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« Loi 21 » en Cour suprême : Québec met Ottawa en garde

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Radio-Canada Et Cbc

2025-01-24 10:00:03

Karina Gould fait partie des sept candidats déclarés à la succession de Justin Trudeau. Source : Radio-Canada / La Presse canadienne / Patrick Doyle
Karina Gould fait partie des sept candidats déclarés à la succession de Justin Trudeau. Source : Radio-Canada / La Presse canadienne / Patrick Doyle
La décision de la Cour suprême du Canada d'entendre la contestation de la Loi sur la laïcité de l'État du Québec a suscité de nombreuses réactions…

Le gouvernement Legault conseille une fois de plus au fédéral de ne pas se mêler du débat au sujet de la constitutionnalité de la Loi sur la laïcité du Québec, qui sera entendu prochainement par la Cour suprême. Cependant, le ministre canadien de la Justice, Arif Virani, n'entend visiblement pas obtempérer.

Une telle intervention serait pourtant considérée comme « une attaque envers l'autonomie des États fédérés », ont déclaré jeudi matin les ministres Simon Jolin-Barrette (Justice) et Jean-François Roberge (Laïcité) sur les réseaux sociaux, quelques minutes après la publication du jugement du plus haut tribunal du Canada.

Adoptée le 16 juin 2019, la Loi sur la laïcité de l'État, mieux connue comme la « loi 21 », interdit à certains employés de l'État en position d'autorité – juges, policiers, gardiens de prison, enseignants – de porter des signes religieux visibles dans l'exercice de leurs fonctions.

La Cour suprême a fait savoir jeudi matin qu'elle entendra la cause, qui a déjà été examinée par la Cour supérieure du Québec, en 2021, puis par la Cour d'appel, l'an dernier.

Au cœur de cette affaire : le recours préventif à la disposition de dérogation, aussi appelée « clause de souveraineté parlementaire », une mesure incluse dans la Constitution canadienne lors du rapatriement de 1982 pour convaincre les provinces de donner leur aval au projet.

Pour cette raison, Québec promet de « se battre jusqu'au bout » et appelle « les autres États fédérés » du Canada à « défendre » sa position. « Il en va de notre autonomie, autonomie qui est au fondement même du pacte fédératif », soulignent MM. Jolin-Barrette et Roberge dans leur message.

En attendant, « le gouvernement du Québec utilisera la disposition de souveraineté parlementaire aussi longtemps qu'il le faudra pour défendre nos choix de société », assurent-ils.

L'Assemblée nationale a déjà voté à deux reprises pour protéger la « loi 21 » des tribunaux : en 2019, lors de l'adoption de la loi, puis l'an dernier, dans le cadre du projet de loi 52, la disposition de dérogation devant être renouvelée aux cinq ans.

Un débat juridique... et politique

Le député solidaire Guillaume Cliche-Rivard. Source : Radio-Canada / Sylvain Roy Roussel
Le député solidaire Guillaume Cliche-Rivard. Source : Radio-Canada / Sylvain Roy Roussel

Ottawa a toutefois fait fi de l'avertissement lancé par les ministres Jolin-Barrette et Roberge, jeudi.

« Lorsque ça arrivera devant la Cour suprême du Canada, on sera là comme gouvernement du Canada », a déclaré le ministre de la Justice, Arif Virani, en mêlée de presse. « Ce n'est pas juste une question provinciale, c'est une question nationale », a-t-il fait valoir.

C'est une conversation nationale, où il faut être impliqué comme gouvernement du Canada, parce que (...) cette décision va avoir des implications sur les chartes (...) qui vont influencer et impacter tous les Canadiens , ajoute Arif Virani.

À Ottawa, seul le Bloc québécois défend la « loi 21 ». Le premier ministre démissionnaire Justin Trudeau – tout comme le conservateur Pierre Poilievre et le néo-démocrate Jagmeet Singh – a toujours affirmé que le fédéral devrait intervenir advenant que le dossier aboutisse en Cour suprême.

En ce sens, le leader bloquiste Yves-François Blanchet a déclaré jeudi qu'il serait « très surpris » que « la petite cohorte absolument torontoise de candidats à la direction du Parti libéral aille à l'encontre de ça » et il prédit que la « loi 21 » sera un thème lors de la prochaine campagne électorale fédérale.

