« Si c’était à refaire, je n’agirais pas de la même façon », dit une juge
Radio-canada Et Cbc
2024-08-28 15:00:16
Confrontée à une enquête déontologique, une juge reconnaît qu'elle aurait dû adopter une autre conduite…
La juge Joëlle Roy, qui fait l'objet de deux plaintes en déontologie pour des propos tenus en cour, a comparu mardi au palais de justice de Montréal devant le comité d'enquête du Conseil de la magistrature du Québec, qui a pris la cause en délibéré.
Le comité d'enquête en déontologie, présidé par la juge Julie Veilleux, doit déterminer si la magistrate de la Cour du Québec doit être réprimandée pour avoir tenu des propos susceptibles d'avoir enfreint ses devoirs de réserve et de sérénité.
Il doit aussi déterminer si les propos de la juge Roy sont de nature à avoir miné la confiance du public envers le système de justice.
Deux plaintes ont été formulées contre la juge. L'une par une citoyenne et l'autre par Me Sophie Lamarre, directrice adjointe au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP).
Une réaction en direct en salle de cour
Dans la salle d'audience du palais de justice de Montréal, mardi, la juge Roy a dû décliner son identité et prêter serment à la greffière, non sans émotion. « Je suis désolée, c'est la première fois que je… », a-t-elle dit sans qu'on comprenne bien la fin de la phrase.
Pour elle, tout a basculé le 12 octobre 2023. Dans La Presse, Yves Boisvert venait de publier une chronique dans laquelle il reprochait à la magistrate « une erreur de principe majeure » dans une cause d'agression sexuelle.
Le chroniqueur écrivait que « le plus préoccupant », dans le dossier en question, « c'est la compétence de la juge Joëlle Roy elle-même ». Il ajoutait qu'en seulement sept ans sur le banc, Joëlle Roy s'était « fait corriger sévèrement par les tribunaux d'appel à plusieurs reprises ».
À l'ouverture d'un procès épineux sur des crimes sexuels perpétrés sur des victimes mineures, en ce 12 octobre 2023, en Chambre criminelle et pénale, la juge Roy s'est dite d'emblée « désolée » de ne pas être «en état de siéger aujourd'hui ».
Elle a enchaîné en dénonçant ce qu'elle qualifiait « d'attaque personnelle très vicieuse » de la part du journaliste de La Presse. « Je trouve ça tellement injuste », l'entendait-on dire dans l'enregistrement de l'audience, rediffusé durant la comparution de mardi devant les cinq membres du comité d'enquête du Conseil de la magistrature.
Elle ajoute: « On est des êtres humains, on prend des décisions ».
Le procès ajourné, la magistrate est revenue en cour le lendemain, le 13 octobre 2023, avec, à la main, une déclaration qu'elle venait d'écrire. Elle y décrivait la chronique de La Presse comme étant « d'une grande violence à son égard, comme celle que l'on voit devant les tribunaux tous les jours et c'est cette violence qu'elle souhaite dénoncer ».
« Ce n'est pas du journalisme, poursuivait-elle, mais de l'abus de pouvoir, de l'abus d'opinion ». Des sanglots dans la voix, elle affirmait que « non seulement la juge est attaquée, mais également la femme, une femme qui ne peut pas se défendre ».
Informée que la victime devant elle vivait un moment difficile et qu'elle était accompagnée d'une ressource du Centre d'aide aux victimes d'actes criminels (CAVAC), la juge y est allée de cette phrase : « Je pense que je vais aller la rejoindre ».
La juge Roy s'est retirée du dossier par la suite et le procès a été reporté. Alors qu'il risquait d'avorter pour cause de délais déraisonnables, le procès a été sauvé puisqu'un autre juge l'a repris 11 jours plus tard.
« Si c'était à refaire, je n'agirais pas de la même façon »
Mardi, en évoquant les événements de la mi-octobre, Joëlle Roy a parlé « du trou béant » dans lequel elle avait sombré, des sentiments de solitude, d'effroi, de colère « et surtout d'injustice » qu'elle a ressentis, et de son désir « d'être transparente » en cour, « même au prix de démontrer (sa) vulnérabilité ».
Dans son témoignage, la juge de la Cour du Québec a reconnu ne pas se prêter à l'enquête « de gaieté de cœur ». Elle aurait préféré que ces événements « n'aient pas eu lieu ». Mais elle a dit « comprend(re) pourquoi » ce processus avait été enclenché, parce qu'elle « a à cœur » les valeurs qui le sous-tendent.
« J'ai dédié 30 ans de ma vie à ma carrière. C'est une vocation plus qu'une profession », dit la juge Roy.
En clair, elle a dit regretter son comportement de l'automne dernier. « Si c'était à refaire, je n'agirais pas de la même façon ».
Toutefois, elle a raconté qu'elle s'était « sentie salie sur la place publique et sans aucune défense », attaquée dans « sa personne, sa dignité, son intégrité, son autorité ». À son avis, c'est « à (sa) destitution » qu'appelait la dernière phrase de la chronique d'Yves Boisvert.
Par la voix de son avocat, elle a dit tirer « une grande leçon de cet événement » et « espère que son exemple servira à d'autres ». Elle a d'ailleurs suggéré l'élaboration d'un protocole pour soutenir les juges dans des circonstances semblables et, le cas échéant, intervenir.
Une « atteinte au devoir de réserve », selon l'avocate du Conseil
Pour l'avocate du Conseil de la magistrature, Me Emmanuelle Rolland, en voulant dénoncer une attaque qu'elle disait avoir personnellement subie, la juge Roy a utilisé sa tribune « pour régler des comptes ».
« Il me semble que ce n'est pas une utilisation appropriée de sa fonction », d'expliquer l'avocate, pour qui le comportement de la juge était de nature « à porter atteinte au devoir de réserve » que doivent observer les magistrats.
De plus, a dit l'avocate du Conseil de la magistrature, l'insensibilité des commentaires de la juge Roy était « d'autant plus préoccupante » qu'elle avait écrit à l'avance sa déclaration. « Même si ce n'était pas son intention, de tels propos peuvent être perçus comme banalisants pour les victimes de violence ».
« Une situation inusitée », souligne l'avocat de la juge
Bien qu'il reconnaisse que les propos de sa cliente aient pu être maladroits, l'avocat de la juge Roy, Me Giuseppe Battista, a estimé pour sa part que ces paroles n'étaient pas susceptibles d'ébranler la confiance du public envers le système de justice.
Rien dans ces propos ne visait à minimiser la souffrance d'autrui, a-t-il plaidé. Et la chronique en cause n'était « pas une simple critique », mais un questionnement « sur sa capacité à occuper sa fonction de juge ».
« Est-ce que tous les juges se seraient exprimés de la même façon? Probablement pas. Est-ce qu'il y avait une meilleure façon de faire? Probablement », mentionne Me Battista.
Me Battista a affirmé que le devoir de réserve limitait la capacité des juges à s'exprimer, mais il y a des exceptions, a-t-il fait valoir. Sa cliente s'est trouvée « dans une situation inusitée ». « Elle aurait dû prendre conseil auprès de ses collègues et faire les choses autrement ».
« Les juges peuvent se tromper sans que cela soit un comportement fautif ».