Nouvelles

Ce que je n’ai jamais raconté : Un livre pour tous les mordus de justice

Main image

Stéphane Tremblay

2023-01-06 14:15:00

Sous la plume d’une journaliste du domaine de la justice, le livre ''Ce que je n’ai jamais raconté'' révèle des histoires à glacer le sang et des procès à donner froid dans le dos…
L’auteure du livre ''Ce que je n’ai jamais raconté'', Isabelle Richer. Sources: Les Éditions La Presse et Radio-Canada
L’auteure du livre ''Ce que je n’ai jamais raconté'', Isabelle Richer. Sources: Les Éditions La Presse et Radio-Canada
L’auteure, Isabelle Richer, a brisé le silence, dévoilant des secrets profondément ancrés en elle. Des images, des paroles et des gestes gravés à tout jamais.

Chacune de ses histoires dévoilées au grand jour sont toutes plus difficiles à lire les unes que les autres.

Affectée au « beat » des affaires judiciaires sur une base permanente depuis 1992, Isabelle Richer a fait ses premiers pas au palais de justice de Montréal avec la défunte Télévision Quatre Saisons (TQS), pour ensuite poursuivre à Radio-Canada, où elle anime aujourd’hui, sur Ici RDI, une émission sur l'actualité judiciaire et policière au pays qui porte son nom.

Celle qui a débuté un baccalauréat en droit à l’Université de Montréal, sans pouvoir le compléter, le travail de journaliste étant trop exigeant, a accepté de raconter à Droit-inc les dessous de son livre, qui est le résumé de 22 procès marquants et significatifs aux yeux de l’écrivaine, et ce, durant les 25 dernières années.

Droit-inc: Avec le titre : ''Ce que je n’ai jamais raconté''. Est-ce que le lecteur, en lisant ce livre, connaîtra les dossiers, les détails, les informations que tu n’as jamais racontées ?

Isabelle Richer : Le titre semble annoncer une avalanche de détails et d’informations jamais révélés auparavant et pourtant, ce n’est pas le cas. Je n’ai pas écrit ce recueil comme un reportage, mais plutôt comme une succession de fragments d’histoires qui étaient restés gravés en moi depuis toutes ces années. ''Ce que je n’ai jamais raconté'', ce sont des impressions, des sentiments, des états d’âme, des émotions très personnelles, bref, toutes choses qui n’avaient pas leur place dans mes reportages lorsque je couvrais les affaires judiciaires. Quand on est affecté au palais de justice pour en rapporter l’actualité, ce n’est pas pertinent de parler de soi. Alors, je ne l’ai pas fait. Pourtant, bien des histoires m’ont troublée et j’ai fait de mon mieux pour les chasser de mon esprit. Ce livre, je n’ai pas voulu en faire une collection des pires horreurs que j’ai vues ou entendues (puisqu’elles n’y sont pas toutes) mais bien plutôt, extraire ces portions d’histoires qui ont eu un écho particulier en moi.

25 ans au palais de justice, tu aurais pu écrire le livre avant. Pourquoi aujourd’hui?

J’ai commencé à couvrir les affaires judiciaires, de façon permanente, en 1992. Il y a donc 31 ans. J’étais allée au palais de justice avant 1992, mais de façon ponctuelle, sans que ce soit mon « beat ». Dans la salle des nouvelles, de TQS où j’ai travaillé pendant onze ans, on y allait tous, à tour de rôle, puisque personne n’était affecté au palais de justice en permanence. Comme j’avais beaucoup aimé mes quelques passages au palais, j’ai demandé et obtenu une affectation permanente. Je n’aurais pas pu écrire ce recueil plus tôt parce qu’il me fallait ce recul, cette distance et, dans une certaine mesure, ce détachement, pour me pencher sur les affaires dont je parle. L’intérêt d’écrire sur ces quelques affaires judiciaires, c’est de pouvoir le faire avec un regard bien différent, un regard augmenté de mon expérience.

Si j’avais voulu le faire sur-le-champ, j’aurais assurément manqué de perspective. Ces 22 récits ne sont pas les 22 affaires les plus marquantes, les 22 procès les plus significatifs, mais bien 22 vignettes tirées d’affaires qui m’ont particulièrement secouée, pour des raisons fort différentes. Ce sont 22 points de vue, qui comportent à l’occasion, des aspects uniques et très personnels parce que certaines de ces histoires m’ont touchée d’une façon insoupçonnée.

Parmi tous ces procès décrits dans ton livre, lequel est le plus marquant et pourquoi?

Il y a plusieurs procès qui m’ont profondément marquée et dont je n’arriverai jamais à me défaire. Certains d’entre eux ne sont même pas abordés dans ce recueil, notamment parce que je ne voulais pas en faire une simple énumération des affaires les plus bouleversantes que j’ai couvertes. Mais pour répondre à la question très simplement, le procès qui m’a durablement marquée et sur lequel j’écris, est celui d’Agostino Ferreira, surnommé le tueur de la rue Laurier.