Comme pour lui donner raison, Karina Gould, qui aspire à succéder à Justin Trudeau, a réagi à la décision de la Cour suprême jeudi en déclarant que le rôle du gouvernement fédéral consiste « à appuyer les droits de tous les Canadiens » et que le Parti libéral est « le parti des chartes ».

Son adversaire Frank Baylis s'est lui aussi dit « heureux » d'apprendre que la cause sera entendue par le plus haut tribunal du pays. Coprésident du mouvement « Non à la loi 21 », cet homme d'affaires a rappelé jeudi qu'il avait lui-même aidé la cause en levant des fonds et en organisant des manifestations et des conférences de presse.

La Loi sur la laïcité de l'État divise aussi les partis à l'Assemblée nationale, mais la Coalition avenir Québec (CAQ), au pouvoir depuis 2018, la défend bec et ongles.

En entrevue à l'émission Le 15-18 sur ICI Première, le ministre Jolin-Barrette a d'ailleurs invité les candidats à la chefferie du Parti libéral du Québec à prendre position sur le sujet.

« Je comprends que M. Coderre le fait, mais qu'en est-il des autres, notamment de M. Rodriguez, qui faisait partie du gouvernement de M. Trudeau? », a-t-il demandé.

Réuni avec son équipe depuis mardi à Terrebonne en vue de la reprise des travaux parlementaires la semaine prochaine, le chef du Parti québécois (PQ), Paul St-Pierre Plamondon, a de son côté demandé à Pierre Poilievre de s'engager à ne pas impliquer le gouvernement du Canada dans cette affaire.

C'est une question de « démocratie », a-t-il fait valoir jeudi en point de presse, soulignant que les Québécois sont « maîtres et responsables de leurs lois ».

« Leurs choix démocratiques ne devraient pas être renversés par un Canada qui, clairement, se sent au-dessus des Québécois sur le plan de la moralité ou de la compréhension des enjeux juridiques », mentionne Paul St-Pierre Plamondon.

À l'Assemblée nationale, où les députés de Québec solidaire étaient réunis en vue de la rentrée parlementaire, le porte-parole du deuxième groupe d'opposition en matière de justice, Guillaume Cliche-Rivard, a également dit estimer que le Canada devrait rester en dehors de ce débat.

Le PDG du Conseil national des musulmans du Canada, Stephen Brown. Source : Radio-Canada / La Presse canadienne / Chris Tanouye
Le PDG du Conseil national des musulmans du Canada, Stephen Brown. Source : Radio-Canada / La Presse canadienne / Chris Tanouye

Son parti considère que le gouvernement Legault a bien fait de recourir à la disposition de dérogation de la Constitution, mais il croit que la Loi sur la laïcité de l'État, au sujet de laquelle il a beaucoup de réserves, devrait pouvoir être contestée devant les tribunaux en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.

Du côté des contestataires, la Commission scolaire English-Montreal (CSEM), le Conseil national des musulmans du Canada (CNMC), l'Association canadienne des libertés civiles (ACLC) et la Fédération autonome de l'enseignement (FAE) se sont dits satisfaits de la décision du tribunal jeudi.

En point de presse à Ottawa, le PDG du CNMC, Stephen Brown, a dit avoir constaté que depuis que François Legault a « laissé le génie de l'autoritarisme juridique sortir de la bouteille », d'autres provinces, comme l'Ontario et la Saskatchewan, ont invoqué préventivement la disposition de dérogation de la Constitution.

« Ce qui était censé n'être qu'un pouvoir à utiliser de manière extraordinaire est devenu la norme », a-t-il déploré.

« Nous nous retrouvons maintenant dans cette position inconfortable où huit juges devront décider si nous vivons dans un pays où les citoyens ont des droits ou (si nous vivons) dans un pays où les citoyens n'ont que les permissions que les politiciens veulent bien nous accorder ».

Maintenant qu'il est acquis que la Loi sur la laïcité de l'État sera débattue devant le plus haut tribunal du pays, certains organismes ont par ailleurs fait savoir jeudi qu'ils réclameront le statut d'intervenant à la Cour suprême.

C'est le cas du groupe Droits collectifs Québec (DCQ), qui souhaitera se porter à la défense de la « loi 21 », et du commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, qui voudra notamment se faire entendre sur « le droit de gestion et de contrôle de la minorité anglophone de ses établissements et de son éducation ».

D'autres requêtes similaires devraient être déposées au cours des prochaines semaines.

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