La piscine flotte, la demande coule
Ariane Vanasse
2024-02-26 11:15:08
Focus sur une récente décision de la Cour supérieure en matière de droit des assurances…
Dans la décision récente Piscines Élégance – Québec inc. c. Comtois, 2023 QCCS 4574, la Cour Supérieure rappelle les règles entourant l’obligation d’information d’un entrepreneur envers son client dans le cadre d’un contrat de consommation à forfait pour lesquels des extras onéreux ont été facturés.
Piscines Élégance – Québec inc. (« Piscines ») réclame au défendeur Comtois (« Comtois ») la somme de 103 000$ représentant le solde d’une facture de 144 972$ pour des travaux visant à réparer les dommages causés à une piscine durant la saison hivernale 2020-2021.
Comtois étant insatisfait des travaux exécutés et de leur coût, il se porte demandeur reconventionnel contre Piscines et son actionnaire unique, M. Dominic Flamand (« Flamand ») pour une somme de 36 253$ représentant le coût pour corriger les travaux mal exécutés par Piscines, 15 000$ en dommages punitifs et 10 000$ pour troubles, stress et inconvénients.
Les faits
À l’été 2020, l’entrepreneur Mini Excavation installe dans la cour de la résidence de Comtois une piscine creusée en fibre de verre achetée en 2018. Vers le 25 décembre 2020, Comtois remarque que les dalles de béton entourant la piscine sont endommagées par le gel.
En mai 2021, Comtois mandate Piscines afin de déterminer la cause du bris et d’évaluer le coût des réparations. Le 4 mai 2021, après une visite des lieux, Flamand, le représentant de Piscines, présente un devis de réparation au montant de 18 396$ taxes incluses.
Ce devis inclut entre autres les travaux pour sortir la piscine existante, l’excavation complète, le retrait de la pierre contaminée et l’installation complète et mise à niveau de la piscine. Comtois confie les travaux à Piscine et ceux-ci auront lieu du 4 au 13 octobre 2021.
Piscines sous-traite les travaux d’excavation à Excava Plus, son sous-traitant régulier. Le 13 octobre 2021, Flamand remet à Comtois une facture de 144 972$ taxes incluses, incluant 79 900$ avant taxes pour des travaux d’excavation. C’est cette facture qui est au cœur du litige entre les parties.
Les prétentions des parties Flamand explique au procès que ces travaux d’excavation supplémentaires ont été requis puisque la piscine initiale était installée dans l’eau et il était impossible de soupçonner ces extras avant de creuser. Il insiste sur le fait qu’il discutait tous les jours avec Comtois et sa conjointe, Lucie Morin (« Morin »), en indiquant que les travaux allaient générer des extras et que ceux-ci lui demandaient de continuer, sans jamais indiquer leur désaccord ou lui demander de cesser les travaux.
Flamand admet n’avoir fait signer aucun contrat à Comtois et Morin pour ces extras parce qu’il ne pouvait évaluer les coûts à l’avance. Enfin, Piscines plaide qu’elle est justifiée de réclamer cette somme, puisque le devis initial comportait une clause prévoyant la possibilité de frais supplémentaires.
De son côté, Comtois plaide que les parties sont liées par un contrat de consommation à forfait et la clause des extras dans le devis ne s’applique pas à un consommateur, qui ne peut imaginer avoir à payer une facture aussi élevée lorsque le devis indique « excavation et installation complète ».
Il ajoute que Piscines a manqué à son obligation de renseignement sur des éléments essentiels du contrat et que Flamand a commis un dol, puisqu’il a gardé sous silence le coût des extras et avait visiblement un plan pour surfacturer. Pour les motifs détaillés ci-dessous, la Cour donne raison à Comtois.
Décision
Le tribunal estime qu’un seul contrat est intervenu entre les parties puisqu’aucune soumission n’a été remise pour les extras, qu’une seule facture a été produite et que le client n’a jamais valablement consenti aux travaux d’excavation supplémentaires pour le prix réclamé. De plus, le devis au prix de 18 396$ taxes incluses se qualifie de contrat à forfait tel que défini par l’article 2109 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »).
De plus, le contrat doit aussi être qualifié de contrat de consommation au terme de l’article 2 de la Loi sur la protection du consommateur (« LPC »), puisqu’il est intervenu entre un consommateur et un commerçant dans le cours de ses activités et avait comme objet un bien ou un service.
