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La preuve de l’inaptitude

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Marie-nancy Paquet Et Catherine Pariseault

2024-10-17 11:15:06

Marie-Nancy Paquet et Catherine Pariseault, les auteurs de cet article. Source : Lavery
Marie-Nancy Paquet et Catherine Pariseault, les auteurs de cet article. Source : Lavery

Analyse de l'affaire CIUSSS de l'Ouest-de-L'Île-de-Montréal (St Mary's hospital center) c. R.C…

Résumé

Les autrices commentent cet arrêt du 20 septembre 2024, dans lequel la Cour d’appel traite de la notion d’aptitude à consentir à des soins, dans un contexte de troubles psychiatriques. Dans cet arrêt, la Cour d’appel infirme la décision de première instance, qui concluait que l’intimé, bien qu’il niait son diagnostic, était apte à refuser une prise d’antipsychotiques, puisqu’il comprenait les bienfaits que les antipsychotiques pouvaient lui apporter et les refusait en raison des effets secondaires.

La Cour d’appel conclu au contraire que le juge de première instance a mal appliqué les cinq critères permettant d’évaluer l’aptitude d’une personne à consentir aux soins, notamment dans le contexte où cette conclusion allait à l’encontre de l’expertise non contredite et que la preuve révélait plusieurs éléments soutenant une inaptitude de l’intimé à prendre une décision éclairée.

Introduction

Dans cette affaire, le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l'Ouest-de-l'Île-de-Montréal (le « CIUSSS ») a interjeté appel d'un jugement rendu par la Cour supérieure le 14 mars 2024, qui avait refusé sa demande d'autorisation d'administrer des soins à R.C., un homme de 51 ans. La Cour supérieure avait conclu que l'inaptitude de l'intimé à consentir aux soins n'avait pas été prouvée par l’établissement. La Cour d’appel est donc amenée à réviser la réponse du juge d’instance à la première question (l’inaptitude à consentir) de la grille d’analyse en fonction du test appliqué depuis maintenant trois décennies.

Les faits

R.C. a un historique médical complexe, ayant été hospitalisé à plusieurs reprises entre 2007 et 2019 pour des problèmes de santé mentale, notamment des idéations suicidaires et des troubles de personnalité. En 2021, il a été admis au CHUM pour des complications liées à la Covid-19, entraînant des lésions cérébrales dues à une hypoxie.

À partir de 2022, il a consulté les urgences de manière répétée, souvent pour obtenir des benzodiazépines, ce qui a mené à une dépendance. Malgré une période d'adhésion à un traitement antipsychotique, R.C. a cessé de prendre ce médicament en raison d'effets secondaires indésirables. En janvier 2024, après un épisode de confusion, il a été amené à l'hôpital où un diagnostic de schizophrénie tardive a été posé.

Cependant, R.C. a rejeté ce diagnostic, affirmant que ses problèmes de santé étaient causés par un dispositif d'intelligence artificielle qu'il croyait avoir été implanté dans son corps. Les psychiatres, après évaluation, ont conclu à son inaptitude à consentir aux soins. Le 16 février 2024, le CIUSSS a déposé une demande afin d’être autorisé à administrer des antipsychotiques à R.C. et pour le réhospitaliser, malgré son refus catégorique.

Après l’analyse de la preuve, essentiellement constituée du témoignage de R.C. et de la psychiatre du CIUSSS, la Cour supérieure en vient à la conclusion que R.C. comprend la nature de son état et les bienfaits des traitements proposés, malgré son refus de reconnaître son diagnostic. Le tribunal est d’avis que les psychiatres du CIUSSS, dans leur analyse de l’aptitude de R.C., ont erronément repris en cascade le refus du diagnostic dans l’analyse des cinq critères de l’arrêt A.G, commettant ainsi la même erreur que celle qui avait été relevée par la Cour d’appel dans l’affaire M.H.

Malgré l’absence de contre-expertise sur la question de l’aptitude de R.C., la Cour supérieure détermine que celui-ci est apte à consentir à ses soins. Selon le juge d’instance, il n’aurait donc pas compétence afin de les ordonner, selon les enseignements de la Cour d’appel dans l’arrêt F.D. La demande d’autorisation de soins est pour ce motif rejetée.

