L’avocat des solutions pratiques
Dominique Tardif
2018-03-07 14:15:00
Je n’ai jamais, en fait, envisagé faire autre chose qu’une carrière d’avocat, non pas parce que je n’étais vraiment pas doué pour les sciences et les mathématiques, mais parce que j’étais davantage attiré par les sciences humaines. Ce qui m’a le plus influencé, je crois, c’est que dès le début du secondaire, je percevais déjà que les avocats étaient des agents de changement au sein de la société. Bon nombre d’entre eux, en effet, évoluaient en politique et à l’avant-scène des grands projets sociaux qui ont façonné le Québec. Je m’y intéressais et rêvais d’en faire partie!
Animé par ce désir, c’est probablement pour cette raison que j’ai été très impliqué dans les mouvements étudiants. Promouvoir les intérêts d’un groupe, me faire son porte-parole, présider un conseil étudiant ou une assemblée générale, ça me stimulait beaucoup! Je me sentais donc tout naturellement destiné à faire une carrière d’avocat. Ce bagage acquis durant ces années, suivi d’une implication très active au sein du JBM, notamment comme président à la fin des années 80, m’ont bien servi tout au long de mon parcours.
2. Quel est le plus grand défi professionnel auquel vous avez fait face au cours de votre carrière?
J’ai été appelé à relever plusieurs défis au cours de ma carrière, pour la plupart reliés à ma pratique dans le domaine de l’action collective et à travers mes activités au Barreau du Québec, consacrées au développement de cette spécialité. Cela dit, mon plus grand défi fut sans conteste ma contribution à la création, en 2005, de la Chaire de recherche interuniversitaire Marie-Vincent et du Centre d’expertise Marie-Vincent, qui offrent des services spécialisés et de fine pointe destinés aux enfants victimes d’agression sexuelle et à leurs proches.
Il s’agissait d’une innovation sociale à l’époque. Il y avait un besoin : les services qui existaient à ce moment étaient très diffus, et bien des gens étaient référés à des généralistes dans de telles situations. Nous proposions un projet pour un service qui n’était donc pas « normé », et il fallait vendre l’utilité du service, avec pour objectif de réunir tous les services sous un même toit, qu’il s’agisse de services policiers, d’évaluation physique avec les médecins, d’évaluation psychosociale ou encore de thérapie.
Tout cela impliquait de trouver du financement, obtenir le soutien de partenaires publics et privés, dont celui des ministères de la Justice et de la Santé, et faire l’acquisition d’un immeuble pour abriter les activités du Centre. J’étais entouré d’une équipe de personnes très talentueuses qui, tout comme moi, ont mis tout leur cœur et toute leur énergie dans la réalisation de ce grand projet.
Près de 12 ans plus tard, cette ressource est devenue un incontournable. Le Centre accueille chaque année des dizaines d’enfants et, depuis peu, des adolescents ayant vécu un traumatisme suite à une agression sexuelle pour notamment recevoir des services médicaux et psychosociaux, tout ça en lien avec la recherche dans ce domaine.
3. Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous à la pratique du droit?
Je crois beaucoup dans les bienfaits de la justice participative, plus particulièrement dans les bénéfices que procurent les modes alternatifs de résolution des conflits. Si parfois la seule option est de confier son litige à un juge, bon nombre de dossiers pourraient connaître un dénouement plus rapide, efficace et surtout, moins coûteux, si nous avions davantage le réflexe de le confier à un médiateur, en laissant ainsi le soin aux justiciables de décider eux-mêmes de l’issue d’un différend plutôt que de se voir imposer une solution par un juge. Il s’agirait là d’une économie des ressources judiciaires, à une époque où l’accès à la justice est une préoccupation majeure.
De plus, je crois que le système judiciaire devrait faire preuve d’un peu plus d’empathie et de compassion à l’endroit des justiciables afin de favoriser la réconciliation. Je milite depuis quelques années en faveur de l’adoption au Québec d’une loi sur la protection juridique des excuses, comme cela existe dans la plupart des provinces canadiennes et dans bon nombre d’états américains ayant adopté un Apology Act.
La protection juridique des excuses fait en sorte que, par exemple, une entreprise qui commet un tort et veut s’excuser peut le faire sans que cela ne constitue une admission de responsabilité dans un litige fiscal. Sans cette protection, il devient difficile de faire preuve de compassion et d’empathie, alors que la personne victime recherche souvent justement cela, outre la compensation financière. À mon avis, cela éviterait que bien des litiges ne s’enveniment.
Malgré les demandes adressées au ministère de la Justice, notamment par le Barreau qui a réalisé des études concluantes sur cette question et soumis une proposition visant à modifier le Code civil du Québec, ce projet ne semble pas présentement faire partie des priorités.
