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Entre justice et injustice

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Le Quotidien

2021-08-10 10:15:00

Entrevue exclusive avec un avocat spécialisé en droit criminel et pénal qui pratique à Jonquière...
Me Charles Cantin. Source : Le Quotidien
Me Charles Cantin. Source : Le Quotidien
Le monde judiciaire a toujours piqué la curiosité de la population. En plus d’être né sous le signe de la balance, Me Charles Cantin semblait destiné à devenir criminaliste. Dès son plus jeune âge, il jouait déjà au défenseur dans la cour d’école. Droit à l’avocat, acquittement pour crimes sexuels, confinement et déconfinement du crime, Me Cantin aborde différents sujets qui ont fait la manchette au cours des derniers mois, en plus de confirmer qu’il a choisi son métier plutôt que la politique.

Expliquez-nous pourquoi vous avez choisi le droit criminel ? Pourquoi la défense plutôt que la Couronne ?

Du plus loin que je me souvienne, les injustices m’ont toujours exaspéré. Que ce soit dans une classe au primaire, à domicile ou à l’extérieur, je dénonçais ce qui m’apparaissait injuste. Dans les années 70, il n’y avait pas beaucoup de filtres. Beaucoup de discours de cette époque ne passeraient pas le test de la tolérance d’aujourd’hui. Il était donc d’opportunisme régulier de se porter à la défense de ceux qui faisaient l’objet d’insultes, de quolibets et de discrimination.

C’était aussi l’époque des coups pendables, mais pardonnables. À 12 ou 13 ans, il pouvait y avoir des écarts comportementaux. Qui dit mauvais coups appelle au loin la police. Encore là, même à cet âge, il fallait négocier un peu pour se soustraire aux pénalités ou aux interventions sporadiques.

Les jardins de carottes et le tir aux pommettes nous exposaient à la présence policière. Dès cet âge, je fis connaissance avec Camil Couture, Jacques Desmeules et Fernando Dicaire, pour ne nommer que ceux-là. Des gentlemen que l’on avait le goût de respecter et d’écouter, par leurs conseils et leur sens du compromis. Devant ces faits reçus, j’aimais argumenter et faire valoir mes points de vue vis-à-vis une situation périlleuse. À une question d’une enseignante au primaire – Francine Thibeault, de l’école Notre-Dame-du-Rosaire – sur ce que l’on souhaitait faire faire dans la vie, j’avais répondu sans hésitation : avocat. C’est donc comme ça que tout a commencé. J’ai commencé ma carrière à l’Aide juridique de Montréal, section criminelle et pénale. Cela fait maintenant plus de 30 ans que je pratique le métier d’avocat en défense.

Au cours des derniers mois, le système de justice s’est retrouvé au banc des accusés, notamment en ce qui a trait aux crimes sexuels. En tant que criminaliste, comment voyez-vous notre système de justice ?

C’est évident que les affaires Rozon et Salvail mettent en relief un certain découragement au sein du public. Ceci dit, des efforts substantiels sont investis afin d’améliorer et de parfaire le système judiciaire. Il faut mentionner que le droit est évolutif. Pour un acquittement, il y a une kyrielle de gens qui sont condamnés ou qui décident de plaider coupables. Nous sommes à l’ère où l’espoir est bien entretenu par la création d’un comité d’experts sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale. L’important, c’est qu’il y ait des professionnels disponibles pour écouter, des gens qui font confiance aux plaignants et plaignantes afin qu’ils et elles soient cru (e) s.

Vous êtes derrière l’arrêt Tremblay, un jugement qui fait boule de neige dans les palais de justice québécois. Expliquez-nous en quoi consiste ce jugement et ce qu’il représente pour les causes de facultés affaiblies.

L’affaire Tremblay (Cour d’appel du Québec), ainsi que plusieurs jugements qui ont suivi, a contribué à ce qu’on soit plus vigilants avec le droit à l’avocat en bordure de la route, plus particulièrement en matière de capacités affaiblies. Depuis janvier 2021, la Cour d’appel du Québec a clarifié quelle était la première occasion raisonnable de communiquer avec un avocat. Avec la prolifération des appareils cellulaires et la possibilité raisonnable de l’utiliser, le droit à l’avocat se fait plus rapidement. L’époque où ce droit se faisait systématiquement au poste de police est maintenant révolue, sauf dans les cas où l’accusé ne manifeste aucun intérêt ou les situations où ce droit devient raisonnable uniquement au poste de police.

La population voit parfois d’un mauvais oeil les avocats qui représentent les accusés. Comment gérez-vous cette pression sociale ?

Il y a beaucoup d’incompréhension par rapport au travail de l’avocat de la défense. Quotidiennement, les gens me posent des questions relatives au fait que l’on représente les figures obscures de notre société. Le mot « représentation » est très important et révélateur de notre fonction de défenseur. Il faut savoir qu’il y a plus de dossiers qui se règlent par des plaidoyers de culpabilité, où nous devenons davantage un représentant qu’un défenseur. Nous sommes à la recherche de la vérité et du respect des droits fondamentaux. Le public doit aussi savoir qu’il y a des programmes et des mesures alternatives en justice criminelle et pénale, et c’est au représentant de l’accusé d’en faire la suggestion à son client, le cas échéant. C’est un métier exigeant, qui demande de l’écoute, de la compréhension et une recherche de solutions. Si ceux qui critiquent notre profession et notre position en défense devaient passer une journée avec mon téléphone cellulaire, la compréhension occuperait davantage de place que le goût de vilipender nos choix et nos décisions.