La décision de la cour

D’abord, la Cour d’appel réitère les cinq critères permettant d’évaluer l’aptitude d’une personne, soit : La personne comprend-elle la nature de la maladie pour laquelle un traitement lui est proposé? La personne comprend-elle la nature et le but du traitement? La personne saisit-elle les risques et les avantages du traitement, si elle le subit? La personne comprend-elle les risques de ne pas subir le traitement? La capacité de comprendre de la personne est-elle affectée par sa maladie?7

Elle rappelle également que ces critères ne sont pas cumulatifs et que le décideur doit procéder à une évaluation de l’ensemble de ceux-ci. De plus, le seul fait de refuser des soins qui seraient dans son intérêt est insuffisant et n’emporte pas une conclusion d’inaptitude, tout comme le refus de reconnaître son diagnostic.

En l’espèce, la Cour d’appel considère que le juge a commis une erreur manifeste et déterminante justifiant son intervention. D’emblée, la Cour affirme que le juge devait s’exprimer quant à la suffisance de la preuve présentée et rappelle le rôle proactif qu’il devait jouer dans la préservation des intérêts de la personne visée. Le juge d’instance devait donc poser des questions s’il estimait qu’un point ne faisant pas l’objet d’un véritable débat contradictoire soulevait pour lui une difficulté.

Par la suite, la cour reprend des extraits de la preuve constituée d’un rapport psychiatrique et du témoignage de son auteur puis constate que cette preuve ne permettait pas au juge d’instance de conclure que R.C. était apte à consentir ou à refuser au plan de traitement proposé, au contraire. À la lumière de cette même preuve, la Cour déclare que ce dernier est inapte à consentir aux soins et renvoi le dossier à la Cour supérieure pour qu’elle puisse se prononcer quant à l’existence d’un refus catégorique de même que sur les modalités du plan de traitement recherché.

Le commentaire des auteures

Cet arrêt de la Cour d'appel s'inscrit dans la continuité d’une vingtaine de décisions rendues par cette même cour en matière d'autorisation judiciaire de soins, qui ont contribué à établir et à préciser les principes directeurs depuis la décision F.D. de 2015. Ces décisions successives ont non seulement enrichi la jurisprudence, mais ont également permis d'affiner les critères d'évaluation et les exigences légales entourant les demandes d'autorisation de soins. Cette évolution jurisprudentielle témoigne de l'engagement des tribunaux à encadrer les situations complexes liées aux soins de santé.

Cet exercice relève de la recherche d’un équilibre entre les droits à la liberté et à l’autodétermination d’une part, et à la protection des personnes vulnérables ou autrement inaptes à consentir, d’autre part. Rappelons que le 6 juillet 2015, la Cour d’appel du Québec a marqué un tournant décisif en matière d’autorisations judiciaires de soins avec un arrêt qui se voulait un véritable coup de semonce à la Cour supérieure : F.D. c. Centre universitaire de santé McGill (Hôpital Royal-Victoria).

Ce jugement a établi une grille d’analyse visant le respect des dispositions et de l’esprit de la loi. Depuis cette date, cette Cour a rendu près d’une vingtaine d’arrêts significatifs, chacun apportant des éclairages complémentaires.

Les principes directeurs tirés de ces décisions peuvent être résumés selon les thèmes suivants :

  • Les droits liés au processus judiciaire

Chaque individu a le droit fondamental de contester une demande d’autorisation judiciaire de soins, d'être entendu et de se faire représenter.

Le juge doit jouer un rôle proactif pour protéger les intérêts de l’usager et s’assurer qu’il est représenté par un avocat.

  • La portée du plan de soins

Exiger un plan de soins précis ne signifie pas qu'il faille imposer un médicament spécifique de manière restrictive. Un juge peut retirer certaines substances d’un plan de traitement s’il estime que cela sert l’intérêt du patient. Il est crucial de faire la distinction entre les soins préventifs et un plan de traitement qui inclut diverses alternatives selon l’évolution de la situation.

Une clause d’hospitalisation non immédiate doit être justifiée par la prévisibilité raisonnable d'une hospitalisation. Lorsqu’un patient est hébergé, la demande d’autorisation doit préciser le lieu d’hébergement. La contrainte physique ne peut être utilisée que si elle est indispensable pour éviter un préjudice grave et doit être limitée à l’essentiel. Le refus des parents de consentir à un plan de traitement peut ne pas être justifié si le plan sert l’intérêt de l’enfant.

