Un juré raconte son expérience
Radio-canada Et Cbc
2024-03-20 11:15:40
En tant que jurés, 14 citoyens ont passé plus d’un mois à vivre au rythme du procès du meurtrier Marc-André Grenoné. On a rencontré l’un d'eux…
« Content » d’avoir été choisi, le juré qui a accepté de nous accorder une entrevue nous transporte dans son quotidien au palais de justice.
Le processus de délibérations doit demeurer secret en vertu du Code criminel. Aucun élément s’y rapportant n’est donc abordé dans le cadre de cette entrevue.
Avant d'être convoqué pour la sélection du jury, aviez-vous déjà mis les pieds dans un palais de justice?
Oui. J'étais déjà allé lors d'une cause qui était plus au civil. En fait, c'était un membre d'une organisation qui poursuivait l'organisation pour avoir été expulsé.
Pourriez-vous me décrire votre état d'esprit au moment où vous avez été choisi pour faire partie du jury?
J'étais content. J'ai toujours aimé les émissions juridiques, les émissions d'enquête et les émissions policières. J'ai toujours aimé ça. Ça me permettait peut-être de mettre les pieds dans ce domaine-là, dans cet univers. J'étais très heureux, très content. Je mettais mon identité de côté. Ce sont des pairs de la société qui sont mis ensemble pour juger d'une preuve.
En fait, étiez-vous conscient que le procès allait s'échelonner sur plus d'un mois et que vous alliez devoir être à la disposition de la cour pendant toute cette période?
D'emblée, nous ne l'étions pas. En fait, on l'a su lors de la journée de sélection des jurés, le 15 janvier. C'est là que le juge nous a dit que le procès durerait entre cinq et six semaines. J’étais très volontaire. Je n'avais pas de problème avec cet aspect-là.
Au départ, est-ce qu'il y a un officier de la cour qui est présent précisément pour vous informer de votre rôle et pour vous expliquer comment la procédure va se dérouler?
En fait, c'est sûr qu'on avait toujours des constables spéciaux qui étaient avec nous pour s'assurer de notre sécurité, que tout le processus était légal et était strict. Nous avions toujours deux constables spéciaux avec nous durant tout le procès. Les mêmes tout le long du procès, d'ailleurs.
Donc, ces constables spéciaux là nous accompagnaient à tout moment, en dehors du palais de justice, parce que, à l'occasion, nous sortions dîner au restaurant. Certains de mes collègues jurés étaient fumeurs, donc devaient sortir du bâtiment, étant donné que c'est un édifice public. Ils étaient toujours accompagnés. Un constable les accompagnait pour fumer pendant que l'autre restait avec le reste du jury.
C'était toujours, toujours, toujours surveillé. Et lorsque nous sortions de notre local de délibérations, nous ne pouvions parler aucunement du procès ou tout ce qui s'était discuté dans la journée ou durant le procès. C'était vraiment très strict.
Puis, même quand la porte du local était ouverte, on ne pouvait pas parler quand un de nos jurés était aux toilettes, on ne pouvait pas parler non plus du procès. Il fallait vraiment tous être sur le même pied d'égalité en termes de connaissance de la cause pour faire en sorte que la cause soit équitable, finalement. Sinon, c'est le juge qui nous a guidés à travers tout le processus de l'exécution de notre tâche de jurés.
Le procès a été long. C'était votre devoir d'être là du début à la fin. Pourriez-vous me décrire les répercussions que votre expérience a eues sur votre vie personnelle et sur votre vie professionnelle?
Étant célibataire, je n'avais pas trop de comptes à rendre à qui que ce soit, en fait, mais je sais que mes autres collègues jurés ont eu des petits ajustements à faire avec leur famille. C'est très normal aussi. Côté professionnel, c'est sûr et certain qu’il a fallu que je m'entende avec mon employeur pour être absent. Il n’y a pas eu d'impact majeur, de ce côté-là.
À quoi ça ressemblait, l'horaire quotidien?
Il fallait qu'on se présente au palais de justice pour 9 h. L'audience, elle, commençait à 9 h 30. On avait toujours une pause dans les alentours de 10 h 30, on reprenait tout de suite après. Ensuite, le dîner se passait de 12 h 30 jusqu'à 14 h et ça se terminait vers 16 h 30, je pense.
C'est arrivé une fois que ç'a débordé plus que ça, parce qu’il y avait un témoignage qui se terminait.
Comme on voit souvent des séquences de procès au cinéma ou à la télévision, le public a une idée de comment ça se déroule dans une salle d'audience. Est-ce qu'il y a une grande différence entre la fiction et la réalité?
Oui, il y a une très grande différence, et c'est la rapidité. Le procès, c'est très lent. Et on comprend, quand on assiste à un procès, que le juge doit s'assurer que les règles de droit sont respectées, que les avocats ne débordent pas, que le jury n'entend pas de choses qu'il ne doit pas entendre. Le rôle du jury, c'est de s'assurer que la preuve est tangible. Ce que le ministère présente, est-ce que ça se tient? En gros, c'est ça. Donc, c'est très lent ce qu'on voit dans les films, dans les séries télé, disons, c'est envoyé directement à l'essentiel. Ils nous enlèvent beaucoup de choses qui sont très lentes.
J'écoutais dans le temps la série CSI, et les experts qu’il y avait à Miami, à Las Vegas et New York. On voyait le meurtre. Au début, on voyait l'enquête qui suivait son cours, trois jours plus tard, c'était bouclé, le criminel était en prison, et cetera. Ce n’est pas de même que ça marche du tout, donc c'est vraiment des délais d'attente à toutes les étapes.
Alors en fait, dans la cueillette des preuves, dans le processus judiciaire, les avocats font des pieds et des mains pour ne pas mener les témoins à divulguer quelque chose qu'ils ne disent pas d'eux-mêmes pour ne pas guider ou ne pas influencer les témoins, c'est très minutieux, c'est très strict. Puis, je vous le dis, des interruptions, il y en avait. Les jurés, on ne peut pas tout entendre, parce que les règles de loi que le juge discute avec les avocats, bien souvent, ils peuvent divulguer des choses. Donc les jurés sont appelés à sortir très fréquemment durant le procès.
Dans une journée, on pouvait peut-être sortir 10 à 15 fois, retourner dans notre salle, on revenait cinq minutes après. Des fois, les (discussions) hors jury s'éternisaient, donc on repartait en pause ou on partait dîner, après ça, c'était très long, mais on comprend au bout de la ligne pourquoi ils font ça. C'est pour s'assurer que le procès soit équitable pour l'accusé. Ils nous font sortir pour régler des questions de droit et ensuite, on rentre. Il y a beaucoup de « in and out » de la salle d'audience pour les jurés.
Cette expérience a-t-elle changé votre perception du monde judiciaire?
Absolument oui, ç'a changé beaucoup ma perception. Je n’étais pas conscient de toute l'ampleur de ce qui était derrière la procédure judiciaire. Bien souvent, on voit un entrefilet dans les journaux, très minime, on voit que le jury a rendu le verdict ou que la cause est portée en appel.
On ne voit pas ce que ça implique exactement. Donc oui, ç'a changé profondément tout ce que peut impliquer le monde judiciaire, en fait.
Et désormais, allez-vous suivre différemment l'actualité judiciaire?
Ah oui, absolument! Je vais trouver ça sûrement plus intéressant et je vais savoir un petit peu plus aussi ce qui se passe derrière les portes closes qu'on ne voit pas.
D’après une entrevue de Frédéric Tremblay, animateur de C’est jamais pareil.