Sherbrooke championne des causes judiciaires abandonnées pour délais déraisonnables

Radio Canada
2025-04-15 12:00:37

En 2023, 50 des 96 causes abandonnées au Québec à la demande de la défense pour délais déraisonnables l'ont été au palais de justice de Sherbrooke. Scénario similaire en 2024, où la défense a pu invoquer encore plus souvent l'arrêt Jordan. Que fait le ministère de la Justice pour régler la situation?
En 2024, 53 des 94 causes criminelles qui ont fait l’objet d’un arrêt de procédures à la demande de la défense pour délais déraisonnables étaient dans le district de Saint-François. À titre de comparaison, 13 dossiers ont fait l’objet d’un tel arrêt au palais de justice de Montréal, la même année.
Le ministère de la Justice est bien au fait de la situation. Dans un courriel, il évoque plusieurs facteurs pour expliquer ce bilan peu enviable, dont une augmentation considérable du nombre de dossiers de violences conjugales en Estrie comparativement au reste de la province. Le ministère explique aussi qu’un juge s’est absenté et que l’ancienne direction de la Cour du Québec a pris la décision unilatérale de réduire le nombre de jours d’audience.
Plusieurs mesures ont cependant été mises en place pour réduire le nombre de causes abandonnées, rapporte le ministère de la Justice. Depuis février 2024, deux nouveaux juges ont été affectés principalement aux affaires criminelles. Il y a aussi eu une augmentation du nombre de jours d’audiences.
« Ça nous inquiète »
La porte-parole du Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS Agression Estrie), Kelly Laramée, s’inquiète aussi des chiffres mis en lumière par Radio-Canada. « Si on nous dit qu’il y a une hausse considérable (du nombre de dossiers de violence conjugale), il faut se pencher là-dessus puis mettre plus de services et de juges disponibles », soutient-elle.
Elle rappelle le courage qu'il faut à une victime pour porter plainte. « Ça prend tellement de courage, de temps, d’investissement », souligne-t-elle. Pour finalement se faire dire on ne peut pas aller plus loin à cause d’un délai.
Des impacts pour les victimes
Si le Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) prend soin de ne pas uniquement « focaliser sur la finalité du procédure judiciaire » lors de l’accompagnement des victimes, la situation actuelle est jugée problématique.
« On vient interrompre un processus qui peut mener vers le rétablissement dans la vie de certaines personnes victimes, explique la coordonnatrice au soutien organisationnel et au développement pour le réseau des CAVACS, Karine Gagnon. C’est vraiment malheureux. »
Elle s’inquiète aussi du « message » qui peut être perçu par les victimes. « Tous les acteurs du système de justice travaillent fort à améliorer les choses, mais quand ce genre de choses se produit, le message que ça envoie aux personnes victimes, c’est que ça ne vaut pas la peine de dénoncer. C’est contre-productif ».
Du personnel « déjà débordé »
Pour pallier la situation, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) indique pour sa part qu'il priorise les dossiers en fonction du plafond Jordan. « Le but est que les dossiers avec les chefs d’accusation les plus graves soient fixés en priorité afin d’éviter que ces causes ne fassent l’objet d’un arrêt », précise-t-on par courriel.
Le président régional du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ), Frédérick Dagenais, qui représente les greffiers du palais de justice de Sherbrooke, a quant à lui été très surpris par les données que nous lui avons présentées. C’est surprenant, c’est le moins que je puisse dire, mais il y a une problématique de surcharge au travail au palais de justice de Sherbrooke.
Il croit qu’il serait difficile d’augmenter encore davantage le nombre de jours d'audience. « Si on ajoute des jours où on siège, on va manquer de personnel », souligne-t-il. Je donne juste l’exemple du Bureau des infractions et amendes où, aujourd’hui, il n'y a personne, donc il y a un bris de service.
Le juge coordonnateur pour le palais de justice de Sherbrooke a refusé notre demande d’entrevue. La bâtonnière du district de Saint-François n’a pas non plus souhaité commenter le dossier.
Des arrêts de procédures du DPCP beaucoup plus nombreux dans le Nord
Si Sherbrooke est championne des arrêts de procédures demandés par la défense, le nombre de dossiers arrêtés pour diverses raisons (Nolle prosequi) décrétés par le DPCP est beaucoup plus important dans le Nord-du-Québec.
En 2024, selon une compilation effectuée par Radio-Canada, il y en a eu 85 au point de services itinérants d’Aupaluk et 24 à Val-d’Or pour un total de 276 dans la province. Sherbrooke n’en comptait que 3.
Le DPCP peut décider de mettre fin aux procédures pour différentes raisons dont en raison de nouvelles informations qui pourraient avoir une influence sur le dossier ou si le procureur anticipe que le dossier ne puisse être traité dans un délai raisonnable.