Le tribunal est d’avis que Piscines ne peut réclamer le solde de sa facture s’élevant à 103 000$ à Comtois, puisque celle-ci a manqué de façon flagrante à son devoir d’information et d’autre part, Comtois a été victime de dol par Piscines et son sous-traitant.
Enfin, le contrat à forfait liait Piscines pour le prix indiqué au devis et la preuve démontre que la facturation était injustifiée en raison d’une méthode de travail à l’encontre des règles de l’art et d’une exagération des coûts.
Le jugement conclut que Piscines devait renseigner adéquatement Comtois sur le coût des extras et des modifications au contrat initial. Simplement prétendre que Piscines ne pouvait pas savoir le coût des extras ne libère pas celle-ci de son obligation fondamentale d’informer son client, prévue à l’article 2102 C.c.Q. et à l’article 228 LPC. D’ailleurs, Comtois et Morin étaient des profanes en matière de réparation et d’installation de piscines ainsi qu’en excavation.
À titre de client, Comtois avait le droit fondamental de connaître le coût des extras afin de pouvoir prendre une décision éclairée, à savoir s’il acceptait de continuer le contrat de réparation de la piscine.
Le silence de Piscines et de Flamand concernant les extras constitue une conduite condamnable et fautive. La Cour retient que Comtois n’a pas donné un consentement valable aux extras, même s’il a dit à Piscines de continuer les travaux, puisqu’il en ignorait les coûts.
Quant à la clause des frais supplémentaires prévue au devis, la Cour indique qu’elle n’est pas opposable à Comtois, puisque l’on est en présence d’un contrat de consommation et d’un manquement clair au devoir d’information et de bonne foi du commerçant.
En outre, la jurisprudence reconnaît que les conditions du sol entraînant des augmentations de prix sont généralement dues aux risques de l’entrepreneur. Ainsi, la présence de glaise et de « tuf » sous la piscine de Comtois ne pouvait être un motif pour facturer des extras.
Enfin, le jugement conclut qu’il ressort de la preuve que Comtois avait donné son consentement pour des extras jusqu’à concurrence d’une somme de 41 937,13$, laquelle avait été payée à Piscines. Il appert de la preuve que Piscines a décidé de changer la méthode d’excavation annoncée au début des travaux afin d’en adopter une plus dispendieuse, sans explication valable, afin d’induire en erreur Comtois et lui soutirer de l’argent.
Il ressort également de la preuve que Piscines avait adopté ce stratagème auprès d’autres clients pour les arnaquer et surfacturer. Ce faisant, la Cour conclut que Piscine a commis un dol par omission et réticence sur le coût des extras et de fausses représentations sur la méthode de travail.
La Cour rappelle le principe que l’actionnaire et l’administrateur unique d’une compagnie peut être tenu responsable des dommages causés à un tiers s’il a participé à une faute extracontractuelle de la compagnie et/ou s’il y a mauvaise foi et intention malicieuse de l’administrateur.
Dans la présente affaire, il fut donc conclu que Flamand, administrateur et actionnaire unique de Piscines, a activement participé à la faute et au dol commis par celle-ci et a adopté une conduite malveillante et dolosive pour faire bénéficier Piscines de revenus exagérés.
Ce faisant, la Cour retient que Flamand et Piscines doivent être tenus solidairement responsables envers Comtois. Ainsi, la demande de Piscines fut rejetée et la demande reconventionnelle de Comtois fut accueillie en partie.
Piscines et Flamand furent condamnés solidairement à payer à Comtois la somme de 22 661,91$, représentant le coût des travaux pour rendre la piscine fonctionnelle, 5 000$ pour le stress et les inconvénients subis par Comtois et 15 000$ à titre de dommages punitifs.
À propos de l’auteure
Me Ariane Vanasse est avocate plaidante au sein du groupe droit des assurances du cabinet Robinson Sheppard Shapiro.
Sa pratique se concentre sur les secteurs de la construction, de la responsabilité civile et du fabricant.
Avant de se joindre à RSS, elle pratiquait en tant qu’avocate plaidante au sein d’un cabinet spécialisé en droit immobilier où elle a développé une solide expérience en matière de vices de construction.