Au Canada, une personne accusée d’avoir commis un crime est toujours présumée innocente, jusqu’à ce qu’elle soit déclarée coupable. Imaginez maintenant un être cher au banc des accusés ; conserveriez-vous autant votre esprit critique ? Poser la question, c’est y répondre.

Les derniers mois, avec le confinement, ont eu des répercussions sur votre travail. Racontez-nous comment vous avez travaillé dans ces conditions. Avez-vous remarqué un changement au niveau des crimes perpétrés ? Et, d’un autre côté, êtes-vous plus occupé depuis le déconfinement ?

Le confinement issu de la pandémie a eu certains impacts sur la justice. Évidemment, les mesures sanitaires ont, dès le départ, créé certaines inquiétudes. Certains procès ou enquêtes ont été retardés. Avec du recul, il est maintenant réaliste d’affirmer que la justice régionale s’est adaptée aux inconvénients intrinsèques à cette crise. Les situations d’urgence ont fait l’objet d’une attention particulière. Les enquêtes sur cautionnement et la plupart des enquêtes préliminaires ont été tenues. Les procès impliquant des détenus ont procédé. Les gardes en établissement ont continué d’être entendues. D’ailleurs, celles-ci ont augmenté, selon mes observations. L’isolement, le couvre-feu et la situation plutôt anxiogène ont tenu les juges, les avocats et les psychiatres plutôt occupés. Après vérifications, le nombre de décisions judiciaires pour garder des gens en détresse à l’hôpital ou les obliger à suivre des traitements a ostensiblement connu une hausse depuis les débuts de la crise sanitaire.

Les dossiers de facultés affaiblies et d’introduction par effraction ont manifestement connu une diminution. Depuis le déconfinement, ceux-ci ont retrouvé la même constance qu’avant la crise. Sur le plan pratique, la COVID-19 a permis la mise en place d’une présence virtuelle dans les palais de justice. Les détenus n’ont plus à être déplacés, ce qui apporte une grande économie de justice. Sur le plan professionnel, qu’il y ait une pandémie, un incendie ou un méga dégât d’eau, il y a toujours énormément de travail au Saguenay–Lac-Saint-Jean, et les avocats ont beaucoup de travail.

Vous avez songé à quelques reprises à vous lancer en politique municipale, mais vous avez finalement choisi votre métier d’avocat. Pourquoi ? On vous entend beaucoup dans les médias. Est-ce important pour vous de vulgariser votre métier auprès de la population ?

À côtoyer des gens en politique municipale, j’ai réalisé que l’implication est gigantesque. La proximité des citoyens et les besoins essentiels commandent une présence qui rendrait impossible, à l’heure actuelle, la possibilité de conjuguer politique municipale et droit criminel.

Dans un autre temps, il est toujours intéressant de commenter l’actualité judiciaire. La complexité et la non-connaissance du système judiciaire nécessitent une certaine vulgarisation, laquelle aide à mieux comprendre les méandres de la justice criminelle. Ceci aide également à pondérer une certaine désinformation occasionnelle que l’on retrouve sur les médias sociaux.

Note

Cet article a été publié par le journal le Quotidien. Il est reproduit ici avec l’autorisation de la publication.

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2 commentaires
  1. Claude Tremblay
    Claude Tremblay
    il y a 3 ans
    "Exclusif", vraiment?
    Si l'article provient d'un autre journal (le Quotidien, en l'espèce), il ne s'agit pas d'une "entrevue exclusive", qui signifierait que seul vous l'avez.

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a 3 ans
    La tolérance, c'était les années 70, pas aujourd'hui !
    " Dans les années 70, il n’y avait pas beaucoup de filtres. Beaucoup de discours de cette époque ne passeraient pas le test de la tolérance d’aujourd’hui."


    à cette époque, les hétéros pouvait traiter les homos de "tapettes", ou de "tapettes hawaiennes", sans se faire condamner par la Commission des droits de la personnes, et, de leur côté, les "tapettes" faisaient grand bruit dans l'espace public ("Coco" Douglas Léopold et Michel Girouard, entre autre). Elles joussaient également d'une marge de manoeuvre beaucoup plus grande qu'aujourd'hui pour consommer de la "chaire fraiche".

    Les militants LGBTQ d'aujourd'hui ne savent peut-être pas (ou préfèrent peut-être ne pas le savoir), mais à cette époque le militantisme homosexuel avait de très forts accents pro-pédophilie. L'age du consenement était à 14 ans (il l'a été jusqu'en 2008), avec des exceptions moins nombreuses qu'aujourd'hui, et un air du temps qui était au laissez-faire généralisé.

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