L’avocat créateur de solutions
Dominique Tardif
2018-07-11 14:15:00
D’aussi loin que je me rappelle, j’ai toujours été la personne qui intervenait dans la classe si le professeur disait quelque chose d’incorrect par rapport à un autre étudiant, en voulant rectifier les choses. Je me rappelle notamment qu’au secondaire, une professeure avait accusé un élève de tricher. Je savais que ce n’était pas le cas et je l’ai défendu…de sorte qu’on s’est tous les deux retrouvés en retenue! Je ne pouvais tout simplement pas ne rien dire, c’était plus fort que moi! C’est donc en partie pour lutter contre l’injustice et par volonté de représenter les gens victimes d’une injustice que je me suis dirigé vers le droit.
Malgré cet intérêt pour le droit, j’hésitais entre la discipline et les communications. J’ai opté en premier lieu pour un baccalauréat avec une majeure en sciences de la communication. Tout au long de mon parcours, j’ai été très impliqué, qu’il s’agisse du journal étudiant, de celui du Jeune du Barreau de Montréal, du Barreau du Québec, et dans le mouvement étudiant. Le journalisme m’intéressait : j’aimais, en effet, l’idée de pouvoir, par ce métier, expliquer et faire comprendre des enjeux complexes aux gens, afin de contribuer à faire changer et améliorer les choses.
Je me suis cependant rendu compte que ce que j’aimais le plus, c’était de participer à la création de la nouvelle plutôt que de la diffuser ou encore de l’expliquer. J’ai donc bifurqué vers le droit. J’étais naturellement intéressé par les rapports collectifs et le droit administratif, sentant qu’il était possible de faire une différence et d’avoir de l’impact. Le fait qu’il s’agissait d’un secteur du droit dans lequel l’État était – et est encore - beaucoup plus présent que d’autres m’attirait par ailleurs.
Une fois le droit complété, j’ai terminé mon premier baccalauréat par un certificat en relations industrielles, sachant que cela allait m’apporter une idée encore plus globale du secteur vers lequel je me dirigeais, à savoir le droit du travail & de l’emploi.
2. Quel est le plus grand défi professionnel auquel vous avez fait face au cours de votre carrière?
Mon plus grand défi professionnel à ce jour, je le vis actuellement à titre de vice-président de la Commission, responsable du mandat Charte et président par interim de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Le défi est grand vu, notamment, la nature de l’institution, l’importance de celle-ci dans la société québécoise et le fait qu’il s’agit d’un acteur important dans la régulation sociale.
Je suis ultimement responsable de ce que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse fait devant l’Assemblée nationale, et j’ai à répondre devant la société québécoise de ce que l’on fait. C’est une responsabilité qu’on ne peut évidemment prendre à la légère, et cela implique aussi de montrer beaucoup de respect non seulement vis-à-vis de la fonction elle-même, mais aussi des gens qui y travaillent depuis longtemps et qui y ont développé une grande expertise.
Il faut savoir se montrer humble et ne pas arriver en pensant avoir une réponse et une solution à tout. À titre de ‘visage’ et porte-parole de la Commission, mes interventions doivent être calibrées, mesurées et faites dans le respect. Il est primordial de ‘se comporter dignement’, de façon sérieuse et consciencieuse, afin de bien représenter l’institution et de savoir gagner le respect, tant à l’interne qu’à l’externe. À tout cela s’ajoute le défi de gestion, la supervision du budget et les interactions avec les ministères, le gouvernement, etc. C’est un travail très stimulant!
3. Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous à la pratique du droit?
Si j’avais une baguette magique, j’aiderais l’avocat à redéfinir son rôle comme un créateur de solutions. Traditionnellement, l’avocat était vu comme celui qui plaidait. Comme on le sait, c’est souvent la caricature que l’on fait de la profession, mais cela représente une bien faible proportion du travail de l’avocat. C’est encore plus vrai aujourd’hui, compte tenu de la variété des rôles que peut avoir l’avocat. Le recours aux tribunaux étant de moins en moins vu comme une solution à tous les problèmes, l’avocat est amené à redéfinir son rôle.
Si j’avais une baguette magique, j’améliorerais aussi l’utilisation des tribunaux. Un tribunal bien utilisé, ça fonctionne bien. À l’inverse, un tribunal mal utilisé est signe d’un système qui devient vulnérable.
En ce sens, j’aimerais que les technologies ne soient pas autant vues comme quelque chose qui puisse nuire à l’intégrité du processus. Je crois qu’il serait bénéfique de les percevoir de façon plus positive, comme un outil aidant à faire en sorte que le système soit plus accessible. Il existe aujourd’hui des tribunaux entièrement en ligne, par exemple pour les petites créances et disputes de copropriétaires de condominiums en Colombie-Britannique (le Tribunal des résolutions civiles CTR). Il ne s’agit que d’un exemple novateur parmi d’autres qui nous laisse entrevoir une bonne utilisation des technologies, qui n’enlève pas pour autant le rôle du décideur ou de l’avocat et qui bénéficie au citoyen en permettant de se concentrer sur l’essentiel.
