Nouvelles

Les dénonciations publiques sur internet

Main image

Julie Couture

2020-07-14 11:15:00

Notre chroniqueuse criminaliste estime que ce qui se passe en privé devrait être réglé en privé. Et non dans des procès «en ligne». Êtes-vous du même avis?
Me Julie Couture est avocate criminaliste depuis 2003. Photo de courtoisie.
Me Julie Couture est avocate criminaliste depuis 2003. Photo de courtoisie.
Si un crime a été commis, il devrait être dénoncé à la police pour éviter le risque de récidive de l’agresseur. Je suis également d’avis que davantage de programmes d’aide doivent être offerts aux gens qui ont des problèmes, et que des suivis réguliers doivent en faire partie, afin que la fréquence de ce genre de crime diminue.

Ceci dit, on assiste ces jours-ci à de bien étranges et surtout très nombreux "procès" en ligne et mea culpa publics, suite à une vague de dénonciations qui continue de faire des victimes encore en ce début de semaine... Que doit-on penser de ce phénomène?

Le rôle des CAVAC

Nous savons que les victimes d'actes criminels et d'agressions ont besoin de soutien pour traverser l'épreuve qu'ils ont subie. En tant que société, nous avons investi beaucoup d'argent dans les centres d'aide aux victimes d'actes criminels (CAVAC). Le rôle des CAVAC est d'offrir des services aux personnes qui ont été victimes ou témoins d'actes criminels, en collaboration avec des intervenants du milieu judiciaire, du réseau de la santé et des services sociaux et des organismes communautaires. (Source : https://cavac.qc.ca/)

À chaque contravention remise à un citoyen, une contribution spéciale va aux CAVAC. Ils accumulent ainsi beaucoup d'argent pour aider et soutenir les victimes d'actes criminels, ce qui est une excellente chose. Des gens ont été formés adéquatement pour travailler avec les victimes de ces traumatismes particuliers.

Notre justice est publique et transparente. Oui, le processus peut être long, ardu et pénible. Mais il fait son œuvre et ceci est important pour la mise en place de ce qu'on appelle l'administration de la justice.

À l'ère des médias sociaux

Évidemment, nous sommes à l'ère du numérique, de l'instantané et des médias sociaux. Qui n'a jamais eu une "montée de lait" sur Facebook, à propos d'une expérience désagréable, quelle qu'elle soit? Certains individus partagent pratiquement tous les aspects de leur vie en ligne. Il n'est pas surprenant que des victimes d'agression, de harcèlement sexuel ou d'autres actes criminels soient tentés de raconter ce qui leur est arrivé sur ces mêmes plateformes.

Je comprends que des gens parlent publiquement de ce qui leur arrive. Mais lorsque les faits racontés auront immanquablement des conséquences directes sur l'auteur des actes avant même que des accusations ne soient portées ou qu'un procès ait eu lieu, je ne suis pas d'accord.

Le rôle du système de justice

Si les actes reprochés relèvent d'un malentendu, d'un comportement déplacé ou d'un désaccord verbal, mieux vaut en parler en privé ou encore devant un témoin neutre pour tenter de régler la situation. Dans l'incertitude, on peut faire appel à un avocat. Si par contre les gestes subis par la victime sont des actes criminels (intimidation, harcèlement sexuel, agression sexuelle, violence, viol, séquestration, etc.) la chose à faire est de contacter la police.

C'est à notre système de justice de traiter ces dossiers, et non pas aux tribunaux populaires sur les médias sociaux.

Même s'il est compréhensible que des victimes cherchent du soutien en dénonçant publiquement leurs agresseurs sur les médias sociaux dans le cadre d'un mouvement comme celui auquel on assiste actuellement, elles participent ainsi indirectement à un cycle malsain qui pourrait se retourner contre elles.

Même si certaines victimes trouvent difficile de dénoncer leur agresseur en passant par notre système de justice plutôt qu'un mouvement de groupe en ligne dans lequel elles trouvent force et réconfort, il s'agit du seul processus qui permette de respecter la présomption d'innocence et de s'assurer que les droits de chacun soient respectés.

Détruire l'image ou la carrière de quelqu'un

Quand on détruit publiquement l'image ou la carrière d'une personne en ligne, le fait que ce soit parce qu'elle a commis des actes répréhensibles à notre égard ou non par le passé n'y change rien. Quand des carrières disparaissent avant qu'une quelconque preuve n'ait été exposée, testée et analysée, mon humble avis est qu'il y a injustice.

La présomption d'innocence

La présomption d'innocence est un principe de base dans notre système de justice. Même dans le cas où l'agresseur avoue ses torts, ce n'est pas au public en ligne de se substituer à notre système de justice pour déterminer ce qui s'est réellement passé et quelles doivent en être les conséquences.

