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Les décisions de la CSC sont-elles appelables?

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Claude Laferrière

2015-12-15 13:30:00

La Cour suprême du Canada est la plus haute juridiction du pays. Mais existe-t-il une possibilité d’en appeler de ses décisions ? Cet avocat soutient une thèse étonnante...
Me Claude Laferrière pratique le droit des affaires à Boucherville
Me Claude Laferrière pratique le droit des affaires à Boucherville
Est-il possible, théoriquement du moins, d'en appeler en 2015 au ''Judicial Committee of the Privy Council'' (ci-après le Comité) d'une décision de la Cour suprême du Canada ?

Au risque d'en choquer plusieurs, la question peut certainement se poser dans une salle de classe d'une faculté de droit où la liberté d'expression peut se manifester de manière ordonnée et sans dérive. Mais cette question, en apparence légitime et curieuse dans le contexte actuel, peut-elle se justifier ?

D'emblée, c'est une mauvaise question. Des objections majeures, politiques voire culturelles, font en sorte qu'il n'est pas de bon ton dans l'environnement de la rectitude politique ou du ''political correctness'' de la communauté juridique de poser certaines questions car, là comme ailleurs, il y a un courant principal ou mainstream qui semble justifier la censure informelle et renforce les idées reçues ! (1)

Personne n'ose s'interroger sur la possibilité, même théorique, d'un appel d'une décision rendue par la Cour suprême du Canada, comme si cela n'avait jamais existé. Et pourtant. Au Canada, les appels au Comité en matière criminelle ont cessé en 1933 et en matières civile en 1959.

Généralement favorables aux provinces, les décisions de la Chambre des Lords ont renforcé l'équilibre dans le partage des compétences en droit constitutionnel canadien. Je ne citerai pas de références précises puisque les étudiants en droit de première année les arpentent dès le début de leur formation.

L'objection majeure et par excellence vient de la loi elle-même. Sophisme ?

Selon toute apparence, c'est l'adoption de l'article 52 de la Loi sur la Cour suprême (2) qui a véritablement sonné le glas des appels. On y lit:

CARACTÈRE SOUVERAIN


''La Cour est la juridiction suprême en matière d’appel, tant au civil qu’au pénal; elle exerce, à titre exclusif, sa compétence sur l’ensemble du Canada; ses arrêts sont définitifs et sans appel.''

(Pourquoi cette expression Caractère souverain, à facture constitutionnelle, se retrouve-t-elle dans une loi ordinaire ? Quelle est sa portée ?)

Ouch !

Manifestement, est-ce que cet article a pour effet de lier la juridiction anglaise du Comité qui se situe à l'extérieur du territoire canadien alors que l'exécutif et le chef de l'État, ici au Canada, continuent d'exercer les pouvoirs de la Souveraine et que la mention de l'indépendance du Canada qui apparaît dans la Proclamation royale de 1982 (3), n'apparaît nulle part dans le Canada Act 1982 (4) et n'a donc jamais été débattue au Parlement de Westminster ? (5)

Retour à Londres ?

La question des traités autochtones, mais aussi et surtout de l'Acte de Québec de 1774 (6) qui consacre le droit des français du Canada à la religion catholique et au droit civil français, constitue la pierre angulaire de notre identité. Je ne connais pas de juriste ou de plaideur qui évoquent ou ont osé évoquer dans leurs écrits ou ailleurs, au cours des dernières années, cette loi anglaise qui ressemble davantage à un traité consenti par le roi George III, à une époque où ces mêmes français étaient sollicités par un certain George Washington pour joindre la révolution américaine.

L'Acte de Québec de 1774, les traités autochtones et nos banques à charte, ainsi que de nombreuses entreprises commerciales du Canada, doivent leur existence à leur lien juridique privilégié avec la Couronne britannique qui leur a permis de se constituer et d'exercer leur activité commerciale dans le royaume outre-mer. Or, rien de tout cela n'a été dissous ou abrogé. Mais on en parle pas. Tout simplement ! Aujourd'hui, seuls les traités autochtones rebondissent devant nos tribunaux. Peut être vont-ils nous ramener à Londres. Qui sait ?

Mais que dire de l'Acte de Québec de 1774 qui est la pièce juridique par excellence au coeur de notre survie collective, voire de notre identité ? À une époque où l'Écosse menace l'unité nationale de la Grande-Bretagne, je suis convaincu qu'un appel sur permission au Comité serait reçu comme un baume par l'exécutif anglais..., et le judiciaire !

Juridiction du Commonweath

Finalement, examinons si les règles procédurales du Comité donnent ouverture à un tel appel. Il s'agit principalement de la Règle 10.(7) Voici.

''Part 2 - Application for permission to appeal''
''Permission to appeal''
''10. -''
''In cases where permission to appeal is required, no appeal will be heard by the Judicial Committee unless permission to appeal has been granted either by the court below or by the Judicial Committee.''

En ce qui nous concerne, il apparaît clairement que l'article 52 de la Loi sur la Cour suprême ne prive pas le Comité de son pouvoir d'accorder un appel sur permission. Sa juridiction est limitée au territoire du Canada alors que la compétence du Comité couvre le Commonweath.

Ne plus exercer un droit, ne signifie pas y renoncer ! À toute fin utile, n'est-il pas audacieux d'avancer que Londres pourrait mieux défendre l'identité québécoise que le fédéral d'autant plus que c'était en 1774, la volonté claire, nette et exprimée du Roi George III?

On pourrait ainsi faire un clin d'oeil amer à l'Écosse, tout en arrachant un sourire complaisant au très conservateur premier ministre David Cameron, au plus grand plaisir des Lords décideurs.

