Du mauvais usage de la présomption d’innocence
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Michaël Lessard
2015-11-03 10:15:00

Depuis, huit policiers ont été suspendus, avec salaire, pour la durée de l’enquête sur ces allégations. En solidarité avec leurs confrères, les agents du poste 144 de Val-d’Or ont refusé de travailler en fin de semaine dernière. Ils ont alors déterré le vieil argument qu’on utilisait l’an dernier pour faire taire les victimes d’agressions sexuelles du mouvement #AgressionNonDénoncée, celui d’un respect sacré pour la présomption d’innocence.
Selon eux, les services de police ainsi que les policiers relevés ne devraient pas être critiqués tant et aussi longtemps qu’un tribunal n’a pas déclaré leur culpabilité. Or, c’est mal comprendre l’idée de présomption d’innocence si l’on souhaite l’utiliser pour faire cesser la dénonciation d’abus.
La recherche de la vérité
La présomption d’innocence est un concept juridique qui trouve son utilité en tant qu’outil procédural, mais qui ne convient pas nécessairement aux débats publics. Dans le processus judiciaire, la présomption d’innocence permet d’éviter de sauter aux conclusions, de condamner une personne pour un crime qu’elle n’a pas commis. En droit criminel canadien, la présomption d’innocence ne peut être renversée que si la Couronne prouve hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé.
La présomption d’innocence protège donc, d’une part, l’accusé contre une peine criminelle et, d’autre part, elle lui offre une chance de se défendre et de se faire entendre. En ce sens, la présomption d’innocence ouvre un dialogue entre les parties pour débattre de la culpabilité de l’accusé. Son objectif est donc de servir la recherche de la vérité.
Or, dès que les défenseurs du poste 144 invoquent la présomption d’innocence pour faire taire les critiques, ils ne servent pas cet objectif de recherche de la vérité. Plutôt, ils font violence aux victimes en laissant entendre qu’elles ne sont que des menteuses. Alors que la ministre de la Sécurité publique, Lise Thériault, enjoint aux femmes autochtones de faire preuve de courage, ces partisans créent une atmosphère qui décourage la dénonciation d’abus policiers et d’agressions sexuelles.
Pourtant, le caractère public des témoignages des femmes autochtones ne va pas à l’encontre de la présomption d’innocence. Doit-on rappeler qu’il est de mise, en droit canadien, que toutes les accusations criminelles soient publiques ? Les policiers ne devraient pas faire exception. Au contraire, considérant la nature de leur fonction, ils devraient être tenus à un degré de transparence encore plus élevé que le reste de la population. En attendant des accusations criminelles formelles, ces témoignages ont leur pertinence sur la place publique.
La présomption d’innocence ne doit pas être utilisée pour étouffer le débat public entourant le traitement des femmes autochtones. Si la présomption d’innocence est un outil juridique qui protège les accusés de conséquences négatives comme l’emprisonnement, elle ne devrait pas les protéger de toutes les critiques. Une part de chaque crime doit être traitée à l’extérieur des tribunaux, à l’extérieur du système judiciaire. Ceci est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit d’un problème de misogynie et de racisme érigé en système.
Pour affronter ce problème, pour renverser la misogynie et le racisme, nous avons besoin d’une bonne dose de volonté politique. Ce ne sont pas les tribunaux qui pourront, seuls, le régler. Cette volonté politique ne naîtra que de la critique populaire, de la mobilisation et du débat public. Il est donc nécessaire de discuter des allégations d’abus sur la scène publique afin d’entamer une réflexion de société et d’inciter les acteurs politiques à agir concrètement. Un éventuel procès sur les policiers de Val-d’Or pourrait prendre plusieurs années. Pendant ce temps, les femmes autochtones demeureraient vulnérables. Il faut donc agir dès maintenant. La présomption d’innocence ne doit pas nous empêcher de critiquer un système dysfonctionnel.
Anonyme
il y a 9 ansLa population n'a pas à éprouver le même nombrilisme que la majorité des avocats, policiers et juges, pour qui le système judiciaire (ou son ombre) doit planer au dessus de toute discussion.
Depuis que les journalistes sont devenus en grande partie des journaleux, même eux se mettent de la partie, en assaisonnant leurs articles de "non prouvé en cours", "non testé en cours", et autres équivalents laissant de glace monsieur et madame tout le monde (qui de toute façon n'a pas accès au système judiciaire).
Un ancien prof de "branlette intellectuelle du droit" à l'UdeM (fondement du droit II, si ma mémoire est bonne) soulignait avec humour que le Québec était habité par une multitude d'ordres normatifs, en invitant la classe à s'interroger sur les règles régissant la vie dans l'univers carcéral. Cette réalité est évidente pour le peuple, mais les juristes ont besoin de se la faire rappeler fréquemment.
DSG
il y a 9 ansIn English we call that a vacation.
Me Daniel Atudorei
il y a 9 ansLa présomption d'innocence ne s'applique qu'aux accusés. Le texte des deux Chartes est limpide à ce sujet. Le fait que ce sont des policiers qui massacrent tellement ce concept est plutôt inquiétant...
Anonyme
il y a 9 ansPourtant de nombreux confrères et consoeurs dans un débat récent hurlaient que tant qu'il n'y avait pas de condamnation pénale, l'individu n'avait rien fait...
Anonyme
il y a 9 ansEst-ce qu'un procureur a pris une décision dans leur cas ? Non ! Fin de la comparaison.
Anonyme
il y a 9 ansMélange? Non, je comprends plutôt le but et les modalités de la déjudiciarisation qui excluent carrément la présomption d'innocence. Malgré ceci, de nombreux confrères et consoeurs ont déchiré leurs chemises en clamant présomption d'innocence...
Un autre clown à rabat
il y a 9 ansBien qu'enclin à donner raison à ce futur et honorable confrère (si les dieux du Barreau sont de son côté, et sans doute le seront-ils), je me permets tout de même de souligner que le lent déclin de la pensée critique et du doute comme méthode dans nos société occidentales poursuit son chemin.
Alors oui, le doute raisonnable est une fiction juridique, oui oui. Mais cette volonté de condamner, de tirer des conclusions sans entendre l'ensemble des faits, bref, cette hystérie épistémologique, devrait nous inquiéter au plus haut point.
Maintenant il s'agit de policiers -probablement- vicieux et indignes de leurs fonctions, et hier c'était les tables qui bougent et les livres sur Jésus. Demain ce sera notre vision globale du monde qui sera soumise aux jugements moraux et la cuistrerie intellectuelle.
Bref, le doute raisonnable c'est l’extension de la révolution scientifique appliquée au droit. Peut-être quand les ordalies seront ré-instituées, le bon peuple du Journal de Montréal sera content et trouvera que ça a don' ben du bon sens.
Et le bon peuple est honorable. Et je ne suis pas ici pour contester ce que pense et souhaite le bon peuple, encore moins mon futur et honorable confrère.
YL
il y a 9 ansJe vous félicite pour votre très bonne analyse de la situation. Je suis tout à fait d'accord avec ce que vous dites.