Je demeure convaincue que nous sommes tous des êtres humains et que le droit à l'erreur doit continuer d'exister et d'être défendu.

Personne n'est parfait, et beaucoup découvrent à leurs dépens les conséquences de leur manque de jugement à l'ère du numérique, alors que tout le monde autour d'eux a une caméra vidéo et une plateforme publique à portée de la main. Qui n'a jamais regretté une mauvaise décision un soir où l'alcool avait coulé à flots? Parfois, c'est un mauvais choix sans réelles répercussions. D'autres fois, ce sont des erreurs plus graves aux conséquences désastreuses. Peu importe, chacun a droit à la présomption d'innocence, à un avocat s'il est en état d'arrestation et à un procès équitable s'il est accusé.

Les dénonciations publiques

Je ne peux m'empêcher de regarder ce qui se passe présentement et me demander où l'on s'en va avec nos médias sociaux et ce lynchage public. Est-ce que ceci est utile? Est-ce que c'est la bonne manière de protéger les droits des victimes ainsi que ceux des prétendus criminels? Est-ce que quelqu'un y trouve son compte? Il ne semble pas en sortir beaucoup de positif, à mon avis.

Quel était le but de Safia Nolin et des autres victimes qui ont dénoncé leurs agresseurs publiquement? Ont-ils/elles trouvé du réconfort, une forme de guérison de leur souffrance à travers cette démarche? Je ne le sais pas et je ne juge pas la nature de leur démarche personnelle. Mais je continue de me questionner, notamment sur la façon de faire et les conséquences, pour toutes les personnes impliquées.

En anglais on dit "Internet is forever." Ce qui est écrit sur le web est là pour rester. Rien n'effacera ces dénonciations, que les personnes soient trouvées coupables ou non. Les années passent mais les traces resteront. Et tous les commentaires, toutes les réponses, toutes les opinions et toute l'agressivité qu'on a pu lire sur le web ces derniers jours, c'est aussi là pour rester.

Besoin d'aide

Je crois qu'en tant qu'humains, nous sommes naturellement poussés à chercher notre bonheur et tenter d'obtenir ce que l'on désire. Que ce soit le dernier modèle d’iPhone ou la plus grosse maison, la carrière au cinéma ou le corps de rêve, chacun tend vers ce qu'il considère être la meilleure version de lui-même. Or, la perfection n'existe pas et tout le monde a un "côté sombre". Parfois, il suffit d'une seconde pour que tout bascule.

On assiste donc à une panoplie de gens qui déclarent publiquement avoir besoin d'aide et entreprendre des thérapies. Mais si ces thérapies avaient été entreprises avant? D'où l'importance de l'existence des programmes d'aide spécialisés, quelle que soit la problématique.

En tant que société, pourquoi ne pas tenter de faire connaître ceux-ci et d'aider les personnes qui en ont besoin avant qu'elles ne commettent l'irréparable? On pourrait ainsi contribuer à diminuer le nombre d'agressions, plutôt que de faire notre propre justice en ligne après qu'elles aient été commises.

D'un point de vue individuel, que chacun fasse ce qui lui convient, que ce soit parler, garder le silence, se retirer du milieu public ou encore travailler sur soi. Mais nul ne devrait se substituer au système de justice.

Le droit à l'erreur

En terminant, si votre nom figure sur cette liste qui se promène sur le web et les médias sociaux, je peux vous aider. Je suis avocate criminaliste depuis plus de quinze ans et je possède une solide expérience en la matière.

Je continue de penser que les êtres humains ont droit à l'erreur et que chacun mérite une défense efficace dans un système de justice transparent qui respecte les droits de tous.

Sur l’auteure

Me Julie Couture est avocate criminaliste depuis 2003. Elle a fait ses débuts avec l'honorable juge Marco LaBrie et l'honorable Alexandre St-Onge tous deux maintenant juge à la Cour du Québec. Fondatrice de Couture avocats, elle pratique en droit criminel et pénal exclusivement.

Maître de stage pour le barreau du Québec, elle a longtemps formé les jeunes avocats et avocates criminalistes ce qui lui a aussi permis d’avoir trois enfants. Entrepreneure depuis le début de sa pratique du droit, et très présente sur le web, elle pourra partager ses expériences afin d'aider le plus possible la communauté juridique. Elle a longtemps commenté l'actualité dans le Journal de Montréal comme l'avocate du journal et dans son blogue juridique en plus de plusieurs passages à la télévision.
40735
13 commentaires
  1. Elaine Savard
    Elaine Savard
    il y a 4 ans
    LL.B.
    La chose est dite. Maintenant. qu'est-ce que va faire le Ministère de la Justice? Ca presse!

