Arcelor-Mittal acquittée!

Didier Bert
2025-04-17 13:15:05

La Cour du Québec a acquitté l’entreprise minière Arcelor-Mittal d’une accusation de négligence criminelle après un grave accident subi par un employé.
La juge Vicky Lapierre a établi l'acte coupable, mais elle a écarté la faute de l’employeur hors de tout doute raisonnable. La Couronne a la possibilité de faire appel.
Le 7 juin 2019, l’employé Jason Lemieux a été heurté par le couvercle du garde-chaînes d’un convoyeur à l’usine minière d’Arcelor-Mittal à Mont-Wright, près de Fermont. L’accident est dû au bris d'une double chaîne d'entraînement qui se trouve dans un garde-chaîne situé sur un des deux convoyeurs.
Le travailleur subit un traumatisme crânien avec une surdité permanente de l’oreille gauche, plusieurs séquelles à la tête, à l’oeil et à la jambe. « Jason Lemieux a dû recevoir des soins et services de santé dans la région de Québec pour une période s'étalant sur trois à quatre mois. Ses lésions corporelles sont nombreuses et graves. »
Un mois et demi après l’accident, M.Lemieux décide de porter plainte. Il est toujours à l’emploi d’Arcelor-Mittal, mais en arrêt de travail.
De mauvaises décisions, pas de faute
Dans sa décision, le tribunal retient que la succession des événements a conduit à l’accident sans qu’Arcelor-Mittal ait commis de faute, hors de tout doute raisonnable.
Le 6 juin 2019, une intervention était planifiée pour remplacer le roulement et la chaîne du convoyeur. Cependant, « après analyse détaillée en équipe de coordination, il est décidé de reporter l'intervention concernant le remplacement du roulement et du remplacement de la chaîne au 11 juin 2019, à l'arrêt du concentrateur, pour que le personnel et le matériel requis soient disponibles. »
La juge Lapierre écrit: « le 6 juin 2019, les cadres supérieurs de l'accusée ont pris des décisions, que l’on peut qualifier de mauvaises après coup. Toutefois, la preuve acceptée ne permet pas de conclure que ces décisions ont été prises avec une insouciance déréglée ou téméraire pour la santé et la sécurité de Jason Lemieux ou des autres travailleurs. »
Une affaire rare
L’affaire est singulière par le fait que ce soit une entreprise qui a été poursuivie pour négligence criminelle, explique Me Michel Massicotte, qui a représenté Arcelor-Mittal avec sa collègue Me Diana Sitoianu du regroupement d’avocats Roy, St-Jacques, Teolis.
« En matière criminelle, il est relativement rare qu'une corporation soit accusée. Généralement, on accuse des membres d'une compagnie, et on doit alors démontrer que l’âme dirigeante de la compagnie était au courant de ce qui se passait. »
La Couronne, représentée par Me Claude Girard et Me Marc Bérubé, devait faire la preuve de la négligence criminelle en montrant que l'entreprise avait fait preuve d'insouciance téméraire ou déréglée, l’éloignant du comportement attendu d’une personne raisonnable. Pour cela, le poursuivant a fait entendre 22 témoins alors que la défense n’en a appelé aucun.
« Notre preuve a été faite seulement par le contre-interrogatoire des témoins de la Couronne » se félicite Me Massicotte. « Au fur et à mesure du contre-interrogatoire, ma théorie de la cause a pris forme: j'ai trouvé des éléments qui favorisaient la théorie que je défendais. »
Le cœur de l'affaire s'est finalement concentré autour de la question de savoir si les problèmes du convoyeur qui a causé l'accident étaient dus à un manque d'entretien ou à un défaut de conception.
Or, le témoin expert présenté par la Couronne avançait un manque d'entretien de l’équipement. Mais la défense a attaqué son témoignage, pointant un conflit d'intérêts du fait que le témoin avait travaillé dans le passé pour l’entreprise qui a conçu le convoyeur.
Pour leur part, Me Massicotte et Me Sitoianu ont mis de l'avant les programmes mis en place par Arcelor-Mittal en matière d’entretien des actifs et de sécurisation des employés. « Cela ne peut pas forcément empêcher un accident d'arriver, surtout dans le domaine minier où de nombreux accidents surviennent », souligne Me Massicotte.
Le témoignage d’un employé chargé de l’entretien a aussi soulevé des doutes. C'est que sa version à l'audience contredisait la déclaration qu'il avait faite le lendemain de l'accident. Le 8 juin 2019, Gabriel Bourgeois « écrit qu'il ne considérait pas qu'il y avait de danger imminent émanant du CS-01, puisque le garde, qui était bien en place, offrait une protection respectable et l'état général de l'équipement offrait une protection équivalente à celle de ce garde. »
Le 24 septembre 2024, le même témoin donne une version bien différente. « La crédibilité et la fiabilité de son témoignage sont affectées », écrit la juge Lapierre, qui relève aussi l’exagération de plusieurs autres témoins.
Un doute raisonnable subsiste
Au final, le Tribunal conclut qu’il subsiste un doute raisonnable quant à la culpabilité de l'accusée.
« Le poursuivant n'a pas démontré, hors de tout doute raisonnable, que l'accusée, par l'intermédiaire de ses cadres supérieurs, a démontré une insouciance déréglée ou téméraire l'égard de la sécurité de Jason Lemieux, en d'autres mots, que le comportement de ces derniers s'est écarté de façon marquée et importante de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances.
Le fait que des décisions erronées aient été prises préalablement au malheureux accident du 7 juin 2019, pour lequel Jason Lemieux et sa famille vivent toujours avec les lourdes conséquences, n'impliquent pas automatiquement que l'accusée ait fait preuve de négligence criminelle.
Le Tribunal rend une décision en fonction de la preuve présentée et acceptée au procès et non pas en fonction de la preuve qui aurait pu ou dû être présentée. »
La décision est susceptible d’appel.