Propos sur la Jvstice

Cible et policiers

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Alain-Robert Nadeau

2009-06-16 14:15:00

Vendredi dernier, le juge Paul-Marcel Bellevance a rejeté la poursuite de 190 000 $ qu'avait intenté Pierre-Hugues Boisvenu contre la Ville de Sherbrooke et son service de police.
On se rappellera que Julie Boisvenu, la fille du demandeur, a été assassinée le 22 juin 2002. Celle-ci a été kidnappée, séquestrée, abusée sexuellement, puis étranglée et abandonnée sur la voie publique. Son agresseur, Hugo Bernier, un récidiviste en probation avait pourtant été condamné pour une autre agression sexuelle qu’il avait commise moins de deux ans auparavant. Bien qu’il ait été condamné à 18 mois d’emprisonnement pour ce viol, Hugo Bernier n’a purgé que le sixième de sa peine et il a été remis en liberté après trois mois d’incarcération. Trois mois d’incarcération pour avoir séquestré et abusé sexuellement une femme pendant plus de quatre heures !

Les prétentions des parties

Le père de la victime, qui est devenu depuis un militant pour défendre les droits des victimes d’acte criminel, Pierre-Hugues Boisvenu, tenait les autorités responsables du meurtre de sa fille. En outre, il reprochait aux policiers de ne pas avoir poussé plus loin leur enquête lorsqu'ils ont interpellé Hugo Bernier dans les heures qui ont précédé le drame. Les policiers n'auraient pas bien vérifié l'identité d'Hugo Bernier, qui disait alors s'appeler Lucas Bernier. En revanche, la Ville de Sherbrooke et son service de police faisaient valoir que les policiers ont des pouvoirs limités, notamment par la Charte des droits et libertés, la Charte des droits et libertés de la personne ainsi que par le Code de déontologie des policiers.

Le jugement

Dans son jugement, le juge Bellavance conclut que les policiers sherbrookois ont bien fait leur travail et qu'il n'est pas possible de demander à quiconque de prévoir l'imprévisible. Il a raison. Bien qu’il en saurait faire de doute que les policiers ne sont pas à l’abri de la responsabilité délictuelle, tant en droit civil qu’en common law, leurs actes doivent cependant être appréciés selon la norme du policier raisonnable placé dans la même situation. Il s’agit d’une norme souple valant pour tous les aspects du travail d’enquête du policier. Il peut être tenu responsable du préjudice causé à un citoyen s’il ne satisfait pas à cette norme. Le policier peut, sans enfreindre la norme, commettre des erreurs ou des écarts de jugement mineurs. L’existence d’une cause d’action pour enquête policière négligente repose sur la preuve d’un préjudice indemnisable et d’un lien de causalité avec l’inobservation de la norme de diligence applicable à son bénéfice.

Selon Pierre-Hugues, le juge Bellevance a omis de considérer l'aspect préventif qui compose le travail des policiers. « Tout l'aspect prévention ne fait pas partie de son jugement. Ça, ça me déçoit beaucoup. Le jugement ne nous déçoit pas parce qu'on l'a perdu. Il nous déçoit parce que l'attitude du juge par rapport à cet événement m'apparaît complaisante. » Il se demande aussi s’il interjettera appel du jugement. Il ne devrait pas.

Les limites aux pouvoirs des policiers

Au Canada, les pouvoirs des policiers sont limités. Rien de comparable à la Tunisie où les policiers, équipés de mitraillettes, interceptent les véhicules automobiles et examinent l’habitacle et le coffre arrière, après avoir posé de nombreuses questions aux conducteurs relativement à ses allées et venues. Je dois admettre, ayant vécu cette scène récemment, avoir été abasourdi de cette permissivité octroyée aux policiers tunisiens et me réjouir de la limitation qui est faite aux pouvoirs des policiers canadiens et québécois.

Ainsi, contrairement à la Tunisie – et aussi de la plupart des pays de l’Europe continentale – il n’y a pas de contrôle d’identité au Canada. Un policier ne peut détenir un individu et lui demander de s’identifier que dans trois cas. Premièrement, il le voit commettre une infraction criminelle. Deuxièmement, il a des motifs raisonnables de croire qu’il a commis un acte criminel. Troisièmement, il procède à l’interception d’un véhicule automobile. Dans ce dernier cas, le policier pourra vérifier l’identité et la sobriété du conducteur ainsi que l’enregistrement et la preuve d’assurance du véhicule intercepté.