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a 4 ans
    À côté de la plaque
    Les dénonciatrices n'ont aucune intention de porter plainte à la police ou d'être témoin lors d'un procès. La présomption d'innocence n'a aucun rapport. Elles ne veulent pas non plus obtenir du soutien (si c'était le cas elles n'auraient pas besoin de nommer personne). Elles veulent simplement nuire à quelqu'un qui, à leurs yeux, le mérite. Je suis toutefois d'accord qu'il s'agit d'un mouvement inquiétant. Quui qu'en pense certains, personne n'est à l'abri.

  3. Anonyme
    Anonyme
    il y a 4 ans
    Vie privée
    Intéressant. Est-ce que c'est possible qu'on regarde le problème sous le mauvais angle, en essayant d'appliquer les règles du droit à la protection de la réputation (droit de la diffamation)? Ne devrait-on pas plutôt revoir le problème sous l'égide du droit à la protection de la vie privée, un droit qui semble avoir complètement disparu avec l'avènement des médias sociaux?

  4. Anonyme
    Anonyme
    il y a 4 ans
    Dénonciation des présumés agresseurs...
    Et du système! Pourquoi cette vague? Le nombre de présumées victimes qui ont tenté de passer par soit le système de justice, de s'adresser aux supérieurs de l'agresseur, de s'adresser aux collègues des agresseurs... cela ne se compte plus. Bon nombre ont tenté de dénoncer pour finalement se faire dire: pas assez de preuve, on ne te croit pas, c'est pas possible parce que X...

    Dénonciation oui des présumés agresseurs, mais c'est aussi un rappel que la justice ne sert aucunement les victimes. Il faut rappeler que c'est un système qui a été créé par des hommes blancs avec une expérience de vie d'un homme blanc...

    Le droit c'est une chose, le comportement et l'attitude d'une société en est une autre. Des recours existent aussi pour ces présumés agresseurs (dont PLUSIEURS ont avoué leurs faits et gestes...bonne chance pour leurs recours).

    Une victime porte avec elle pour toujours des cicatrices physiques et mentales d'une agression (atteinte à l'intégrité physique, ça vous dit quelque chose?). Si on compare à l'atteinte de la réputation d'un agresseur... mettons qu'il faudrait que certains d'entre vous (dont Me Couture) remettent des choses en perspective.

    Je ne connais pas une seule femme qui n'a pas été victime d'une agression ou d'harcèlement (ayant moi même été victime et pour avoir été témoin d'agressions faites sur mes ami(e)s).

    C'est un mouvement afin que la SOCIÉTÉ change, il n'est donc pas seulement question de mettre au banc public des condamnés ces présumés agresseurs.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 4 ans
      Compassion secondée
      Même s'il y a aveu, ils pourraient questionner le motif de la dénonciation.
      Régler un comportement de société par l'agora numérique de la plèbe semble une arme à double tranchant pour les victimes. Le temps nous le dira. Ceci dit, le savoir-être de certains, imbus de préjugés ou comportements grossiers, me paraît être un momentum parfait pour l'ordre au renforcement positif dans le domaine de l'éducation du civisme. Comme cette politique contre l'intimidation des dernières années que l'on retrouve dans nos écoles publiques.

      Ma propostion est qu'autant la victime que l'agresseur, mais aussi ceuses qui les représentent, soient d'abord conscients et affirmés de leurs biais cognitifs avant de jeter la "première pierre". Le développement de l'esprit critique est une urgence pour notre société en transition.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 4 ans
      Pas d'accord
      Je ne vois aucunement une dénonciation du système. Seulement des gens qui tentent de se faire justice car c'est facile de dénoncer anonymement sur Instagram. La référence aux hommes blancs n'a franchement aucun rapport. Vous croyez que les lois seraient différentes si elles étaient votées par des femmes noires ?

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 4 ans
      Changement
      "C'est un mouvement pour que la SOCIÉTÉ change". Je suis d'accord avec vous. Pour changer ça change. Plus question de porter plainte désormais et d'établir les faits de manière objective. On dénonce anonymement. C'est plus facile. J'espère que vous ne serez pas une victime du changement !

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 4 ans
      Pour vous éclairer...
      "Seulement des gens qui tentent de se faire justice car c'est facile de dénoncer anonymement sur Instagram" - Il y a un grand nombre de victimes qui ont dénoncé les systèmes (les policiers, DPCP, juges, employeurs, RH, administration des écoles/cegeps/universités) à travers leurs dénonciations d'agresseurs. C'est fait la majorité du temps anonymement pour se protéger...