Pour plusieurs raisons, mais, entre autres, parce qu’il a longtemps échappé à la police, après avoir commis deux meurtres dans une boutique de vêtements sur la rue Laurier… et vraisemblablement une tentative de meurtre peu de temps auparavant dans une autre boutique, rue St-Hubert cette fois. Par la suite, un mystérieux agresseur continuait d’attaquer des femmes dans des boutiques de Montréal et tout laissait croire qu’il s’agissait du même homme.

Cet agresseur en liberté générait une peur collective à Montréal, chez les employées des commerces de vêtements et une mobilisation perpétuelle chez les policiers. Il a été arrêté cinq ans après les meurtres de la rue Laurier et les procès, pour agressions sexuelles multiples et plusieurs autres crimes, ont suivi assez rapidement. L’accusé était terrifiant parce qu’il s’est mis à décompenser en cours de procès. Vociférant, gesticulant, tenant des propos délirants, il revenait ensuite à un discours plus modéré. C’était assez impressionnant d’assister aux audiences. Et puis, il a d’abord été représenté par avocat, mais il a choisi de se représenter seul par moments, ce qui rendait les procédures particulièrement difficiles.

Enfin, de nombreuses femmes sont venues témoigner des crimes dont elles avaient été victimes aux mains de Ferreira et leurs témoignages font partie de mes souvenirs les plus vifs du palais de justice parce que j’étais encore une jeune journaliste, à peine plus âgée que la plupart d’entre elles. Les voir témoigner avec force et dignité, alors qu’elles étaient manifestement brisées, a été un des passages les plus émouvants de ma carrière.

Comment expliquer que certaines histoires sont parvenues à traverser ta carapace?

Sans doute pour les raisons exprimées dans la réponse précédente. Les procès qui nous touchent particulièrement sont assurément ceux où on arrive à se projeter, c’est-à-dire ceux où on peut s’imaginer à la place de la victime. De sorte que lorsque la victime présentait des similarités avec moi (son âge, son occupation, son histoire, son parcours), c’était plus difficile de garder un détachement complet. Et comme la grande majorité des gens, les procès où les victimes étaient des enfants étaient plus douloureux et très confrontant.

Ces histoires heurtent nos valeurs et bousculent nos certitudes. Je connais peu de gens qui ne sont pas sensibles à ces situations. Notre premier réflexe est de se demander comment est-il possible de s’en prendre à un enfant, comment peut-on faire preuve de brutalité avec eux… Au fil des témoignages en cour, on apprend souvent des faits tout aussi troublants en ce qui concerne les accusés. Leur vie de misère, la maltraitance dont ils ont fait l’objet, l’absence d’amour et de bienveillance tout au long de leur triste existence. Ça éclaire. Comme je dis toujours, ça n’excuse en rien les gestes abominables qu’ils ont posés, mais bien souvent ça les explique.

Dans le livre, on apprend que les accusés sont souvent abîmés, rejetés ou abandonnés. Les victimes, elles?

Les généralités sont dangereuses, mais il est vrai que la plupart des accusés dont j’ai suivi les procès étaient des êtres abîmés et rejetés. Quand ils ne le sont pas, ils présentent d’autres carences, des failles qui expliquent le passage à l’acte. Quant aux victimes, je serais bien embêtée de tirer des conclusions sur leur état… avant ou après les crimes. Certaines d’entre elles avaient eu des vies qui les tenaient à l’abri de la violence et des drames, d’autres évoluaient dans un environnement brutal ou toxique. C’est tout aussi difficile d’évaluer leur capacité à récupérer après le crime. J’ai vu et entendu des victimes qui s’exprimaient avec une confiance et une force renversantes, malgré les outrages qu’elles avaient subis, et d’autres, effondrées, plusieurs mois parfois des années après le crime. Je crois qu’il est impossible d’émettre une opinion valable sur cette question.

Tu dis aussi avoir écrit le livre pour te libérer de certaines images qui te hantent, comme une forme de thérapie. Le livre a-t-il été libérateur?

C’est vrai que je souhaitais écrire ce livre pour me défaire de toutes ces images qui m’encombrent, mais je ne suis pas obsédée! Les procès, même les plus troublants, ne m’ont jamais perturbée au point de m’empêcher de dormir, mais certains d’entre eux m’ont marquée de façon durable. En écrivant ce recueil de récits, j’avais une double intention. Me défaire de ces histoires sordides pour faire de l’espace dans mon esprit et peut-être laisser venir l’inspiration pour écrire autre chose, mais aussi, transmettre ce que j’ai retenu de mes vingt- cinq ans d’observation du monde judiciaire. C’est beaucoup plus complexe que le récit des faits bruts.

