Installation d’une caméra par la famille d’une patiente
Lylia Benabid
2025-01-21 11:15:23
Retour sur une décision du Tribunal d’arbitrage…
Dans la décision Syndicat des professionnelles en soins du Nord-de-l’Île-de-Montréal (FIQ) et Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l’Île-de-Montréal (grief syndical), 2024 QCTA 522 (a. Fany O’Bomsawin), le Tribunal d’arbitrage doit déterminer si l’installation d’une caméra dans la chambre d’une patiente neurovégétative par le conjoint de celle-ci respecte le droit du personnel soignant à des conditions de travail justes et raisonnables qui respectent leur santé, leur sécurité et leur intégrité physique.
Le conjoint de la patiente entretient des doutes relativement aux soins prodigués à cette dernière. Particulièrement, ses doutes se renforcent lorsqu’il constate à son arrivée que sa conjointe a de la vomissure séchée sur elle, suggérant que la dernière visite du personnel soignant remonte à un certain temps. Préoccupé par cette situation, il décide d’installer une caméra dans la chambre de sa conjointe. Par cette installation, il désirait assurer le bien-être de sa conjointe et veiller sur elle, permettre aux enfants de voir leur mère et s’assurer de la qualité des soins qu’elle reçoit.
Le personnel soignant conteste l’installation de la caméra en informant l’infirmière-chef de la situation. Celle-ci contacte le contentieux de l’employeur afin de déterminer si cette installation est légale.
Les avocats de l’employeur informent l’infirmière-chef que le conjoint de la patiente est en droit d’installer la caméra, sous réserve de certaines balises à respecter. Ces balises sont les suivantes : 1) la caméra ne doit pas capter l’intérieur de la salle de bain ; 2) la caméra ne peut pas viser un membre du personnel en particulier et 3) le conjoint ne peut ni partager ni publier les images captées. Le conjoint consent à respecter ces balises.
Malgré ces balises, la situation s’envenime. D’une part, certains gestes réactionnaires et provocateurs sont posés par le personnel soignant, qui cache notamment l’objectif de la caméra ou danse devant l’appareil. D’autre part, le conjoint s’adresse directement au personnel via la caméra et il a voulu montrer des captures d’écran à une assistante-infirmière-chef afin d’identifier des membres du personnel soignant à l’égard de qui il voulait formuler des plaintes. En bref, le personnel se sent épié et vit un stress important.
Le syndicat plaide que l’installation de la caméra contrevient aux dispositions de l’article 46 de la Charte des droits et libertés de la personne (ci-après la Charte) selon lequel les travailleurs ont droit à des conditions de travail justes et raisonnables qui respectent leur santé, leur sécurité et leur intégrité physique.
La Charte protège les employés contre la surveillance par l’employeur au lieu de travail sans qu’il ait un motif valable. Elle ne vise pas la présence de toute caméra ou de tout autre mécanisme qui a le potentiel de capter une image ou un son. Comme il ne s’agissait pas d’une surveillance de la part de l’employeur, l’article 46 de la Charte ne s’applique pas dans un tel contexte.
L’arbitre revient particulièrement sur l’état neurovégétatif de la patiente et sur son impossibilité de communiquer, son conjoint agissant à titre d’alter ego et de représentant. L’arbitre O’Bomsawin considère que le droit à la dignité de la patiente implique qu’il n’est pas déraisonnable pour le conjoint de vouloir être en contact avec sa conjointe à tout moment. Ce contact permanent lui permettait de s’assurer du bien-être de sa conjointe et d’assumer pleinement son rôle de représentant.
De plus, une fois la caméra installée et une fois informé de différents évènements, l’employeur a réagi raisonnablement. À titre d’exemple, l’employeur a rencontré le conjoint et a mis en place des façons de faire pour éviter que les situations problématiques ne se reproduisent dès qu’il a été mis au courant de celles-ci. Par ailleurs, l’employeur a rappelé au conjoint son obligation de confidentialité à l’égard des images captées à plusieurs reprises. Enfin, l’employeur rappelle au personnel soignant l’existence du programme d’aide aux employés pour tenter de soutenir les employés éprouvant de la difficulté face à l’installation de cette caméra.
Le Tribunal rejette le grief considérant que l’employeur n’a pas lui-même installé la caméra, qu’il n’a eu aucun accès aux images captées ni ne les a visionnées, et qu’il a effectué une gestion raisonnable, quoiqu’imparfaite, des situations problématiques qui ont découlé de l’installation de la caméra.
À propos de l’auteure
Lylia Benabid est avocate coordonnatrice de l’information juridique chez RBD. La Barreau 2015 est détentrice d’un baccalauréat en Études internationales et d’un baccalauréat en droit de l’Université de Montréal. Elle complète présentement une maîtrise en droit international de l’Université du Québec à Montréal.
YB
il y a 15 heures"Malgré ces balises, la situation s’envenime. D’une part, certains gestes réactionnaires et provocateurs sont posés par le personnel soignant, qui cache notamment l’objectif de la caméra ou danse devant l’appareil. D’autre part, le conjoint s’adresse directement au personnel via la caméra et il a voulu montrer des captures d’écran à une assistante-infirmière-chef afin d’identifier des membres du personnel soignant à l’égard de qui il voulait formuler des plaintes. En bref, le personnel se sent épié et vit un stress important."
C'est répugnant comme comportements. Et que dire du syndicat qui les défend.