Le juge Galiatsatos visé par une plainte en déontologie
Radio-Canada Et Cbc
2024-06-12 10:15:39
L'organisme Droits collectifs Québec réclame l'ouverture d'une enquête publique au Conseil de la magistrature…
L'organisme Droits collectifs Québec (DCQ) demande au Conseil de la magistrature de déclencher une enquête publique sur le juge Dennis Galiatsatos, qui a rendu le mois dernier une décision qui a fait grand bruit en déclarant inopérant au criminel un article de la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (dite « loi 96 »).
La plainte de quatre pages, dont Radio-Canada a obtenu copie, a été déposée la semaine dernière par le directeur général de DCQ, l'ex-député péquiste Étienne-Alexis Boucher.
Elle soutient qu'en déclarant l'article 10 de la loi 96 incompatible avec le Code criminel, le juge Galiatsatos, qui siège à la Cour du Québec, aurait enfreint son code de déontologie, qui prévoit que le rôle d'un magistrat est de rendre justice dans le cadre du droit
et qu'il doit de façon manifeste être impartial et objectif.
Ces manquements présumés méritent minimalement dénonciation et réprimande,
plaide M. Boucher. D'où sa requête au Conseil de la magistrature du Québec, qui devra maintenant examiner la plainte pour déterminer si elle est recevable ou non.
Le directeur général de DCQ reproche notamment au juge Galiatsatos d'avoir contrevenu à ses obligations déontologiques en s'attaquant
à la loi 96 en violation du principe de séparation et de l'indépendance des pouvoirs
et en s'étant placé en situation de conflit d'intérêts et de partialité.
Le juge n'est d'aucune manière au-dessus des lois. Il ne dispose pas du pouvoir inhérent de se poser en inquisiteur de la validité constitutionnelle des lois du Québec; encore moins avant leur entrée en vigueur; encore moins celui d'en prononcer de son propre chef l'invalidité au nom du régime constitutionnel canadien; et encore moins alors que les parties lui demandaient explicitement de ne pas le faire.
- Étienne-Alexis Boucher, directeur général de Droits collectifs Québec
Cette affaire se déroule en marge d'une poursuite pour conduite avec les facultés affaiblies et négligence ayant causé la mort, intentée contre une automobiliste, Christine Pryde, qui a demandé à être jugée en anglais. L'accident, survenu dans l'Ouest-de-l'Île, a coûté la vie à Irene Dehem, une cycliste.
Comme les faits remontent à 2021, les avocats de l'accusée ont demandé un arrêt des procédures en vertu de l'arrêt Jordan, que le juge Galiatsatos, affecté au dossier, doit maintenant évaluer.
Or, pour procéder à cette appréciation, le magistrat a, de son propre chef, remis en question la constitutionnalité d'un article de la loi 96 exigeant la traduction « immédiate et sans délai » de tous les jugements rendus en anglais à compter du 1er juin, ce qui, selon lui, pourrait retarder les procédures.
Appelé à intervenir, le Procureur général du Québec, qui représente les intérêts du gouvernement, a tenté de s'opposer à cette initiative en déposant une demande de contrôle judiciaire devant la Cour supérieure, mais cette requête a été rejetée le 17 mai dernier.
Le jour même, le juge Galiatsatos déclarait l'article 10 de la loi 96 inopérant en droit criminel qui, selon lui, ne relève pas des compétences du Québec, mais plutôt de celles d'Ottawa – un jugement duquel le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a promis de faire appel.
Une question de droit ou déontologie?
Bien que DCQ ne soit pas partie prenante de l'affaire en cause, qui se poursuit ces jours-ci à la Cour du Québec, l'organisme estime que le juge Galiatsatos a notamment outrepassé ses pouvoirs en soulevant de son propre chef (proprio motu) une question constitutionnelle sans qu'aucune des parties
ne le lui ait demandé.
Professeur en droits et libertés de la personne à la Faculté de droit de l'Université Laval, Louis-Philippe Lampron convient que cette façon de faire pourrait être débattue à la fois devant le Conseil de la magistrature et devant le tribunal.
C'est certain que, en ce qui concerne le proprio motu, considérant l'insistance dont a fait preuve le juge Galiatsatos, peut-être qu'on entre dans cette zone-là, où le comportement du juge peut être pris en considération par le Conseil de la magistrature
, a-t-il estimé en entrevue avec Radio-Canada.
Mais dans les faits, c'est très difficile de savoir, parce que le juge met de l'avant beaucoup, beaucoup de décisions [juridiques] pour justifier pourquoi, selon lui, il avait le droit de forcer le débat.
La question est d'autant plus intéressante que la décision rendue par le juge Galiatsatos le 17 mai, sans invalider l'article 10 de la loi 96, pourrait inspirer d'autres magistrats à continuer de publier des jugements en anglais sans attendre la traduction française de ceux-ci, une façon de faire à laquelle Québec voulait justement mettre fin.