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Les fouilles d'appareils sans motif raisonnable interdites

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Radio-canada Et Cbc

2024-08-16 10:30:16

Le juge en chef de l'Ontario, Michael Tulloch. Source : Radio-Canada / La Presse canadienne / Tijana Martin
Le juge en chef de l'Ontario, Michael Tulloch. Source : Radio-Canada / La Presse canadienne / Tijana Martin
La Cour d'appel déclare inconstitutionnelles les fouilles d'appareils sans motif valable…

La loi fédérale qui autorise les fouilles d'appareils électroniques sans motif raisonnable est inconstitutionnelle parce qu'elle enfreint les droits des voyageurs contre les inspections abusives des douaniers, a statué la Cour d'appel de l'Ontario vendredi.

La Cour soutient qu’il était nécessaire d’établir des normes plus élevées pour justifier la fouille de téléphones, tablettes et ordinateurs portables des voyageurs, parce que le seuil actuel est trop bas.

Le tribunal estime que « la fouille d'un appareil est aussi intrusive qu'une fouille à nu d'une personne », mais que l'invalidation de la Loi sur les douanes ne doit pas forcer la réouverture de tous les cas antérieurs de fouilles abusives. Elle sert plutôt à mieux les prévenir à l'avenir.

Le juge Michael Tulloch écrit dans son jugement que « la Charte des droits et libertés s'applique également aux frontières du pays et que la frontière n'est pas une zone où presque tout est permis pour des fouilles très intrusives comme les examens d'appareils numériques ».

La Cour d'appel reconnaît que la loi autorise à l'heure actuelle les douaniers à examiner des appareils à la condition qu’ils tentent sincèrement de trouver des preuves d’activités illégales, « soit la norme la plus basse possible pour justifier une fouille », écrit le juge Tulloch.

« Le contenu de ces appareils revêt d'importants intérêts en matière de confidentialité reconnus dans la loi, car ils ouvrent une fenêtre sur le mode de vie, les croyances, les finances, la santé et bien plus encore de leurs utilisateurs », ajoute-t-il.

Or, il estime que les agents frontaliers devaient plutôt avoir « des soupçons raisonnables fondés sur des faits objectifs », selon lesquels il est possible qu’ils trouvent des preuves d'infraction avant d'inspecter les appareils.

La nuance est importante, selon la Cour, puisqu'une norme basée sur des soupçons raisonnables empêcherait les douaniers de se fier à de « simples intuitions ou à des indices non corroborés ou peu fiables ».

Le plus haut tribunal de la province était appelé à se prononcer sur la cause de deux hommes arrêtés en 2020 pour possession et importation de pornographie juvénile.

Un acquittement invalidé

Jeremy Pike était rentré au pays avec 14 appareils électroniques après avoir enseigné à des enfants en Indonésie. L'un des appareils contenait 1600 images pornographiques.

À en croire la décision de la Cour d'appel, Jeremy Pike avait perdu son brevet d'enseignant au pays après avoir été condamné pour des agressions sexuelles contre des mineurs.

Le juge à son procès l'avait toutefois acquitté, parce que les douaniers avaient enfreint ses droits en fouillant ses appareils, excluant du même coup les preuves incriminantes que la Couronne avait retenues contre lui.

Bien qu'elle considère que la loi est invalide, la Cour d'appel a cassé l'acquittement et ordonné un nouveau procès, parce que le juge de première instance n'aurait pas dû exclure les preuves contre M. Pike, même s'il a eu raison de dire que les douaniers avaient enfreint les droits de l'individu.

Le juge Tulloch souligne que les preuves contre M. Pike étaient « très fiables » et qu’« il existe un fort intérêt dans la société de poursuivre de tels individus et de tenir tout Canadien responsable d’exploitation sexuelle présumée d’enfants à l’étranger ».

« Les crimes contre les enfants sont odieux par nature et ils ont un impact durable et généralisé sur la société », écrit le magistrat.

L'inconstitutionnalité de la loi n'autorise toutefois pas l'acquittement de M. Pike pour les crimes graves contre des enfants.

Une culpabilité confirmée

David Scott, un homme d'affaires à la retraite, avait quant à lui été arrêté après que des douaniers eurent découvert du matériel pornographique juvénile dans certains de ses 13 appareils numériques.

La police avait découvert et confisqué près de 3000 images et vidéos décrivant des agressions sexuelles contre des mineurs.

Dans ce cas-ci, le même juge de première instance avait accepté les preuves de la Couronne et condamné David Scott à 23 mois d'assignation à résidence.

La Cour d'appel a maintenu le verdict de culpabilité prononcé contre lui, mais elle estime que la peine était trop clémente et que l'individu aurait dû être condamné à trois ans de prison.

« Ayant eu en sa possession du matériel illustrant l'exploitation sexuelle d'enfants, M. Scott a abusé sexuellement d'enfants en envahissant leur vie privée, en portant atteinte à leur dignité et en leur causant de graves dommages émotionnels », poursuit le juge Tulloch.

Le magistrat précise que David Scott est tout aussi coupable que celui ou ceux qui ont produit les images qu'il a ramenées dans ses appareils, mais qu'il était trop tard pour modifier le châtiment qui lui avait été infligé.

La Cour d'appel estime dans ce cas-ci que les douaniers se sont raisonnablement appuyés sur la validité de la loi pour fouiller les appareils de M. Scott.

Réaction de l'ASFC

Dans un courriel, l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) mentionne qu'elle est en train d'étudier le jugement, mais qu'elle a toujours respecté les lois en matière de protection de la vie privée.

Elle reconnaît néanmoins qu'« elle a ajusté ses procédures pour refléter les décisions judiciaires qui ont changé ces dernières années l'interprétation des lois et des procédures de longue date ».

L'Agence rappelle en outre que le gouvernement a présenté un projet de loi qui vise à clarifier l'approche de ses agents en matière de fouille d'appareils à la frontière.

L'Association canadienne des libertés civiles (ACLC), qui avait obtenu le statut d'intervenant lors des audiences, applaudit pour sa part le jugement et rappelle que les informations contenues dans ces appareils sont sensibles, intimes et personnelles.

Dans un communiqué, l'un de ses directeurs, Shakir Rahim, écrit « que les fouilles illimitées et normalisées d'appareils électroniques [...] violent le droit à la protection contre les perquisitions et les saisies abusives » des douaniers.

L'ACLC appelle le Parlement à légiférer un amendement assorti de garanties claires qui rendrait la loi constitutionnelle.

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