Le travailliste

Ne clôturez pas vos grévistes!

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Sébastien Parent

2018-03-01 14:15:00

Une décision rappelle que repousser ses grévistes en érigeant une forteresse autour de son entreprise, ce n’est pas très 2018…
Me Sébastien Parent est chargé de cours à Polytechnique Montréal où il enseigne le droit du travail
Me Sébastien Parent est chargé de cours à Polytechnique Montréal où il enseigne le droit du travail
Le droit pour les salariés de manifester en temps de grève devant l’établissement de leur employeur a, depuis longtemps, été fixé par la jurisprudence. Les travailleurs et leur syndicat peuvent en effet ériger une ligne de piquetage devant les lieux de travail, à condition de laisser libres les voies d’accès à l’entreprise et de ne pas s’adonner à des méfaits.

Voilà que des concessionnaires, situés à Saint-Georges en Beauce ( située « entre la ville de Québec et le Maine, pis ça longe la rivière Chaudière », m’a expliqué une amie beauceronne), innovent en installant des clôtures dans le but d’empêcher que les employés en grève puissent manifester aux abords de l’entreprise.

Une clôture pour repousser les salariés en grève

Les conventions collectives étant expirées depuis la fin mai 2016, les syndiqués de quatre concessionnaires déclenchent une grève générale illimitée en novembre 2017. C’est à cette occasion qu’employeurs et associations syndicales ne s’entendent pas sur les lieux du piquetage.

Notons que la plupart des établissements des employeurs en cause sont situés près de la voie publique, laquelle n’est bordée par aucun trottoir. C’est alors que les employeurs décident d’installer des clôtures sur le devant du terrain contigu au boulevard, repoussant ainsi les grévistes de la façade de leur établissement.

Compte tenu des nouvelles « barrières » imposées à leur liberté d’expression, les syndicats entreprennent de faire du piquetage à l’intérieur du périmètre délimité par les clôtures et d’y installer un abri pour se réchauffer. En réponse, les employeurs adressent une demande d’injonction interlocutoire à la Cour supérieure, arguant que leur droit de propriété et leur droit à la libre jouissance des biens empêchent le syndicat d’utiliser leur terrain pour y tenir des manifestations.

Une ordonnance autorisant l’installation d’un abri syndical

Dans sa décision (9352-0096 Québec inc. (St-Georges Ford) c. Syndicat national des employés de garage du Québec inc., 2017 QCCS 5968), la Cour supérieure souligne d’emblée que la liberté d’expression joue un rôle crucial dans les conflits de travail, et elle permet notamment au syndicat de « transporter sur la place publique le débat sur les conditions de travail ».

De la sorte, le piquetage est un moyen d’expression important pour les associations syndicales.

Le juge constate que selon la configuration des lieux et en raison de l’installation des clôtures par les concessionnaires, les salariés ont deux choix : être privés totalement de leur droit de piquetage devant l’établissement de l’employeur ; dresser une ligne de piquetage sur le boulevard.

En conséquence, le tribunal ordonne le retrait de ces palissades. Plus encore, il rend une ordonnance permettant aux syndicats d’établir un abri temporaire sur la propriété de l’employeur. Pour la Cour, le droit de manifester doit s’apprécier en fonction du climat. Autrement dit, sans cet abri, le droit au piquetage serait illusoire en raison du froid hivernal.

Le syndicat, encore symbole du mal ?

Bref, cette décision vient rappeler que considérer les syndicats comme un symbole du mal qu’il faut repousser en érigeant une forteresse autour de son entreprise, ce n’est pas très 2018 tout ça… En effet, l’époque où une grève était considérée comme un complot criminel passible d’emprisonnement est bien révolue.

Il est par ailleurs regrettable que les efforts des parties soient consacrés inutilement à ce genre de litige plutôt que d’être investis dans la négociation des conditions de travail et la recherche de compromis mutuellement acceptables.

Quand le droit du travail verse dans les chicanes de clôture…


Me Sébastien Parent est doctorant en droit du travail et libertés publiques à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Il est aussi chargé de cours à Polytechnique Montréal où il enseigne le droit du travail. Auparavant, il a complété le baccalauréat ainsi que la maîtrise en droit à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Il est également titulaire d’un baccalauréat en relations industrielles de la même institution. Écrivain dans l’âme et procureur devant la Cour suprême du Canada dès le début de sa carrière, Me Parent est l’auteur de divers articles en matière d’emploi et agit aussi à titre de conférencier.
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