      "Vous croyez que les lois seraient différentes si elles étaient votées par des femmes noires ?" je dois vraiment vous expliquer pourquoi...ou vous êtes en mesure de faire vos recherches par vous-même sur internet? On a dû se battre pour obtenir le droit de vote pour les femmes, pour devenir propriétaires, pour avoir le droit et l'accès à l'avortement. Se battre aussi pour légaliser l'homosexualité (ici et aux USA).

      Bref, pour vous aider, voici des mots clés pour votre recherche: "Racisme systémique / Canada / Indian Act / Residential schools canada / Stone Wall Riot ".

      Bonne recherche!

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 4 ans
      Merci !
      Pour vous aider de votre côté, voici quelques mots clés à rechercher sur internet : "intelligence" / "logique" / "raison" / "objectivité"

      En passant, les fameuses lois permettant aux femmes d'obtenir tous ces droits ont été votées par des assemblées composées en majorité d'hommes blancs.

      Votre militantisme vous fait perdre beaucoup de crédibilité.

  5. Anonyme
    Anonyme
    il y a 4 ans
    Résiliation de contrats, à votre avis?
    Je me demande quelle est la part de responsabilité des entreprises qui mettent ultimement en échec des carrières lorsqu'ils mettent fin à des contrats à cause de telles dénonciations. Pensez-vous qu'on peut qualifier une dénonciation et/ou sa réception par le public de motifs sérieux?

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 4 ans
      Ben non
      Les contrats doivent prévoir des clauses permettant la résiliation unilatérale et sans motifs.

  6. Marilyn
    Marilyn
    il y a 4 ans
    "Pour que la société change"
    j'ai lu des commentaires indiquant que les dénonciateurs d'agressions sur les réseaux sociaux le font pour que la société change.

    Je suis d'accord que notre système de justice doit s'améliorer. Pour info, il s'est beaucoup amélioré avec le temps, mais n'est pas parfait. En ne passant pas par notre système de justice, vous ne l'encouragez pas à s'améliorer, vous encouragez le lynchage public. Pour l'instant, c'est les réseaux sociaux. J'ai été en Afrique dernièrement. Je vous invite à rechercher un vidéo à quoi ressemble le lynchage public en afrique qui se déroulement actuellement. Si quelqu'un crit en public que telle personne a soit disant commis un vol, pas d'appels à la police, la population va lyncher le prétendu voleur sans même vérifier les faits. Pourquoi? Parce qu'ils ne croient pas à leur système judiciaire! Est-ce vraiment cette façon de faire que nous voulons préconiser?
    Je comprends les victimes d'avoir besoin de justice, ayant moi-même subi une agression, j'ai fait mes démarches auprès de la police. Je n'userai jamais des réseaux sociaux pour me faire justice moi-même parce que ce n'est ni l'endroit, ni la façon au mieux de procéder même dans la perspective pour aller mieux...

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 4 ans
      "En Afrique"
      Un grand continent de 54 pays mais on va oublier et continuer à parler comme les explorateurs et autres colons des 17e, 18e siècles, c-à-d: "c'est la même chose partout du nord au sud, de l'est à l'ouest, en passant par le centre." Ça m'étonnerait qu'il y ait des lynchages publics à l'Île Maurice, mais passons...

      Ceci dit, qui vous a dit que les lynchages publics ont lieu "en Afrique" parce que les gens "ne croient pas à leur système judiciaire." Vous avez discuté avec qui ou vous-êtes vous contentée de faire l'occidentale présomptueuse qui comprend tout au 1er coup d'oeil?

      Pour votre gouverne, en Afrique de l'Ouest francophone, les lynchages publics de suspects ont lieu, non pas parce que les gens ne croient pas en leurs systèmes de justice, mais plutôt parce que certains comportements ont toujours été décriés par la société et qu'avant l'arrivée des "européens civilisés", la sanction de ces comportements était une correction communautaire. Les gens ne sont pas dans une optique de justice, mais de purge du mal du milieu d'entre eux et dans une optique disssuasive. C'est vrai que dans ces cas de figure, les gens sont présumés coupables, surtout quand ils sont pris en flagrant délit.

Annuler
Remarque

Votre commentaire doit être approuvé par un modérateur avant d’être affiché.

NETiquette sur les commentaires

Les commentaires sont les bienvenus sur le site. Ils sont validés par la Rédaction avant d’être publiés et exclus s’ils présentent un caractère injurieux, raciste ou diffamatoire. Si malgré cette politique de modération, un commentaire publié sur le site vous dérange, prenez immédiatement contact par courriel (info@droit-inc.com) avec la Rédaction. Si votre demande apparait légitime, le commentaire sera retiré sur le champ. Vous pouvez également utiliser l’espace dédié aux commentaires pour publier, dans les mêmes conditions de validation, un droit de réponse.

Bien à vous,

La Rédaction de Droit-inc.com

PLUS

Articles similaires