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Décès d’une avocate au parcours exceptionnel

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Didier Bert

2024-09-20 10:15:48

Cyprienne Boisclair. Source : JF Gilbert
Cyprienne Boisclair. Source : JF Gilbert
C’est l’histoire d’une avocate, décédée à l’âge de 97 ans, dont le parcours épouse l’évolution de la société québécoise au XXe siècle…

Me Cyprienne Boisclair s’est éteinte à l’âge de 97 ans.

La vie professionnelle de Cyprienne Boisclair est l’histoire d’une enseignante exerçant dans les années 1940 dans une petite école en région… devenue diplômée d’un baccalauréat en droit en 1989, à l’âge de 62 ans.

Née en 1926 à Saint-Samuel en Mauricie, à une époque où la loi ne reconnaît presque aucun droit aux femmes, Cyprienne Boisclair était l’aînée de 10 enfants dont huit filles. De condition modeste, leurs parents ont toujours encouragé leurs filles à bénéficier d'une éducation. Plusieurs d'entre elles obtiendront des diplômes universitaires. Ce n’est pas le cas de Cyprienne Boisclair, qui devra attendre quelques décennies pour cela…

À l'époque, bien loin des cabinets d'avocats, elle enseigne quelques années dans une école de rang, habitant dans la ferme laitière familiale, et se levant à 5 heures du matin l’hiver pour aller allumer le four à bois de l’école.

À l'âge de 21 ans, Cyprienne Boisclair se rend à Montréal pour suivre un cours de garde-malade à l'Hôtel-Dieu, où elle travaille au début des années 1950.

C’est à cette époque qu'elle rencontre son futur mari, Roméo Gilbert, un étudiant en optométrie à l'Université de Montréal. Ils se marient et partent vivre à Shawinigan où l'optométriste reprend le cabinet de son père.

Cyprienne Boisclair se consacre à l'éducation de ses enfants, Jean-Francois et Denis. Elle donne également des cours prénataux d’accouchement. Une fois ses enfants inscrits à l'école secondaire, elle s'implique dans la gestion du cabinet de son mari. « Elle a appris à connaître le milieu local des affaires. Elle participait à des comités de la chambre de commerce de Shawinigan », relate son fils, l’avocat Jean-François Gilbert.

Tournée vers le monde des affaires, Cyprienne Boisclair suit un cours d'agent de voyages au début des années 1980. Elle part alors voyager dans le monde, notamment en Asie. Son mari ne partage pas ses centres d’intérêt, préférant le golf et le chant en chorale à Shawinigan. « Mais il n'a jamais fait obstacle aux intérêts de ma mère », salue Me Jean-François Gilbert.

C'est aussi au début des années 1980 que Jean-François Gilbert entreprend des études de droit, étant admis au barreau en 1984. Simultanément, une grande amie de Cyprienne Boisclair, Monique Dubois, se sépare de l'historien Jacques Lacoursière, et doit gagner sa vie. Monique Dubois s’inscrit à la faculté de droit de l'Université Laval à Québec. « Elle a été l'étincelle qui a amené ma mère à la faculté de droit. Un jour, ma mère téléphone à Monique et lui demande : c'est quoi de faire un cours de droit quand on est plus âgée ? Monique l'a encouragé à s’inscrire », raconte Jean-François Gilbert.

Cyprienne Boisclair s'inscrit elle aussi à la faculté de droit de l'Université Laval, dont elle sort diplômée en 1989. Elle est admise au barreau l'année suivante à l’âge de 64 ans, avec la ferme intention de pratiquer… ce qu'elle fera durant deux décennies.

« Son intérêt pour le droit était distinct du mien », explique son fils, qui a pratiqué droit de l'emploi avant de faire un deuxième baccalauréat, en études asiatiques cette fois. « Le cheminement de ma mère m'a inspiré : si elle l'avait fait à 60 ans, rien ne m'empêchait de faire un bac à 57 ans! »

« C'était amusant de voir ma mère étudier des choses que moi-même je venais d’étudier », dit-il. Et surtout l'enthousiasme qu'elle mettait ! »

Madeleine Ouellet est entrée à l'université en août 1986, au même moment que Cyprienne Boisclair. « Elle avait fêté ses 60 ans la veille du début des cours », se rappelle Mme Ouellet, qui entamait ses études de droit à l’âge de 43 ans. « Nous étions les deux plus âgées parmi les filles. Il y avait des gars dans la cinquantaine, mais eux étaient envoyés par leurs employeurs. (…) Pour nous, c'était l’âge idéal : nos enfants étaient grands! »

Madeleine Ouellet et Cyprienne Boisclair font équipe dans leurs études. « Travailler avec Cyprienne, c'était au téléphone tous les jours », se souvient-elle. « Le droit ne se pratique pas seul, comme il ne s’étudie pas de façon isolée : il faut parler des situations qu'on a à gérer. » Les deux amies continueront de se rendre visite durant leurs pratiques d'avocates, afin de s’entraider.

Cyprienne Boisclair effectue son stage d'avocat au cabinet de Roger Garneau à Québec. L'avocat spécialiste en droit de la famille avait proposé à la stagiaire de rester travailler au cabinet, confie Madeleine Ouellet.

Me Boisclair ouvre son bureau d'avocats à Shawinigan, à l'étage d'un bâtiment où était le Centre des femmes. Quand elle fermera son cabinet pour se consacrer à la médiation, elle exercera d'ailleurs au Centre des femmes.

Défenseure des droits des femmes et des enfants, Me Cyprienne Boisclair a contribué à faire avancer la cause féminine. « Elle n'a jamais accepté les réponses simples, ni qu'on lui dise non. Elle a toujours cherché la voie permettant de défendre les intérêts de ses clients », salue son fils.

Cyprienne Boiclair plaidera jusqu'en Cour d’appel. « Elle était en demande à la Cour d'appel. Elle n'a jamais eu peur. »

L’avocate pratique à son bureau jusqu'à l'âge de 80 ans, avant de ralentir un peu le rythme. Elle se consacre alors à la médiation et à la représentation d’enfants, jusqu'à ses 85 ans. Elle prend alors sa retraite après une vingtaine d'années de pratique.

Cyprienne Boisclair laisse dans le deuil ses enfants Jean-François Gilbert et Denis Gilbert, et ses deux petits-enfants.

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