L’avocate qui veut plus de justice
Dominique Tardif
2018-04-25 14:15:00
Je suis allée en droit à cause - ou grâce à - mon père, un immigrant de première génération venu de Syrie pour s’établir au Québec. Quand il est arrivé, en 1961, il a constaté la présence d’avocats dans toutes les sphères de sa société d’accueil : au gouvernement, dans la fonction publique, en affaires, etc. Nous n’avions pas d’avocat dans la famille - mes parents sont des professionnels de la santé, et mon père m’a poussée vers cette profession qu’il idéalisait.
Par ailleurs, j’avais des aptitudes : toute jeune, j’étais passionnée de lecture. Je pouvais m’enfermer dans ma chambre et dévorer trois livres en un seul week-end! Mes parents en étaient même parfois inquiets! J’avais treize ans et je lisais des ouvrages de Simone de Beauvoir. À onze ans, j’avais lu Le Parrain de Mario Puzo. Je me rappelle d’ailleurs encore combien Tom Hagen, l’avocat de Don Corleone, m’avait troublée : il était représentant de la Justice en sa qualité d’avocat et, en même temps, il faisait partie d’une organisation criminelle…quelle dichotomie!
Après des études au Cégep en sciences pures, j’ai fait des applications en droit et en médecine et, après avoir été acceptée aux deux places, me suis orientée vers le droit. Si j’ai certainement été influencée dans ma décision, je n’ai jamais regretté mon choix! L’idée de défendre les grands principes de justice, de défendre ses arguments et d’exercer son sens de l’analyse m’animait.
2. Quel est le plus grand défi professionnel auquel vous avez fait face au cours de votre carrière?
J’ai passé presque toute ma carrière en entreprise. Il est arrivé que des entreprises au sein desquelles j’ai travaillé ont connu de grandes difficultés au point où « la vie du patient » était en jeu. Ces moments sont de grands défis qu’il faut relever quand ils se présentent. Dans ces cas précis, il a fallu déployer des efforts presque surhumains pour redresser la situation.
Ces moments sont, cela dit, aussi très gratifiants. Dans ces situations, j’ai vu des membres de la direction se « retrousser les manches » et travailler d’arrache-pied, comme une équipe soudée ou encore comme une équipe de hockey en séries éliminatoires. Une fois ces embûches terminées, des liens forts se tissent et notre mémoire est enrichie de moments professionnels inoubliables.
Plus spécifiquement, mon plus grand défi a probablement été vécu lors de ma première expérience en entreprise, chez Telesystem. J’étais enceinte de mon fils et la compagnie vivait des moments difficiles. C’était l’époque de l’éclatement de la bulle technologique : l’action s’est retrouvée à 0.50$, nous étions en défaut, etc. Je ne voulais pas abandonner le navire et étais donc partie en cavale peu de temps après avoir accouché, pour négocier pendant des semaines avec les prêteurs. Cela a duré….deux ans, et ça a fonctionné! Nous avons réussi à recapitaliser, à renégocier la dette et le capital et à vendre en 2006 pour 4,3 milliards de dollars. Ce fut tout un défi de gérer cette situation pour le moins stressante pour l’entreprise avec ma nouvelle vie familiale, mais combien enrichissant!
3. Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous à la pratique du droit?
Je voudrais voir plus de justice dans la pratique du droit. L’accessibilité à la justice est un enjeu important, bien sûr, et je suis d’avis que la communauté juridique devrait déployer davantage d’efforts afin que ce concept devienne une réalité, et la réalité de notre société canadienne.
En tant que diplômés en droit et juristes, nous faisons partie d’un groupe restreint et fort privilégiés de la société; par le fait même, nous sommes redevables et avons certaines responsabilités envers elle.
Mais ce n’est pas tout. Plus de justice veut aussi dire que nous, avocats, devons prendre davantage conscience que nous sommes d’abord et avant tout des Officiers de Justice. Nous sommes les porte-étendards de ce grand pilier de notre société.
J’estime qu’on perd trop souvent cela de vue. Il faut garder ce principe à l’esprit et le mettre en application dans notre pratique de tous les jours. Nous devons nous rappeler que ce devoir-là nous incombe à tous et chacun, peu importe notre champ d’expertise, que l’on soit procureur de la Couronne ou avocat en droit corporatif.
Il faut savoir rester au-dessus de la mêlée, se rappeler quotidiennement d’être le plus juste et équitable qui soit, et ce, malgré des intérêts parfois divergents.
4. La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis?
Quand j’ai commencé ma carrière en droit des affaires, les scandales d’Enron et de WorldCom ont éclaté. Ces fraudes épiques ont entaché le secteur des sociétés publiques, mais elles ont aussi indirectement éclaboussé mon champ de pratique. Je trouvais, bien honnêtement, que ça commençait, un peu mal.
Aujourd’hui, plus de réglementations encadrent les sociétés publiques et le financement corporatif. Le Législateur a fait beaucoup pour mieux baliser ce secteur d’activités. Maintenant, tout le monde connaît les mots « gouvernance » et « régie d’entreprise ». L’activisme des actionnaires aide aussi à maintenir un certain équilibre dans ce milieu. Pour ces raisons, j’ose croire que la perception du public s’est améliorée à l’égard de mon champ de pratique, bien qu’il y ait encore du chemin à faire pour l’améliorer.
5. Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière?
Certains aspirant-avocats ont déjà choisi leur chemin. Pour ceux et celles qui hésitent, il y a les habituelles sirènes qui incitent à choisir la pratique la plus lucrative, la plus valorisée ou la plus reconnue.
Ceci dit, je crois que la question à se poser est : quels sont les intérêts que je souhaite défendre ?
Il est vrai que le droit mène à tout : ce n’est pas un adage creux. Les champs de pratique sont tellement vastes qu’il existe des opportunités, quelles que soient les aptitudes, les goûts et les intérêts d’un aspirant-avocat.
Aujourd’hui, tu peux rêver d’être vétérinaire aussi bien qu’avocat voué à la défense des droits des animaux!
Quand on passe les prochaines décennies à défendre les intérêts d’individus ou de groupes, il faut nécessairement que ces intérêts nous touchent ou nous interpellent.
Le choix de devenir avocat en droit des affaires est plutôt convenu, je le reconnais. Cependant, j’y vois quelque chose de poétique, car je défends les intérêts de la personne morale. Or, une personne morale, c’est comme un enfant. Elle n’a pas de personnalité propre à l’origine. Sa personnalité est celle que l’équipe de direction lui façonnera. Contribuer à façonner cette identité et en défendre les intérêts peut être très stimulant!
- Le dernier bon livre qu’elle a lu :La femme qui fuit (auteur : Anaïs Barbeau-Lavalette)
- Le dernier bon film qu’elle a vu : Miss Sloan (réalisateur : John Madden)
- Elle aime écouter… la discographie d’Amy Winehouse
- Ses citations préférées:
- Son péché mignon : la bonne bouffe, belle dans l’assiette!
- Son restaurant préféré à Montréal: MIA Tapas Indonésiens (rue de Castelnau dans Villeray)
- Elle aimerait retourner…au Japon!
- Le personnage historique qu’elle admire le plus : Marie Curie, une femme déterminée qui a donné sa vie pour sa cause.
- Si elle n’était pas avocate, elle serait…médecin!
« Success is not final, failure is not fatal, it is the courage to continue that counts. » - Sir Winston Churchill, et « Si le problème a une solution, il ne sert à rien de s’inquiéter et s’il n’y a pas de solution au problème, s’inquiéter ne changera rien. » - Bouddha