D'aspirante Miss France à avocate!
éric Martel
2019-08-30 15:00:00
On apprend que Esthel Née, participante ayant terminé au quatrième rang de la compétition Miss France en 2009, pratique désormais le droit au Québec.
En connaissez-vous beaucoup vous, des juristes qui ont participé à des concours de beauté d’envergure pendant leurs études en droit?
On se retrouve donc en plein coeur du Plateau Mont-Royal, entre un café et un magasin de meubles, dans un appartement pittoresque où se trouve le bureau de ENM avocat, la pratique solo d’Esthel Née.
Elle nous accueille en nous servant de l’eau dans une tasse, avec vue sur des dossiers étalés, un casque de vélo, une banane et un code civil.
Pas nécessairement l’accueil qu’on attendait d’une ex-prétendante Miss France.
« C’est pour ça que j’étais réticente à parler de mon expérience, avoue-t-elle. Nous sommes dans un monde où l’on se permet de tout commenter. Je ne veux pas qu’on m’imagine comme une fille superficielle, parce que l’image qu’on se fait et la réalité sont deux choses différentes. »
Malgré sa réticence initiale, Me Née accepte de tout nous dévoiler.
Avant de participer à Miss France, elle avoue n’avoir jamais regardé la compétition à la télévision.
« Il y en a pour qui c’est une passion, qui ont toujours voulu faire ça, mais moi, ça n’a jamais été mon truc. Les trucs girly, sans vouloir être péjorative, ça ne m’a jamais intéressée », indique-t-elle, en haussant les épaules.
En fait, c’est sa famille qui lui a suggéré de participer à la compétition de Miss Mayotte (Miss Mayotte est un concours de beauté féminine, concernant les jeunes femmes de l'île de Mayotte), qui, contrairement à ses attentes, l’emmena jusqu’à Miss France.
Avec un peu d’insistance, l’organisatrice de la compétition de Miss Mayotte la convainc, en lui vantant notamment les hôtels luxueux et les cadeaux auxquels elle aurait droit pendant la semaine de participation.
Un dénouement inattendu
« Et là, l’élection se fait, et je suis élue. C’était la fête, vraiment génial… mais quand j’ai appris que je devais aller à Miss France, ç’a été du stress », raconte-t-elle, en changeant de ton.
Effectivement, l’ampleur de la compétition n’était pas la même. Au menu, un mois loin de la famille, des voyages et surtout, des pratiques.
« Le dévoilement des Miss France dure tout de même trois heures, alors il fallait se préparer », lance-t-elle en riant.
Le hic, c’est que le type de chorégraphies demandées est loin d’être la tasse de thé de notre prétendante Miss France improvisée…
« C’était une catastrophe! Il me fallait des heures de pratique pour arriver à quelque chose de regardable », se remémore-t-elle avec le sourire.
Néanmoins, tout se déroule sans anicroche. Me Née obtient la mention de troisième dauphine de Miss France, donc, la quatrième position. Un résultat qui lui convient parfaitement, dix ans plus tard.
« Ce n’est pas que je n’avais pas envie de gagner… mais ça ne me correspondait pas et ne cadrait pas à mes études en droit. J’avais déjà manqué un mois et demi d’école, et là, il aurait fallu que je parte pendant un an », explique-t-elle.
Alors, l’expérience s’est bien déroulée et la principale intéressée en garde de bons souvenirs. On réitère: pourquoi n’était-elle pas encline à discuter de son expérience?
« Parfois, les gens peuvent se permettre des commentaires. Ils se disent que parce que j’ai fait Miss, il peuvent parler de mon physique, chose qu’ils ne feraient pas forcément. Je ne comprend pas pourquoi cela est pris en compte quand on parle à quelqu’un », se questionne-t-elle.
D’autant plus que désormais, elle a une réputation professionnelle à préserver, en tant qu’avocate débutante.
« Je ne renie pas ce qui s’est passé, c’était une belle expérience. Mais maintenant, je pense que j’ai beaucoup plus à apporter que cela », s’enthousiasme-t-elle.
De longues études
Eh oui, il ne faut pas l’oublier, Esthel Née est désormais avocate. Même si initialement, ce n’est pas pour cette raison qu’elle a décidé d’entamer des études en droit, à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV.
Ce qu’elle voulait, c'était d’allier ses passions pour l’art et le droit en devenant commissaire-priseuse, et donc, diriger des ventes d’oeuvres d’art. Mais au fil de ses études en droit, la Tunisienne d’origine a changé d’avis.
Son désir de voyager l’a amené à l’University of Kent, via un programme spécial où elle a aussi obtenu une certification en Common Law, puis finalement au Québec.
Arrivée ici, les études l’attendaient à nouveau, puisqu’elle souhaitait obtenir ses équivalences pour pratiquer le droit à l’Université de Montréal.
« J’ai manqué les trois premières semaines de cours, alors les professeurs voulaient que je retarde mes débuts scolaires. J’ai insisté, et finalement, j’ai passé tous mes cours », raconte-elle, en s'avançant dans sa chaise.
Comme les études viennent avec des frais, et qu’elle n’avait toujours pas eu la chance de travailler en droit à temps plein, l’étudiante fait tout en son pouvoir pour terminer ses cours le plus rapidement possible. Elle obtient même une dérogation pour compléter huit cours à sa dernière session, puis fait l’école du Barreau en quatre mois!
Alors, après près de six ans d’études, quelle a été sa réaction lors de son assermentation?
« Oh mon dieu! s’exclame-t-elle. C’était un réel soulagement. »
Avec recul, l’avocate s’avoue très reconnaissante d’avoir eu l’occasion de suivre son parcours juridique au Québec.
« L’opportunité offerte aux gens ici est incroyable, lance celle qui a travaillé chez CMKZ Avocats pendant ses études. Il faut être réaliste, je n’avais pas de connaissance du droit ici ni de références culturelles, et on m’a donné ma chance tout de même. »
Maintenant avocate
Une fois assermentée, l’avocate a oeuvré pendant plus de deux ans chez SSP avocats avant de lancer son cabinet, par désir d’autonomie. Elle conserve tout de même une bonne relation avec son mentor du cabinet, Me Pierre Séguin.
Pour l’instant, elle souhaite conserver une pratique assez généraliste, qui lui permet de plaider et de faire de la médiation.
« J’aime apprendre de nouvelles choses, me creuser la tête pour développer de nouvelles connaissances et ma pratique me permet de le faire. Après tout, je ne suis qu’un bébé avocat! » image la Barreau 2015 en souriant.
L’entrevue tire à sa fin. Et pourtant, Me Née se pose toujours la même question.
« Sincèrement, je ne trouve pas mon parcours intéressant. Pourquoi vouliez-vous écrire un article à mon sujet? », demande-t-elle à nouveau.
Parce qu’on doute qu’il y ait plusieurs avocates tunisiennes à avoir participé à une compétition télévisuelle d’envergure, étudié dans trois pays, demandé des dérogations pour finir ses études plus rapidement, et lancé son cabinet, au Québec.
Ce n’est pas rien!