Hypothèse de travail ou option, dans un pays au bord d'une crise majeure d'unité nationale avec la résurgence d'une Écosse nationaliste, le recours au Comité serait un signe clair de loyauté et serait célébré, je suis convaincu.

Depuis 1992, Me Claude Laferrière pratique le droit des affaires à Boucherville. Il a également exercé diverses fonctions au sein du Service correctionnel du Canada pendant 28 ans comme agent de correction sénior, agent de programme en désintoxication et agent de libération conditionnelle.

Il est chargé de cours à l’Université de Montréal en Droit de la sécurité nationale et en droit des affaires avancé pour les étudiants de maîtrise.

Pendant quatre ans, il a été le conseiller juridique probono de l’Association des familles de personnes assassinées ou disparues et a participé à de nombreuses interventions publiques dans les médias écrits et électroniques afin de faire la promotion de réformes.

Me Laferrière détient un baccalauréat et une maîtrise en philosophie, de même qu’un baccalauréat et une maîtrise en droit de l’Université de Montréal. En 2005, il a complété une scolarité de doctorat en philosophie à l’Université Laval puis a obtenu une maîtrise en droit international spécialisée en droit de la sécurité nationale du Georgetown University Law Center de Washington D.C.

En 2009, il a publié chez Wilson & Lafleur Ltée. un ouvrage intitulé Five Essays on U.S. National Security Law qui résume l’ensemble de ses recherches à la Georgetown University.


(1) D'où une nouvelle marginalité? Cela va aussi loin que de rarement entendre plaider, sinon jamais, les droits à la vie et à la sécurité prévus à l'Article 7 de la Charte canadienne pour s'opposer à l'avortement et à l'euthanasie, par exemple, ou de ne jamais entendre plaider l'Article 1 de la Charte pour supporter une interprétation plus étroite de l'équité procédurale, notamment de la communication de la preuve (R. c. Stinchcomb, 1991 3 S.C.R. 326) lorsque la Couronne cherche à obtenir la condamnation d'individus qui sont manifestement des membres, voire des employés d'organisations criminelles internationales constituées en corporation aux États-Unis notamment, et dont les activités criminelles font perdre tous leurs moyens aux forces de l'ordre, ce qui peut contraindre, et a contraint, une Cour à déclarer un arrêt des procédures pour des accusations de meurtre (Berger c. R., 2015 QCCS 4666).
(2) http://laws-lois.justice.gc.ca/PDF/S-26.pdf
(3) http://data2.collectionscanada.gc.ca/misc/txt/23v886k.jpg
(4) http://www.legislation.gov.uk/ukpga/1982/11
(5) Cela signifie-t-il que le Parlement de Westminster pourrait par une simple majorité abroger le Canada Act 1982 et ainsi nous priver pour l'avenir de la formule d'amendement et de la Charte?
(6) http://avalon.law.yale.edu/18th_century/quebec_act_1774.asp
(7) https://www.jcpc.uk/procedures/rules-of-the-committee.html
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6 commentaires
  1. DSG
    Londres pourrait mieux défendre l'identité québécoise
    That would have been a good option in 1981 when Trudeau and his coconspirators reneged on a promise made during the referendum and shoved a constitution down Quebec's throat. If I remember correctly, the Levesque government had tried to appeal to the Privy Counsel but they didn't want to get involved.

  2. Avocat
    Avocat
    il y a 8 ans
    Avocat
    Encore un qui va se faire écoeurer par les zélés du Syndic pour ne pas soutenir la règle de droit.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 8 ans
      WOW
      Daniel:

      Non, on ne l'écoeurera pas, parce que ce n'est pas pertinent. Ton commentaire démontre que tu ne comprends pas grand chose.

  3. me
    Sorry Chap - high court contradicts you
    For anyone who is interested ..go read the article of Peter H. Russell published in 1968 in the Osgoode Hall law journal on the jurisdiction of the SCC ...you will learn among other things that the Privy Counsel itself declared it would no longer hear appeals from Canada [1947] A.C. 127 and that the Canadian Parliament acted intra vires in enacting the Act to amend the Supreme court act.
    Anyone interested in Constitutional law will have fun reading the decision which is about 10 pages long. Here is a link:http://www.bailii.org/uk/cases/UKPC/1947/1947_1.pdf

    so while the question raised by the author is interesting...it is pretty much settled for the last 70 years... entre l'opinion de Me Laferrière et celles des Lords... je prends celle des Lords!

    • Claude Laferrière
      Claude Laferrière
      il y a 8 ans
      Avocat
      Cher confrère, consoeur,

      C'est de l'Acte de Québec de 1774, et de ses dispositions d'ordre public et non de 92 AANB, auquel je fais référence. La décision de la Chambre de Lords ne se prononce pas sur la portée juridique de cet Acte.

      Cordialement.

  4. Nicholas Jobidon
    Nicholas Jobidon
    il y a 8 ans
    Avocat
    Texte très intéressant! À force de s'objecter aux questions hypothétiques, j'ai peur que notre profession n'en perde son imagination...

    Disons que vous avez raison et que le Privy Council accepte un appel d'un jugement de la Cour suprême et ordonne au gouvernement Canadien de verser une réparation au demandeur en vertu de l'article 24 de la Charte (qui continue, je présume, de s'appliquer). Les huissiers et shérifs canadiens pourront-ils exécuter ce jugement contre la Reine en chef du Canada? (Oublions pour l'instant l'épineux problème de l'immunité).

    Pour ma part, d'un point de vue plus politique, je suis présentement tout à fait confortable (voire soulagé) que la "puck" s'arrête devant le filet de la juge Beverley McLachlin... nous (québécois et canadiens) sommes chanceux, surtout si on se compare à nos voisins du Sud!

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