Ces vérifications, sous réserve de la vérification de la sobriété du conducteur, sont de nature essentiellement administrative et doivent viser l’application du Code de la sécurité routière et non à débusquer des agresseurs sexuels récidivistes en liberté. Comme le mentionnait si justement Montesquieu, dans L’esprit des lois (1748), « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». C’est le prix de la liberté.

Paradoxalement, et cela bien que je puisse avoir de la compassion pour le malheur vécu par la famille Boisvenu, j’estime qu’en poursuivant la Ville de Sherbrooke et son service de police, Pierre-Huges Boisvenu s’est trompé de cible. M’est avis que le comportement de la Commission québécoise des libérations conditionnelles – qui a remis en liberté un individu qui avait séquestré et abusé sexuellement une femme pendant plus de quatre heures après trois mois d’incarcération – est fichtrement plus blâmable.
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5 commentaires
  1. vélo
    Quelque chose d'étonnant...
    J'ai toujours cru que la police pouvait contrôler l'identité de n'importe qui, à n'importe quel moment... Il y a quelques semaines, je me suis fait arrêter en vélo par des policiers patrouilleurs de la ville de Québec. Ils ont demandé mes cartes, m'ont interrogé sur mes allés et venus, m'ont questionnés sur divers sujets... Ils n'avaient aucune raison valable de faire cela. Ils ont également fouillé mon sac à dos. Si je comprends bien ce qui est écrit dans l'article qui précède, ils n'avaient pas ce droit. En fait de quel droit est-ce qu'il s'agit ?

  2. Me
    Me
    > J'ai toujours cru que la police pouvait contrôler l'identité de n'importe qui, à n'importe quel moment... Il y a quelques semaines, je me suis fait arrêter en vélo par des policiers patrouilleurs de la ville de Québec. Ils ont demandé mes cartes, m'ont interrogé sur mes allés et venus, m'ont questionnés sur divers sujets... Ils n'avaient aucune raison valable de faire cela. Ils ont également fouillé mon sac à dos. Si je comprends bien ce qui est écrit dans l'article qui précède, ils n'avaient pas ce droit. En fait de quel droit est-ce qu'il s'agit ?


    Si tu dis qu'on t'a fait trois choses distinctes, es-tu sur que tu peux tout ramener cela à "un seul droit" ? :) Les choses sont plus compliqués que cela...

  3. badge
    Re : Me

    > Si tu dis qu'on t'a fait trois choses distinctes, es-tu sur que tu peux tout ramener cela à "un seul droit" ? :) Les choses sont plus compliqués que cela...

    Je crois que tu as raison, il faut un droit pour chaque chose ;) C'est plus simple comme ça...

    La Police ne peut pas te fouiller, ni même t'arrêter dans la rue sans un motif raisonnable et elle doit t'informer de ce motif avant quoi que ce soit. Si non tu peux aller à la déontologie. Ce n'est pas la même chose si tu es en voiture, là, ils ont le droit de t'arrêter et de regarder partout à l'intérieur de ta voiture.

  4. Me
    Me
    >>> Ce n'est pas la même chose si tu es en voiture, là, ils ont le droit de t'arrêter et de regarder partout à l'intérieur de ta voiture.

    Faux. Ils ont le droit de t'arrêter même sans motif raisonnable et vérifier ton identité, l'état du véhicule, etc. Mais n'ont pas le droit de fouiller partout (exemple: bagages).

    • badge
      Re : Me
      > >>> Ce n'est pas la même chose si tu es en voiture, là, ils ont le droit de t'arrêter et de regarder partout à l'intérieur de ta voiture.
      >
      > Faux. Ils ont le droit de t'arrêter même sans motif raisonnable et vérifier ton identité, l'état du véhicule, etc. Mais n'ont pas le droit de fouiller partout (exemple: bagages).

      FAUX : Regarder ne signifie pas fouiller. Les policiers peuvent te demander d'ouvrir le coffre de ta voiture pour voir ce qu'il contient.

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