Il y a, je crois, un momentum à saisir, et une panoplie de manifestations concrètes de cette volonté de faire évoluer les choses dans le sens du citoyen, ce qui me rend très optimiste.
4. La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis?
Je pense que la perception est sensiblement la même. Bien sûr, les sondages d’opinion sont assez négatifs. Cela s’explique en partie par le fait que le citoyen ordinaire qui a besoin de façon très ponctuelle des services d’un avocat risque de devoir le faire pour une raison fondamentalement négative. On appelle un avocat, bien souvent, quand il y a un vice caché dans la maison qu’on a achetée, quand on perd son emploi, quand on est en procédure de divorce, etc. Compte tenu du contexte, il est à mon avis très difficile de transformer l’image de la profession, sachant qu’elle est très souvent liée à des événements de vie qui ne sont pas heureux.
Par opposition à cela, je crois que les gens qui font souvent affaires avec des conseillers juridiques, eux, développent un véritable rapport avec leur avocat, qui devient un accompagnateur et quelqu’un qui trouve des solutions. Pour eux, la perception est différente et, à mon avis, positive.
5. Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière et voulant connaitre du succès dans le milieu juridique?
La première question est : Aimes-tu ce que tu fais? As-tu du fun?
La réponse doit être positive, sachant évidemment qu’avoir du plaisir ne signifie pas ne pas travailler fort ou ne pas avoir de défi!
Quand quelque chose nous passionne, on trouve toujours une façon d’en faire plus. On peut le faire en s’impliquant, en écrivant des articles, en changeant d’emploi pour se spécialiser, etc.
Il faut donc d’abord identifier ce que l’on aime, et savoir garder sur la pratique un regard qui déborde du cadre habituel. Il y a, en effet, bien des façons de pratiquer et d’être heureux en droit!
Il faut aussi éviter de brûler les étapes et faire preuve d’un peu de patience. Les choses peuvent parfois sembler plus arides et moins intéressantes au début mais, avec le temps, on développe des qualités pratiques qui font de nous un bon conseiller. Il est tout simplement impossible d’être le meilleur à son premier procès!
Il faut aussi accepter que ce que l’on fait nous fera possiblement réaliser qu’on aime moins certaines choses. Il faut se donner le droit de ne pas aimer quelque chose, de changer d’idée et de suivre ses instincts. En bref, ne restez pas dans une situation où vous êtes malheureux!
- Les derniers bons livres qu’il a lus : La femme qui fuit (auteure : Anaïs Barbeau-Lavalette) et l’Ordre du jour (auteur : Éric Vuillard)
- Le dernier bon film qu’il a vu? The Disaster Artist (réalisateur : James Franco)
- Sa pièce de théâtre préférée : J’aime Hydro (mise en scène : Philippe Cyr)
- Sa chanson fétiche : Wake Up (Arcade Fire)
- Sa citation préférée?: « Le savoir, c’est le pouvoir » de Francis Bacon (22 janvier 1591 – 9 avril 1626)
- Il ne peut pas dire non à… une soirée entre amis!
- Le pays qu’il aimerait visiter : Les Balkans et l’ex-Yougoslavie
- S’il n’était pas avocat, il serait… professeur d’histoire.
Philippe-André Tessier est vice-président responsable du mandat Charte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse depuis le 18 décembre 2017. Il assure également l’intérim de la présidence depuis le 15 mars 2018. Avant sa nomination à la Commission, Me Tessier était chef du groupe de droit du travail chez Robinson Sheppard Shapiro, et ce, autant comme avocat que comme conseiller en relations industrielles agréé (CRIA). Diplômé de l’Université de Montréal, il est membre du Barreau du Québec ainsi que membre de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés. Il est également titulaire de la désignation d’Administrateur de sociétés certifié (ASC). Nommé dans « The Best Lawyers » depuis 2012, sa pratique est axée sur le droit du travail et de l’emploi tant pour les entreprises de juridiction fédérale que provinciale.
Me Tessier est très actif au sein de son ordre professionnel ayant été président de l’Association du Jeune Barreau de Montréal (AJBM), secrétaire et trésorier du Conseil du Barreau de Montréal ainsi que membre du Comité exécutif et du Conseil général du Barreau du Québec. Il a également été membre et secrétaire du conseil d’administration d’Éducaloi et président du conseil de la Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ). Monsieur Tessier a également été très impliqué lors de ses études dans le mouvement étudiant collégial et universitaire et a présidé le comité d’accréditation institué en vertu de la Loi sur l’accréditation et le financement d’associations d’élèves ou d’étudiants. Il est membre du Barreau du Québec depuis 2001.