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Faillite des géants du tabac : les tribunaux ont perdu de vue la douleur des familles

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Radio-canada Et Cbc

2024-09-24 10:15:40

Murielle Boileau-Monette, Sylvain Fortin, sa sœur Hélène Fortin, le 18 juin 2019, jour du 80e anniversaire de la mère de M. Fortin. L'octogénaire mourra10 mois plus tard de maladie pulmonaire obstructive chronique. Source : Radio-Canada
Murielle Boileau-Monette, Sylvain Fortin, sa sœur Hélène Fortin, le 18 juin 2019, jour du 80e anniversaire de la mère de M. Fortin. L'octogénaire mourra10 mois plus tard de maladie pulmonaire obstructive chronique. Source : Radio-Canada
Les trois géants du tabac au Canada ont obtenu 12 sursis des tribunaux pour se protéger contre leurs créanciers depuis 2019…

Après la mort de ses parents, Sylvain Fortin n'attend plus rien aujourd'hui de l'action collective des 100 000 victimes du tabagisme au Québec, malgré leurs deux victoires devant les tribunaux de cette province. Il se dit convaincu que les entreprises de tabac n'indemniseront presque plus personne, parce que les procédures judiciaires traînent en longueur depuis 25 ans.

Sylvain Fortin peut faire une croix sur sa part d'indemnisation. Son père est décédé d'un cancer de la gorge en 2002 et sa mère, de maladie pulmonaire obstructive chronique en 2020. Sa mère était la seule héritière du père, qui en était l'unique héritier. Il n'aura donc droit à aucune indemnité de la part des géants du tabac, qui tentent d'échapper à la faillite depuis plus de cinq ans.

Si un éventuel dédommagement devait voir le jour devant les tribunaux, seuls les survivants et leurs héritiers directs verront la couleur de leur argent. Et encore.

« Les compagnies de tabac s'en tirent très bien, puisque le nombre d'indemnisés diminue de façon importante avec le temps », explique-t-il.

« Après un quart de siècle, que reste-t-il? », s'interroge le juriste de formation de 62 ans, qui travaille comme recherchiste en droit de la santé.

« C'est extrêmement désolant, cela démontre à quel point le système judiciaire est déficient et qu'il est à trois galaxies d'être en mesure de protéger efficacement les victimes et leurs familles », poursuit-il.

Les négociations, qui se poursuivent à huis clos entre les cigarettiers et leurs créanciers, n'augurent rien de bon selon lui, à plus forte raison si les trois entreprises demandent un 13e sursis cette semaine afin de prolonger la protection qu'elles ont obtenue des tribunaux ontariens.

« Avec la mort des malades et de leurs héritiers, cela devient un recours collectif pour qui? Pour personne », ajoute M. Fortin.

Une réorganisation qui s'éternise

Les compagnies JTI-Macdonald, Rothmans, Benson & Hedges et Imperial Tobacco ont jusqu'au 27 septembre pour compléter leur restructuration financière avant que la protection ne prenne fin.

Les trois entreprises traversent une crise depuis que la Cour d'appel du Québec les a forcées, en mars 2019, à indemniser, à hauteur de quelque 14 milliards de dollars, 100 000 victimes du tabagisme dans cette province.

Après leur défaite, les géants du tabac s'étaient tournés vers un tribunal ontarien pour bénéficier d'une protection contre leurs créanciers et éviter de mettre la clef sous la porte de leurs usines au Canada.

La Cour supérieure de l'Ontario avait donc suspendu le jugement de la Cour d'appel du Québec et, du même coup, toutes les poursuites judiciaires entamées contre les entreprises de tabac au Canada. Les provinces et les territoires tentent de récupérer les sommes d'argent qu'ils ont investies durant des années dans les soins aux malades du tabagisme.

Sylvain Fortin affirme que les gouvernements n'auraient jamais dû se mettre le nez là-dedans, parce qu'ils sont entrés en compétition directe avec les victimes du tabagisme.

« Les gouvernements démontrent leur absence de compassion par rapport aux familles concernées, ce sont les victimes qui doivent être indemnisées en premier », souligne-t-il en les qualifiant de profiteurs.

Capitulation face à la mort

Ironiquement, Sylvain Fortin rappelle que ce sont les survivants et leurs familles qui payent les honoraires des avocats des gouvernements dans ce litige par l'intermédiaire de leurs impôts.

« C'est dans nos maisons que les maladies liées au tabagisme sont vécues par les victimes, leurs conjoints et leurs enfants », déclare-t-il.

Il se souvient des souffrances que ses parents ont dû endurer avant de mourir. « Faire face à la maladie et à la mort, ce n'est pas rien », ajoute-t-il.

M. Fortin rappelle qu'une infirmière venait voir son père à la maison après qu'il eut subi une trachéotomie.

« On a perdu de vue la souffrance des gens », dit-il. Il explique que sa mère a cessé de fumer à la mort de son père, mais qu'il était trop tard pour elle aussi, parce que sa maladie était imperceptible au début.

M. Fortin affirme que les provinces ne devraient intervenir que dans l'intérêt de la santé publique en taxant davantage la vente de cigarettes, parce que les messages sur les dangers du tabac ne sont pas encore assez dissuasifs.

Il faudrait éliminer selon lui le problème à la source. « Si les gouvernements savent tant que cela que cela coûte cher de soigner les malades dans les hôpitaux, qu'ils interdisent alors la vente de tabac au pays », explique-t-il.

M. Fortin croit que les jeunes n'ont aucune raison de ne pas connaître les méfaits du tabac, parce que les informations à ce sujet sont aujourd'hui abondantes, ce qui n'était pas le cas dans les années 1940 et 1950.

« Les compagnies sont au courant depuis longtemps que la nicotine crée de la dépendance, mais leurs intérêts corporatifs les ont poussées à fidéliser leur clientèle », déclare-t-il.

Haro sur les cabinets d'avocats

M. Fortin ajoute que les cigarettiers auraient dû être poursuivis au criminel, parce qu'ils ont sciemment mis la population en danger selon lui.

« C'est intolérable qu'elles puissent s'en tirer aussi bien », déclare-t-il. Il croit que la Cour supérieure de l'Ontario devrait rejeter toute nouvelle demande de sursis pour forcer la restructuration ou la faillite des géants du tabac et indemniser les survivants et leurs héritiers au moyen du produit de la vente de leurs actifs.

« Que peuvent-ils bien se dire depuis cinq ans et demi dans ces négociations? », demande-t-il à nouveau en déplorant le manque de transparence dans le processus de restructuration.

Sylvain Fortin n'est pas tendre non plus à l'endroit des avocats qu'il qualifie de vautours. « Les malades du tabagisme sont les victimes des compagnies de tabac, des gouvernements et des cabinets d'avocats », dit-il.

Il accuse les avocats de protéger leurs intérêts depuis 25 ans et il affirme qu'un nouveau sursis ne ferait que cultiver le cynisme dans la population au sujet de l'administration de la justice.

« Les gens vont croire encore une fois que seuls les grands et les puissants s'en sortent et que seules les personnes vulnérables sont laissées à leur sort », conclut-il.

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