Des avocats canadiens pressent le gouvernement d’agir
Radio -canada
2023-10-02 12:00:00
Même si cette cause pourrait connaître des avancées devant les tribunaux en 2024, plusieurs intervenants jugent que le dossier progresse trop lentement.
L’ABC, qui représente quelque 36 000 avocats, juges, notaires, professeurs et étudiants en droit au Canada, a publié cette semaine une vidéo du groupe d’improvisation franco-ontarien Improtéine. La capsule, enregistrée en français et sous-titrée en anglais, relance un dossier qui traîne depuis des décennies.
« La vidéo (...) cherche non seulement à conscientiser le public concernant la réalité selon laquelle la majeure partie de la Constitution du Canada n’est pas officielle en français mais aussi à inviter les gens à contacter leurs députés pour leur demander de faire en sorte que la Constitution du Canada soit officiellement bilingue », explique la présidente de la Section des juristes d’expression française de common law de l'ABC, Me Naaila Sangrar, dans une déclaration écrite.
Ce n’est pas la première fois que l’ABC intervient dans ce dossier, rappelle Me Sangrar. Une résolution sur cette question a été adoptée en 2018 et l’Association a présenté plusieurs documents au gouvernement et aux parlementaires.
En 2019, dans une lettre adressée au ministre de la Justice de l’époque, David Lametti, l’ABC soulignait une « contradiction frappante ».
« Alors que la Constitution garantit l’égalité de statut du français et de l’anglais et affirme que le Parlement doit promulguer les lois dans les deux langues officielles, la majorité des textes constitutionnels du Canada sont unilingues », écrivait l’Association.
71 % de la Constitution n’est pas bilingue
Parmi les 31 textes déclarés comme faisant partie de la Constitution du Canada, 22 textes, soit 71 %, ont été adoptés uniquement en anglais et n’ont toujours pas d’équivalent français officiel. Cela signifie qu’à ce jour, ils n’ont force de loi qu’en anglais.
L’article 55 de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoyait pourtant que tous les textes constitutionnels devaient être rédigés en français « dans les meilleurs délais » et que toute partie suffisamment importante de la Constitution devait être déposée pour adoption « dès qu’elle est prête ».
Cette obligation est restée lettre morte, regrette le sénateur indépendant et leader adjoint du groupe des progressistes au Sénat, Pierre Dalphond.
« Ça fait 41 ans! Il y a eu plusieurs gouvernements qui se sont succédé, des partis différents, des premiers ministres différents, et on attend toujours. Pour moi, c'est inacceptable! »
Il ajoute: « J'aimerais que les parlementaires et le gouvernement respectent leurs engagements constitutionnels ».
En mars 2022, à l’initiative du sénateur Dalphond, la Chambre haute a adopté une motion rappelant au gouvernement son engagement d’avoir une Constitution entièrement bilingue.
Quelques mois plus tard, en mai, le sénateur a apostrophé Ginette Petitpas Taylor, alors ministre des Langues officielles, lors de son passage devant le Sénat.
Il souhaitait que la nouvelle Loi sur les langues officielles comprenne l’obligation pour le gouvernement de faire rapport chaque année des efforts déployés pour obtenir une Constitution bilingue.
Son souhait n’a finalement pas été exaucé, même si la ministre avait assuré que le ministre Lametti reconnaissait « son devoir de préparer et de proposer aux fins de communication une version française des lois constitutionnelles qui n’ont pas encore été officialisées dans cette langue » et que le travail se poursuivait au ministère de la Justice.
Crainte politique
L’immobilisme politique a convaincu Serge Joyal, un ancien collègue du sénateur Dalphond, et François Larocque, professeur de droit et titulaire de la Chaire de recherche sur la francophonie canadienne en droits et enjeux linguistiques à l’Université d’Ottawa, de saisir les tribunaux.
« Quand le politique manque au rendez-vous, quand les élus ont trop peur de donner suite à une obligation juridique claire, il revient aux tribunaux de se prononcer », justifie M. Larocque.
Il ajoute: « Si le Canada est un pays réellement bilingue, il faudrait que la Constitution le reflète ».
Une partie du travail a déjà été faite, souligne-t-il. Une version française a été soumise par le Comité de rédaction constitutionnelle française en 1990, mais elle n’a jamais été déposée devant le Parlement, malgré des discussions entamées avec les provinces au cours de ces années-là.
« Les années 1990 ont eu leur impact. Il y a eu une certaine fatigue constitutionnelle qui s'est installée après le référendum de 1995, après les accords échoués du lac Meech et de Charlottetown », analyse le professeur de droit. « On dirait que tout ce qui ressemblait, touchait ou se rapprochait de la Constitution, personne ne voulait en parler ».
Le sénateur Dalphond ne comprend pas cette crainte.
« La réalité, c'est qu'on ne modifie pas la Constitution. On ne fait qu'ajouter une version française qui aura valeur (juridique) comme la version anglaise », dit-il, applaudissant la démarche de MM. Joyal et Larocque devant la Cour supérieure.
Joint par Radio-Canada, le bureau du nouveau ministre de la Justice, Arif Virani, a redirigé les questions vers le Ministère lui-même.
Dans une réponse écrite, ce dernier explique que le dépôt pour adoption par proclamation du gouverneur général relève « autant des gouvernements provinciaux et des assemblées provinciales que du gouvernement fédéral, du Sénat et de la Chambre des communes ».
Cependant, pour le sénateur Dalphond, puisqu'une partie de la Constitution ne concerne que le Parlement fédéral, elle pourrait directement être adoptée par les deux chambres sans passer nécessairement par les provinces.
Avocat
il y a un anLe nouveau ministre de la Justice, Arif Virani, ne s'est pas prononcé dans ce dossier. Quelle surprise!