changé d'un iota, selon l'avocat. Quelle que soit l'époque, les entreprises qui survivent ont toutes un point en commun : un plan d'affaires et une équipe de direction solides.