Une poursuite qui pourrait faire « plier Amazon »
Radio -canada
2023-09-27 11:15:00
Dans la foulée du dépôt, mardi aux États-Unis, d'une poursuite contre Amazon intentée le gouvernement fédéral et 17 États pour « maintien illégal d'un monopole » grâce à des « stratégies anticoncurrentielles et déloyales », un expert en droit de la concurrence juge que le géant du commerce en ligne pourrait bien être trouvé coupable, ou encore s'engager à respecter certaines exigences. Précisions en huit questions et réponses.
Les propos de Pierre Larouche, vice-doyen à la Faculté de droit de l'Université de Montréal, ont été recueillis lors d'une entrevue diffusée à l'émission Tout un matin, diffusée sur les ondes d'ICI Première.
1) Que reproche-t-on à l'entreprise?
P.L: On lui reproche d’avoir organisé ses affaires pour maintenir des prix élevés, aller extraire beaucoup de profits des vendeurs qui font affaire avec Amazon, et empêcher que des concurrents arrivent sur le marché.
2) Comment cela se produit-il?
P.L.: Le système d’Amazon est assez simple : plus il y a de gens qui vont acheter sur Amazon, plus c’est intéressant et nécessaire, pour les vendeurs, d’être sur Amazon, et il y a un effet d’entraînement.
Amazon dit essentiellement aux vendeurs : « Non seulement vous voulez être sur Amazon, mais vous voulez aussi être situés dans l’emplacement qui indique que si l’on clique (une seule fois), la transaction est effectuée (immédiatement) ».
Amazon dit aux vendeurs que pour obtenir ce positionnement, il faut respecter certaines règles : d’abord, ne pas vendre ailleurs à plus bas prix. « Si vous vendez moins cher ailleurs, oubliez (cet emplacement privilégié) ».
« Et vous devez aussi utiliser nos services de logistique », ce qui s’appelle le Fullfilment by Amazon.
Cela permet à Amazon de conserver un niveau de prix, de s’assurer que les vendeurs sont là, et d’aller extraire de l’argent des vendeurs en imposant ses services de logistique.
3) Impose-t-on un prix de vente?
P.L.: Non, ils peuvent vendre au prix qu’ils souhaitent, mais ils ne peuvent pas vendre moins cher ailleurs, et comme c’est indiqué dans la plainte déposée (mardi), Amazon va chercher près de 50 % des revenus des vendeurs qui font affaire sur la plateforme. (Les vendeurs) n’ont pas beaucoup de place pour baisser les prix.
4) Non seulement il est impossible de vendre moins cher ailleurs, mais donc, il faut aussi acheter les technologies d’Amazon?
P.L.: Effectivement. Je vais devoir envoyer mes articles à l’entrepôt d’Amazon, c’est Amazon qui va s’occuper de préparer les paquets et de les livrer aux consommateurs. Amazon facture pour cela, évidemment, et cela lui permet d’aller chercher une bonne partie de l’argent des vendeurs.
5) Est-ce que c’est, au sens de la loi américaine, légal ou illégal?
P.L.: Il va y avoir un procès pour ça, mais d’après moi, c’est illégal, et les documents déposés (dans le cadre de la poursuite) sont assez solides. Ce ne sont pas des pratiques très high tech, ce sont des (méthodes) que nous avons déjà vues dans d’autres affaires; un gros joueur utilise sa position pour forcer ses partenaires à acheter plus de services que nécessaire, (il va) aller extraire de l’argent, imposer des clauses pour maintenir les prix élevés et empêcher les parties tierces de concurrencer les prix. Ce sont des choses que nous avons déjà vues.
6) Déjà vues à quel endroit?
P.L.: Ce sont des pratiques qui ont été condamnées au fil du temps. Jamais dans des affaires aussi grosses, mais surtout, les mêmes pratiques ont été condamnées en Europe. En fait, ça ne s’est même pas rendu à une décision en Europe; Amazon a décidé d’offrir des engagements pour répondre aux soucis de la Commission européenne et ils ont mis fin à une partie des pratiques.
7) Sur quoi cette plainte va-t-elle déboucher?
P.L.: Pour l’instant, il y a quand même des progrès. Vous avez vu, (il y a deux semaines), que la poursuite contre Google a débuté devant les tribunaux (aux États-Unis), que le dossier Facebook suit son chemin, tranquillement. Cela pourrait donc aller quelque part. On pourrait peut-être faire comme en Europe et forcer Amazon à plier et à s’engager à changer ses pratiques. Et une enquête a aussi été ouverte au Canada; il est donc possible que le Canada se joigne au mouvement.
8) Et l’argument d’Amazon, selon qui cela va entraîner des hausses de prix pour les consommateurs, une augmentation des délais de livraison, etc. Quelle valeur accordez-vous à cet argumentaire?
P.L.: C’est un argumentaire classique, c’est pour cela que l’on voit que dans ce qui a été déposé (mardi), on a fait des efforts pour démontrer que cette conduite est au détriment des consommateurs, c’est-à-dire que cela entraîne des prix plus élevés. Je pense que cela sera un élément central de la bataille devant les tribunaux. Amazon va dire « nous, on fait ça dans l’intérêt des consommateurs », et on va leur dire « non, vos pratiques ont pour effet de maintenir des prix plus élevés qu’ils ne pourraient l’être ».
C’est un dossier (contre Amazon) qui semble assez bien monté, surtout que la compagnie s’est rendue aux arguments (de la poursuite) en Europe, l’an dernier. Il y a des chances qu’ils plient aussi aux États-Unis.