  • La durée de l’autorisation

En l'absence de collaboration de la personne concernée et sans accès à ses dossiers médicaux antérieurs, le juge doit faire preuve d'une prudence accrue lors de l'examen de la légalité du plan de soins proposé, notamment en ce qui concerne sa durée et son étendue. La durée de l’ordonnance de soins doit être aussi courte que raisonnablement possible, sans compromettre l’efficacité du traitement.

Lorsqu’une hospitalisation non immédiate est envisagée, le juge doit tenir compte du temps nécessaire à la stabilisation du patient. La durée de 30 jours d'hospitalisation non immédiate ne doit pas être considérée comme une limite absolue, une période plus longue pouvant être nécessaire après une analyse rigoureuse.

  • La preuve

La simple relation entre l’expert et les parties ne rend pas son témoignage irrecevable ; il faut examiner les circonstances entourant son rôle. Un expert qui ne connaît pas les raisons du refus d’un traitement par un patient n’enfreint pas son devoir d’information. Un expert peut témoigner sur des faits rapportés sans qu'une opposition soit possible. Toutefois, cela ne signifie pas que ces faits sont avérés, car les règles de preuve demeurent strictes dans ce contexte.

Le rapport d’un expert peut suffire comme témoignage ; le juge n'a pas à exiger le témoignage du patient si ce dernier ne peut pas comprendre les enjeux. Dans les demandes d’ordonnance de sauvegarde, l’absence d’un rapport d’expertise et l’absence d’urgence peuvent faire échouer la demande.

Cette rétrospective met en lumière les avancées significatives réalisées par les tribunaux dans l'encadrement des demandes d’autorisations judiciaires de soins et la protection des personnes vulnérables. La grille d’analyse instaurée par l’arrêt F.D. reste pertinente, et les décisions subséquentes ont affiné les paramètres de cette analyse.

L'arrêt rendu par la Cour d'appel dans l'affaire du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l'Ouest-de-l'Île-de-Montréal c. R.C. constitue une étape importante dans l'évolution de la jurisprudence relative aux autorisations judiciaires de soins. En infirmant le jugement de première instance, la Cour a réaffirmé la nécessité d'une évaluation rigoureuse de l'aptitude à consentir, sans nier l'importance du rôle des équipes médicales et des demandes des établissements de santé pour garantir la dispensation des soins requis.

Cette décision souligne non seulement la protection des droits des usagers, mais également l’importance du travail du tribunal qui doit s’assurer que les critères sont remplis, mais sans substituer son opinion à celle des experts entendus.

Conclusion

L’arrêt faisant l’objet du présent commentaire s'inscrit dans une lignée de décisions qui ont permis de clarifier et de renforcer les principes directeurs établis depuis l'arrêt F.D. de 201534. La Cour d'appel a fourni des lignes directrices précieuses pour les juges, les établissements et les professionnels de la santé dans l'évaluation des demandes d'autorisation de soins.

À travers l'examen minutieux des circonstances entourant chaque cas, les tribunaux ont démontré leur engagement à encadrer efficacement les situations complexes liées aux soins de santé, en veillant à ce que les établissements disposent des outils nécessaires pour intervenir de manière adéquate.

Enfin, il est crucial de reconnaître que, bien que des avancées aient été réalisées, des questions demeurent en suspens et nécessitent une attention continue. Les décisions récentes des tribunaux, y compris celle qui a conduit à l'arrêt R.C.35, illustrent l'importance d'un dialogue constant entre le cadre légal et les réalités cliniques. À mesure que la jurisprudence évolue, il sera essentiel de rester attentif aux développements futurs afin d'assurer aux établissements de santé la capacité d'agir efficacement tout en respectant les besoins des patients.

Cet article a été publié à l’origine sur le site de Lavery.

À propos des auteures

Marie-Nancy Paquet est codirectrice du bureau de Sherbrooke et associée au sein du groupe Litige du cabinet Lavery.

Catherine Pariseault exerce au sein du groupe droit administratif et droit de la santé du cabinet Lavery. Sa pratique est principalement axée sur le droit professionnel et disciplinaire, les droits de la personne et la psychiatrie légale.

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