Le champion de l’incorporation aux États-Unis prépare sa relève
Sophie Ginoux
2024-04-03 15:00:55
Avocat, entrepreneur, innovateur, professeur … Un Québécois au succès monstre aux USA depuis près de 30 ans, revient sur son parcours et souhaite devenir un mentor…
Alors qu’on s’attend à voir apparaître à l’écran un monsieur derrière un bureau en veston-chemise-cravate, on voit surgir un homme debout, mobile, souriant, arborant un polo aux couleurs de Corpomax. Et on comprend immédiatement que notre rencontre avec lui ne sera pas banale.
Mais rien n’est banal non plus dans le profil de Me Vincent Allard. Ce Barreau 1981, qui a pratiqué le droit des affaires, le droit corporatif et le litige commercial pendant plus de 18 ans, principalement à titre d'associé principal au sein du cabinet d'avocats Pigeon, Allard à Montréal, a changé la vie de dizaines de milliers de personnes depuis 1995. Comment ? En créant des concepts légaux aussi uniques que pratiques.
Itinéraire d’un succès
Me Vincent Allard n’est pas seulement avocat. « J’ai compris très tôt que je voulais avoir la liberté de décider de mon présent et de mon avenir » indique celui qui a obtenu en plus de son Barreau une maîtrise en droit des affaires de l'Université d'Ottawa et une maîtrise en administration des affaires (MBA) à HEC.
Bardé de ces diplômes, Me Allard aurait pu devenir un avocat émérite en droit administratif au Québec. Mais non ! En 1999, il a plutôt plié bagage en l’espace de 48 heures avec son ex-femme notaire et ses quatre enfants pour tenter sa chance… dans le Delaware ! Une décision spontanée qu’il n’a jamais regrettée.
« Je crois fermement qu’il ne faut pas trop réfléchir avant de foncer, sinon on ne fait rien » indique-t-il. Bien lui en a pris, car deux ans plus tard, il allait au hasard d’une entrevue pour un poste de direction découvrir sa prochaine vocation. « Je suis rentré ce jour-là dans un minuscule bureau d’incorporation d’entreprises d’une employée, et j’en suis sorti en me disant que je pourrais faire bien mieux à ma façon. »
Au mois de mai 2001, l’avocat-entrepreneur fondait Corpomax, qui allait devenir une championne des services de création de sociétés et de dépôt de marques américaines.
Une petite société si grande
Corpomax a jusqu’à aujourd’hui créé plus de 5000 sociétés à travers les États-Unis, pour le compte de clients, majoritairement francophones, provenant de 53 pays différents. Parmi eux, on retrouve entre autres la CDPQ, Cogir, Moment Factory, Hydro-Québec, ou encore les sociétés de Céline Dion. Un exploit incontestable quand on sait que l’équipe de Corpomax ne compte que cinq employés.
Pourtant, ce succès ne s’est pas fait du jour au lendemain. Comme le raconte Me Vincent Allard, « J’ai commencé officiellement mes opérations le 1er septembre 2001… c’est-à-dire 10 jours avant l’événement du 11 septembre. Alors, inutile de vous dire que j’ai trouvé le temps long pendant les mois qui ont suivi ! J’étais même devenu le roi du plumeau sur ordinateur, ha ha! »
Qu’importe ce début un peu cahoteux, six mois plus tard, l’avocat a trouvé dans sa boîte aux lettres une toute première demande d’incorporation ; suivie de milliers d’autres par la suite. Mais la chance n’y est pour rien. Me Allard a été le premier à traduire intégralement en français toutes les règles relatives aux incorporations et aux dépôts de marque américains. Il est aussi le seul, parmi ses quelque 150 compétiteurs, à assurer un service impeccable en français à ses clients.
« Je suis très fier de travailler dans ma langue, dit-il. Et je suis reconnu comme une personne maladivement rigoureuse, ce qui me sert bien dans mon métier. Car quand on réalise des dossiers aussi techniques que ceux de Corpomax, on n’a pas le droit à l’erreur, sinon on risque de nous revenir dessus en plus de pénaliser le client. »
Corpomax… mais aussi Jurifax!
Même si Corpomax a marqué les esprits, il est impossible de parler de Me Vincent Allard sans évoquer son premier galop d’essai (et de succès) dans le monde de l'entrepreneuriat: Jurifax.
Pour la petite histoire, l’avocat pratiquait déjà quand il s’est lancé dans des cours du soir à HEC, en vue d’obtenir son MBA. Mais comme il détestait vertement les statistiques et échouait ses examens dans cette matière, il s’est fait aider par un certain Michel Vincent.
Les deux hommes ont rapidement passé outre les chiffres et se sont liés d’amitié. Si bien qu’ils ont cofondé en 1995 Jurifax, dont le principe innovant reposait sur la commande automatisée de modèles de contrats. Du jamais vu à cette époque, ce qui a même poussé Bell Canada à créer de toutes pièces une ligne de fax tarifée dédiée aux demandes de contrats et à leur facturation directe sur des relevés téléphoniques!
Évidemment, par la suite, les documents de Jurifax sont passés au web. « Mais aujourd’hui encore, 29 ans et 600 modèles de contrats (en français et en anglais) plus tard, ce concept marche toujours, se félicite Me Allard. Et cette expérience m’a fait comprendre qu’on pouvait faire du droit autrement, en gagnant bien sa vie sans travailler 22 heures par jour. »
Passer le flambeau
Depuis quelque temps, l’avocat qui calcule ses années uniquement en chiffres américains – « Ce qui me donne à peu près 28 ans, n’est-ce pas? » dit-il à la blague – commence à songer à léguer son expertise et une société en pleine vitalité.
Très actif au sein de Corpomax, mais aussi auteur de trois guides pratiques sur sa spécialité, ainsi que formateur pour le Barreau du Québec, l’American Chamber of Commerce in Canada et bien d’autres institutions, Me Vincent Allard semblerait au premier abord à mille lieues de penser à sa relève. « Mais je ne suis pas éternel non plus ! lance-t-il. Après 23 ans à la tête de cette entreprise, j’ai envie de lâcher du lest et de devenir le mentor d’autres personnes. »
Les heureux ou heureuses élus de l’entrepreneur à succès se cachent, selon lui, au Québec. « J’aimerais trouver un avocat en droit commercial ou corporatif aussi passionné et soucieux du détail que moi, ainsi qu’un parajuriste auxquels je pourrais partager tout ce que je sais et laisserais progressivement les rênes » explique-t-il.
Oui, mais une carrière dans le Delaware, c’est moins sexy qu’en Californie, diraient certains. « Eh bien, détrompez-vous ! rétorque l’avocat, avant d’ajouter que cet État se trouve tous près des villes grouillantes de New York et de Philadelphie, à une heure d’avion ou à huit heures de voiture du Québec, et qu’on n’y paie pas de taxes.
« Je pense donc que le positionnement stratégique de Corpomax, ainsi que l’expertise hors-normes que des fonceurs peuvent venir chercher auprès de moi seront des atouts majeurs pour leur carrière. Sans compter qu’ils pourront avoir des heures de travail bien plus raisonnables que dans un cabinet. » Alors, à qui la chance?