Recours collectif contre plusieurs ligues de hockey
Radio-canada Et Cbc
2024-02-16 13:15:30
Un recours collectif a été intenté contre plusieurs ligues de hockey dont la LNH. Pourquoi?
Un recours collectif alléguant que les trois ligues de hockey junior majeur canadiennes et la Ligue nationale (LNH) contreviennent aux lois antimonopole américaines a été intenté, mercredi matin, à New York, devant la Cour fédérale.
Les instigateurs de cette procédure sont la division nord-américaine de la World Association of Icehockey Players Unions (WAIPU) ainsi que Tanner Gould et Isaiah DiLaura, deux anciens joueurs de la Ligue junior de l’Ouest.
La WAIPU est un regroupement de plusieurs associations représentant les hockeyeurs de diverses ligues professionnelles européennes. Les associations des joueurs des ligues professionnelles suisse, finlandaise, norvégienne, tchèque, danoise, russe et slovaque en font partie.
Les plaignants allèguent que les trois ligues canadiennes et la LNH sont les bénéficiaires de plusieurs accords qui ont pour effet d’annihiler la capacité des joueurs de 16 à 20 ans de déterminer librement la trajectoire de leur carrière et de monétiser leur talent. Tout cela alors que l’industrie du hockey junior génère chaque année des revenus de plusieurs centaines de millions de dollars.
Les avocats représentant les plaignants sont Jeffrey I. Shinder et Ethan E. Litwin de Constantine Cannon, Judith A. Zahid et James R. Martin de Zelle, Stacey Leyton et Michael Rubin d'Altshuler Berzon, Gregory S. Asciolla de DiCello Levitt, Steve D. Shadowen et Richard Brunell de Hilliard Shadowen, Paul E. Slater et Joseph M. Vanek de Sperling & Slater.
Dans une requête de 135 pages, les plaignants allèguent que les ligues canadiennes :
- restreignent la concurrence entre elles en s’attribuant des territoires de recrutement exclusifs. À titre d’exemple, la LHJMQ ne peut recruter d’athlètes jouant sur le territoire attribué à la Ligue de l’Ontario, et vice versa;
- par la suite, la concurrence économique entre les équipes d’une même ligue (pour l’obtention de talents) est supprimée par la tenue d’un repêchage au cours duquel les joueurs sont sélectionnés indépendamment de leur volonté. Ces repêchages sont par ailleurs organisés lorsque les hockeyeurs juniors ne sont pas protégés par une convention collective;
- une fois sélectionnés au repêchage, les joueurs doivent signer un contrat standard qui permet à leur équipe d’exercer sur eux des droits, comme celui de les échanger ou de les empêcher de changer de ligue, jusqu’à la fin de leur carrière junior;
- la somme de ces pratiques fait en sorte que le pouvoir de négociation des joueurs est artificiellement supprimé et que ces derniers doivent accepter une compensation monétaire s’élevant à seulement quelques centaines de dollars par mois.
« Le but de ces accords horizontaux consiste à éliminer la compétition pour les services des joueurs et à supprimer les coûts de main-d'œuvre », soutiennent les plaignants.
Dans cet écosystème, la LNH est une co-conspiratrice, allèguent les plaignants, parce qu’elle finance le hockey junior à raison de plusieurs millions de dollars par année et qu’elle est signataire d’une entente qui oblige ses équipes à retourner dans le junior les espoirs de moins de 20 ans qui ne décrochent pas de poste dans la LNH.
Cette pratique, selon les plaignants, évite aux équipes de la LNH de verser des salaires plus élevés à leurs jeunes espoirs dans les ligues professionnelles mineures en plus de retarder l’entrée en vigueur du premier contrat professionnel de ces jeunes joueurs.
Une demande de recours collectif semblable avait été intentée au Canada au cours des dernières années, mais le manque de clarté de la Loi canadienne sur la concurrence n’avait pas joué en faveur des demandeurs.
La partie risque cependant d’être très différente du côté américain de la frontière, où les lois antimonopole sont appliquées de façon plus stricte et où les tribunaux se sont très souvent prononcés sur la conformité de l’industrie du sport par rapport à ces lois.
Dans une économie de libre marché, il n’y aurait ni repêchage ni plafond salarial. Les joueurs seraient libres d’offrir leurs services à l’équipe de leur choix et les équipes seraient libres de rémunérer les joueurs comme bon leur semble. Et une fois leur contrat terminé, les athlètes jouiraient d’une totale autonomie et seraient à nouveau libres de négocier une entente avec l’organisation de leur choix.
Le monde du sport nord-américain fonctionnerait ainsi si les propriétaires et les joueurs n’avaient pas un intérêt mutuel à se servir des lois du travail pour négocier des conventions collectives et réglementer le cadre dans lequel ils font des affaires.
Pour cette raison, les ligues sportives dont les conditions de travail ont été négociées et enchâssées dans une convention collective, comme la LNH, la NBA ou la NFL, jouissent d’une exemption aux lois antimonopole.
Les ligues canadiennes de junior majeur, dont les joueurs ne sont représentés par aucun syndicat et dans lesquelles toutes les règles sont dictées par les propriétaires, risquent donc d’avoir toute une côte à remonter devant les tribunaux américains.
« La loi est claire. Les ligues de sport ne peuvent pas repêcher de joueurs ni s’entendre pour ne pas compétitionner afin d’obtenir les services des joueurs, ni s’entendre pour restreindre la compétition quant à la rémunération des joueurs sans y être expressément autorisées par une convention collective », soutient dans un communiqué Ethan E. Litwin, l’un des avocats représentant les plaignants.
M. Litwin est associé du cabinet américain Constantine Cannon, qui se spécialise dans les recours collectifs relatifs aux lois antimonopole. Une quinzaine d’autres avocats provenant de cinq autres cabinets spécialisés assistent ceux de Constantine Cannon dans cette affaire, qui ne semble donc pas frivole.
Il est possible de poursuivre les ligues canadiennes aux États-Unis sur ces questions parce que la Ligue de l’Ouest et la Ligue de l’Ontario comptent respectivement six et trois équipes au sud de la frontière. Chacune des trois ligues, dont la LHJMQ, s’est aussi attribué l’exclusivité d’une partie du territoire américain à des fins de recrutement.
Au Canada, plusieurs recours juridiques ont été intentés au cours des dernières années par d’anciens hockeyeurs juniors. Les diverses situations dénoncées dans ces recours avaient la même racine, soit l’immense déséquilibre dans le rapport de forces opposant des hockeyeurs touchant 70 $ par semaine aux propriétaires d’une costaude industrie de sport-divertissement. Jusqu’à présent, ces démarches juridiques ont toutefois eu peu de succès.
Au bout du compte, il serait très ironique que ce soient les tribunaux américains qui se chargent de moderniser le hockey junior canadien.
Invitée à commenter cette démarche juridique, la LHJMQ n’a pas souhaité se prononcer. La Ligue canadienne de hockey publiera un communiqué plus tard au cours de la journée de mercredi, a-t-on expliqué.