Coupable mais résilient!
Nadia Agamawy
2024-03-27 15:00:34
Le Conseil de discipline du Barreau conclut qu’un avocat de renom a commis une faute déontologique. Il n’a pas l’intention de se laisser faire!
Dans une décision rendue lundi dernier, le Conseil de discipline du Barreau a jugé que Me Jean-Marc Fradette, avocat en droit criminel, avait enfreint les règles déontologiques en faisant des déclarations erronées lors d’une émission radio.
Me Fradette et son avocat, Me Éric Le Bel, ont l’intention de contester cette décision en faisant appel devant le Tribunal des professions.
Le 10 février 2023, Me Patrick Richard, en sa qualité de syndic adjoint au Barreau du Québec a déposé une plainte disciplinaire contre Me Fradette après sa participation, en octobre 2021, à l’émission radio Debout la planète. La plainte reproche à l’avocat d’avoir « commis un acte dérogatoire à l’honneur et à la dignité du Barreau ».
Pendant l’émission radiophonique, Me Fradette avait commenté l’affaire en cours de son client, Yvan Truchon, accusé d’avoir sollicité les services sexuels d’une mineure. Me Fradette expliquait que lors de l’interrogatoire de Truchon, le policier en question a fait mention de suicide à maintes reprises en parlant de la gravité du crime de l’accusé.
« C'est tellement grave ce dont on t'accuse, que tu devrais normalement penser à te suicider et qu'on le dise cinq ou six fois », avait rapporté Me Fradette, en évoquant les propos qu'aurait tenus le policier.
Selon la plainte, « l’intimé savait ou devait savoir que cette déclaration était fausse et/ou inexacte, contrevenant ainsi aux dispositions des articles 4 et 19 du Code de déontologie des avocats. »
On reproche donc à Me Fradette d’avoir cité une phrase que le policier n’a pas prononcé et d’insinuer au public que celui-ci aurait incité l’accusé à se suicider vu la gravité de son crime.
De la sémantique
« Jamais je n'ai prétendu que le policier voulait que Truchon se suicide, j’ai dit que le policier disait que son crime était tellement grave qu’il pourrait penser au suicide », explique en entrevue à Droit-inc, Me Fradette.
Dans son argumentaire devant le Conseil de discipline du Barreau, Me Fradette met l’emphase sur son utilisation du conditionnel lors de l’émission. « Le mot clé, c’est “devrais”, je n’ai pas dit “devais”, j’ai dit “devrais”, ça, c’est du conditionnel en français, alors ce n’est pas dans le sens “devais” se suicider ».
Ce que Me Fradette essayait d’expliquer ou de dénoncer, c’est la pression psychologique exercée sur son client. Lorsque le policier parle « à une dizaine de reprises de suicide et de nécrologie, le but est de provoquer une réaction et ainsi de brimer le droit au silence, car quand on est un accusé pris dans un local et on te dit que le crime que tu aurais commis est à ce point grave que tu pourrais penser au suicide, l’objectif, c'est que tu répondes, que tu dises quelque chose », analyse Me Fradette qui rappelle que le droit de garder le silence est sacré sous la Constitution.
Me Jean-Marc Fradette regrette l’interprétation trop sémantique qui a été faite de ses propos.
« Le Conseil s’attache à une interprétation textuelle de la phrase que j’ai mentionnée alors que toute l’entrevue portait sur mon appréciation des comportements du policier », souligne-t-il.
Arrêt Groia de la Cour suprême
En outre, Me Fradette reproche au Conseil de discipline du Barreau de ne pas avoir respecté les directives de la Cour suprême telles qu’énoncées dans l’arrêt Groia c. Barreau du Haut-Canada de 2018.
Dans cette décision, la Cour suprême souligne que « l’avocat de la défense se retrouve souvent seul entre les lyncheurs et l’accusé », c'est-à-dire entre le système judiciaire et la police d’une part, et l’accusé qu’il défend d’autre part.
Concernant le mandat des avocats de défense, la Cour ajoute qu’ « il s’agit d’un mandat de taille. Les avocats sont régulièrement appelés à présenter au nom de leurs clients des observations qui sont impopulaires et parfois inconfortables Ces observations peuvent être sévèrement critiquées - par le public, par le barreau, et même par le tribunal. Les avocats doivent demeurer fermes face à cette adversité en continuant de défendre les intérêts de leurs clients, malgré la forte opinion contraire ».
Enfin, « pour les avocats criminalistes, l’obligation de représenter résolument le client dépasse les obligations déontologiques », précise la Cour suprême.
Me Fradette compte utiliser cet arrêt de référence pour faire appel de la décision du Conseil de discipline du Barreau. « En étudiant textuellement mes propos sans les interpréter dans le contexte où ils ont été rendus, le Conseil n’a pas suivi les enseignements de la Cour suprême », note l’avocat.
« Je vais continuer à vulgariser »
Me Fradette indique que ce n’est pas la première fois qu’il fait face à des plaintes de la part des policiers, des plaintes qu’il perçoit comme « une tentative de me museler, car à plusieurs reprises, j'ai dénoncé des pratiques semblables, des arrestations et des détentions prolongées dans des postes de police. »
Dans la lignée de l’arrêt de la Cour suprême, Me Fradette accepte et assume un mandat qui peut parfois le rendre impopulaire: « en tant qu’avocats de la défense, ce n’est pas notre job d’être populaire, notre job est de défendre bec et ongles les intérêts de nos clients ».
Enfin, « malgré cette plainte, je vais continuer à parler aux médias qui sont les bouches et les oreilles du public, je vais continuer à vulgariser et à dénoncer, à chaque fois que j’aurai l’occasion », poursuit l’avocat, membre du Barreau depuis 1987 et qui a été récemment honoré du prix Antonio Lamer pour sa carrière vouée au droit et à la justice.
Me Fradette attend la date de l’audience où une sanction sera déterminée, allant potentiellement de l’amende à la radiation. Selon l’avocat, une radiation est très peu probable compte tenu de la nature de la faute qui lui est reprochée.
Quand même
il y a 8 moisC'est quand même pathétique un Syndic adjoint incapable de faire un dossier tout simple seul. Il a besoin d'être représentée par une avocate.