L’expérience acquise depuis plus de trente ans me donne un regard plus critique et plus juste sur tout ce qui se passe dans les salles d’audience et à l’extérieur de celles-ci. L’expression « il y a toujours deux côtés à une médaille » prend son véritable sens quand on relate les affaires judiciaires. Les choses ne sont jamais unidimensionnelles et il m’apparaissait important de les décrire en posant sur elles mon regard d’aujourd’hui.

Est-ce que l’on naît criminel ou est-ce que l’on devient criminel?

Naître criminel ou devenir criminel, voilà une autre question qui restera sans doute sans réponse définitive. Il y a tellement de facteurs qui interviennent dans la construction des êtres et la détermination de leur destin. Il y a très certainement des personnes qui naissent avec des troubles psychologiques ou psychiatriques qui auront une incidence sur leur comportement, d’autres qui consomment des psychotropes ou des drogues qui influenceront leurs gestes, d’autres encore qui n’auront connu qu’un monde de violence et de privations, à qui on n’aura jamais inculqué de valeurs et qui reproduiront ce qu’ils ont vécu.

Je ne suis ni psychiatre, ni psychologue, mais plusieurs constats se sont imposés au fil de mes années au palais de justice et l’un de ceux-là, c’est que l’humain reproduit la plupart du temps ce qu’il a connu.

Un ou des trucs que tous les journalistes devraient savoir avec un avocat de la défense ou de la Couronne?

Je ne sais pas si on peut parler de « truc » mais ce conseil s’adresse à tous les journalistes et il est bon pour tous les pans de l’actualité qu’on est amenés à couvrir: si on espère être pris au sérieux, il faut absolument se préparer. Savoir de quoi on parle. Ça ne signifie pas à tout prix qu’il faille faire son cours de droit, mais il faut au moins savoir de quoi l’on parle et ne pas compter sur notre interlocuteur pour nous transmettre les informations de base. Bien sûr, les avocats (de la défense ou de la poursuite) seront bien souvent les mieux placés pour nous expliquer les principes en vertu desquels une décision a été rendue, mais il est essentiel qu’on ait fait nos devoirs, c’est-à-dire qu’on ait lu les procédures, qu’il s’agisse d’une requête, d’un jugement, ou de tout autre document. Cela démontre notre sérieux, notre réel intérêt et puis ça prévient les erreurs les plus élémentaires!

L’importance de la proximité journaliste-avocat ou le contraire, la distance est nécessaire entre les deux professions?

Il n’existe pas de balise parfaite pour trancher cette question. Si on est trop proche de n’importe quelle source, le risque de manquer d’objectivité est réel. Mais c’est vrai en sport, en politique comme en finance! Par contre, si on ne développe pas de contacts privilégiés, on n’aura jamais le pouls des affaires et le récit de l’intérieur. Je crois que l’avantage de couvrir un domaine de l’actualité (ce qu’on appelle un « beat ») c’est qu’avec le temps, on fabrique des liens avec des gens de tous les milieux.

Quand j’étais affectée au palais de justice, j’avais des contacts parmi les avocats autant en poursuite qu’en défense, avec des agents correctionnels, des constables spéciaux, des interprètes, des employé.e.s des différents bureaux, des greffiers/greffières, des juges, des enquêteurs de différents corps de police, qui m’ont vue au travail et qui ont pu mesurer le sérieux de ma couverture. Ça m’a beaucoup aidée à bonifier et à étoffer le contenu de mes reportages sans compter que grâce à toutes ces personnes, j’ai beaucoup appris!

Au-delà de la journaliste chevronnée et de l’auteure comment se porte la femme, car tu reviens de loin après un grave accident de vélo en 2015?

L’accident qui a bien failli me coûter la vie s’est produit en 2015 et bien que j’y pense chaque jour, je me porte très bien! Je n’y pense pas pour me lamenter, mais bien parce que j’en garde des séquelles permanentes dont j’éprouve chaque jour les effets. Mais le plus important demeure sans contredit que j’ai retrouvé mes facultés cognitives, ce qui me permet de travailler, de réfléchir et d’analyser les faits.

Comme je suis une passionnée de vélo, de ski de fond et de course à pied, l’autre immense cadeau, c’est que je peux faire tous les sports que je souhaite, comme avant.
4805
Publier un nouveau commentaire
Annuler
Remarque

Votre commentaire doit être approuvé par un modérateur avant d’être affiché.

NETiquette sur les commentaires

Les commentaires sont les bienvenus sur le site. Ils sont validés par la Rédaction avant d’être publiés et exclus s’ils présentent un caractère injurieux, raciste ou diffamatoire. Si malgré cette politique de modération, un commentaire publié sur le site vous dérange, prenez immédiatement contact par courriel (info@droit-inc.com) avec la Rédaction. Si votre demande apparait légitime, le commentaire sera retiré sur le champ. Vous pouvez également utiliser l’espace dédié aux commentaires pour publier, dans les mêmes conditions de validation, un droit de réponse.

Bien à vous,

La Rédaction de Droit-inc.com

PLUS

Articles similaires