« La majorité n’a plus accès à la justice et il faut changer cela »
Dominique Tardif
2017-09-06 10:45:00
C’est vraiment pour poursuivre des idéaux de justice que j’ai choisi le droit. Déjà adolescent, je n’aimais pas l’injustice. Moi qui ne comptais aucun avocat dans mon entourage, c’est en discutant avec un ami du secondaire qui voulait devenir avocat que j’ai été intéressé par le domaine. La discipline semblait répondre à ce besoin que j’avais de combattre l’injustice. Certaines expériences, dont l’iniquité de moyens entre les parties et le fait que l’on puisse parfois forcer une partie à faire quelque chose sans qu’elle ne puisse vraiment combattre, m’ont incité à choisir le droit.
J’ai adoré mes cours à l’université et c’est après ma deuxième année de droit, lorsque j’ai commencé à travailler comme étudiant dans un cabinet, que j’ai su que c’était vraiment ce que je voulais faire.
2. Quel est le plus grand défi professionnel auquel vous avez fait face au cours de votre carrière?
Un de mes plus grands défis est certainement survenu lorsque j’ai été nommé leader du gouvernement au Sénat, à une époque où nous étions en pleine crise sur l’existence même de cette institution et où existait un scandale relativement aux dépenses du Sénat.
Il fallait présenter des motions de suspension de certains sénateurs, ce qui n’avait jamais été fait dans l’histoire du Canada, de façon à mettre un frein à cet espèce de sentiment de non-imputabilité et à rebâtir la confiance des gens envers cette institution. Le fait d’avoir mis en place un processus disciplinaire de responsabilité a sûrement aidé à rebâtir cette confiance. C’était, cela dit, un gros défi compte tenu non seulement de l’attention médiatique, mais de la pression du gouvernement et de celle des pairs. Décider de commencer mon mandat de leader du gouvernement au Sénat en instituant des procédures pour discipliner les membres ne fut évidemment pas une décision facile, mais je croyais fermement que, si l’on ne donnait pas l’exemple et qu’on ne sanctionnait pas les comportements inappropriés, les gens ne pourraient tout simplement pas reprendre confiance.
Mon autre grand défi a été de livrer certaines batailles au gouvernement à mes débuts en pratique privée. J’avais alors, en effet, intenté plusieurs recours « groupés » pour des familles d’accueil prenant soin de personnes malades et dans le besoin. Ces familles d’accueil avaient bien souvent, au fil des ans, développé de profonds liens d’attachement avec ces personnes qu’elles hébergeaient et qui en venaient à faire partie de la famille. Je voulais rétablir le rapport de force qui existait entre elles et le gouvernement, regrouper ces gens qui prenaient soin des malades et se faisaient abuser dans leurs droits, chacun pris isolément, et réparer cette injustice. J’ai donc créé des groupes dans chacune des régions et intenté des recours contre le Ministère de la Santé et des Services sociaux…et j’ai obtenu gain de cause!
3. Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous à la pratique du droit?
Je ferais disparaître les taux horaires et j’améliorerais l’accès à la justice pour éliminer le déséquilibre qui existe actuellement. En effet, les gens de la classe moyenne n’ont plus les moyens de payer pour les honoraires. Ceux qui ont accès à des services sont donc ceux qui peuvent recourir à l’aide juridique, ou encore ceux qui ont d’énormes moyens financiers. Les autres, à savoir la majorité, sont tout simplement expulsés de l’accès à la justice.
4. La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis?
Il m’est difficile de dire si les choses sont mieux ou pires qu’avant. Je pense que, pris individuellement, les gens qui ont une bonne expérience avec leur avocat ou le système judiciaire peuvent changer leur point de vue de façon favorable. Or, vu les coûts et les délais, les gens n’ont souvent pas de bonnes expériences…
Le système de médiation, tant en matière civile que familiale, est peut-être une ouverture et une voie qui permettra de redonner confiance aux gens. Le fait que la médiation puisse être faite de façon assez rapide et qu’elle soit une approche davantage orientée vers des solutions, peut certainement améliorer l’image. Les gens participent par ailleurs alors aux décisions, ce qui rend cette voie souvent plus confortable et acceptable.
5. Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière? Quel est le truc, à votre avis, pour réussir?
Il faut la passion, et aussi le travail.
En effet, la réussite ne vient pas seule : le succès ne tombe effectivement pas du ciel! Il faut être prêt à travailler fort pour maîtriser son dossier. L’expression disant que « le seul endroit où le mot ‘succès’ passe avant le mot ‘travail’ est dans le dictionnaire » peut certainement trouver application ici!
Pour réussir, il faut aussi aimer ce que l’on fait. A défaut d’avoir la passion, mieux vaut faire autre chose : la vie est trop courte! Ne dit-on pas que le droit mène à tout? Nous avons la chance, comme avocat, de pouvoir toucher à une multitude de sujets et de jouer des rôles différents, que ce soit à la cour ou en matière de contrats, comme acteur politique, comme législateur, travailleur humanitaire aussi bien que comme gestionnaire en entreprise : les options sont nombreuses!
- Le dernier bon livre qu’il a lu : Le Code Québec (auteurs : Jean-Marc Léger, Jacques Nantel et Pierre Duhamel)
- Le dernier bon film qu’il a vu : De père en flic 2 (réalisateur : Émile Gaudreault)
- Sa chanson fétiche : « Dust in the Wind » (groupe: Kansas)
- Son expression préférée : « On a les avantages de nos inconvénients et les inconvénients de nos avantages. »
- Son péché mignon : Un bon vin : le Carignan!! (un cépage originaire d’Espagne)
- Son restaurant préféré : L’impressionniste (Saint-Eustache)
- Le pays qu’il aimerait visiter : La Nouvelle-Zélande.
- Le personnage historique qu’il admire le plus – Louis-Joseph Papineau, pour ses revendications patriotiques d’un gouvernement responsable. Il trouve tout simplement fascinant de relire ses discours.
- S’il n’était pas avocat ni politicien, il serait…un humoriste!
Très actif dans la communauté, il a occupé de nombreuses fonctions publiques de haut niveau. Nommé sénateur en 2009, il gravit rapidement les échelons jusqu’à devenir le leader du gouvernement au Sénat, en 2013, où il fait son entrée comme membre du Conseil privé du Canada.
Entre 2000 et 2009, il a été maire de Saint-Eustache en plus de cumuler plusieurs fonctions, dont la présidence du Conseil sur les services policiers du Québec et de la Commission de la justice et de la sécurité publique de l’Union des municipalités du Québec.
Son engagement social et communautaire l’a conduit, entre autres, à fonder la Fondation Élite Saint-Eustache, pour laquelle il a également été président.