4. La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis?
J’étais tenté de répondre d’emblée par l’affirmative à cette question mais, en faisant un rapide sondage autour de moi, je me rends compte que l’on associe trop souvent les ratés du système de justice aux avocats, sans trop s’attarder aux véritables causes. Cela a malheureusement une incidence négative sur la perception du public à l’endroit de la profession.
Afin de demeurer concurrentiels dans un marché de services professionnels en constante évolution, les avocats ont pourtant actualisé et modernisé leurs méthodes en plus de diversifier leurs services. Il faut espérer que le système de justice, à bien des égards archaïque dans ses façons de faire, emboîtera le pas.
Pour bien des clients qui font appel aux services d’un avocat, celui-ci représente davantage un conseiller juridique qui apporte une plus-value précieuse. À mon avis, la féminisation de la profession dans les dix dernières années a eu pour effet d’humaniser davantage la pratique du droit.
Plus que toute autre profession, les avocats participent aux grands débats sociaux, s’impliquent au sein d’organismes communautaires et donnent de leur temps bénévolement dans des activités pro bono. À mon avis, tous ces facteurs contribuent à une meilleure perception du public à l’endroit de la profession d’avocat.
5. Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière?
Il faut travailler fort, savoir écouter, observer, apprendre et persévérer tout en donnant le meilleur de soi-même.
En début de carrière, il ne faut pas hésiter à vivre le plus grand nombre d’expériences professionnelles possible, tout en gardant à l’esprit que l’on grandit à travers ses succès, mais aussi par les leçons tirées d’un échec.
Il faut aussi se fixer des objectifs de carrière réalistes et miser sur ses forces pour les réaliser.
Faites-vous un plan d’affaires personnel avec un horizon d’au moins deux ans au début de votre pratique. N’hésitez pas à faire appel à un mentor qui saura vous guider, vous conseiller et parfois même vous rassurer.
Gardez toujours à l’esprit qu’outre votre compétence, votre bonne réputation est ce que vous avez de plus précieux… et ça aussi, ça se bâtit.
Commencez très tôt à travailler sur votre réseau d’affaires.
Misez sur le long terme plutôt qu’en fonction de bénéfices à court terme – Vous constaterez que c’est davantage porteur!
- Les derniers bons livres qu’il a lu : Les désorientés (auteur : Amin Maalouf) et Soumission (auteur : Michel Houellebecq)
- Il a aimé regarder : Cinéma Paradiso (réalisateur : Giuseppe Tornatore), La Vita è Bella (réalisateur : Roberto Benigni) filmé à Arruzo en Toscane qu’il a eu le bonheur de visiter, et bien sûr Lion (réalisateur : Garth Davis)
- Sa chanson fétiche : Fields of Gold (auteur et interprète: Sting)
- Son expression et sa citation préférées : « Il y a pire épreuve! » et cette citation de Price Pritchett: « If you're experiencing no anxiety or discomfort, the risk you're taking probably isn't worthy of you. The only risks that aren't a little scary are the ones you've outgrown. »
- Son péché mignon : Un dry Martini - Gin Bombay Sapphire…avec 3 olives !
- Ses restaurants préférés : Graziella, à la ville et Bistro 4 Saisons d’Orford, à la campagne
- Les pays qu’il aimerait visiter : L’Inde, le Japon et l’Argentine
- Le personnage historique qu’il admire le plus : Dre Lucille Teasdale, non seulement pour son engagement et son dévouement pour le peuple ougandais, mais aussi pour son courage et sa très grande résilience.
- S’il n’était pas avocat, il serait…horticulteur! Oui, il a le « pouce vert »!
Membre du groupe de pratique Litige commercial au bureau de Montréal du cabinet Borden Ladner Gervais, Me Saint-Onge met son expérience à profit quant à l'orientation stratégique et la gestion des actions collectives dont le cabinet s'occupe. Il a agi dans de nombreux dossiers et plaidé plusieurs causes qui ont fait jurisprudence. Il est reconnu pour son habileté à trouver des solutions pratiques et durables dans des litiges souvent complexes et impliquant plusieurs défendeurs. Il figure parmi les avocats chefs de file en action collective au Canada, notamment dans les répertoires Lexpert, Chambers Canada, Chambers Global, Benchmark et The Best Lawyers in Canada.
Il est médiateur accrédité du Barreau du Québec et membre de l'Institut de médiation et d'arbitrage du Québec (IMAQ).
Depuis 2004, Me Saint-Onge organise et anime le Colloque national sur l'action collective, la plus importante activité de formation continue dans ce domaine au Canada. Il est également président du Comité sur l'action collective du Barreau du Québec depuis 2006.
Me Saint-Onge est lauréat du Prix de la justice du Québec 2007, la plus haute distinction honorifique au Québec dans le domaine juridique.