Propos sur la Jvstice

Ordures et vie privée

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Alain-Robert Nadeau

2009-05-19 10:15:00

Peut-on raisonnablement s'attendre à ce que nos ordures ne fassent pas l'objet de fouilles par les policiers afin qu’ils y recueillent des éléments de preuve ? Les policiers peuvent-ils s’emparer des ordures d’un individu qui se trouvent dans son jardin ?
La Cour suprême du Canada a répondu par la négative à la première question et par l’affirmative à la seconde. Dans l’arrêt R. c. Patrick, rendu le 9 avril dernier, la Cour a statué à l'unanimité qu'un citoyen n’a aucune attente en matière de vie privée relativement à ses ordures, et cela même si celles-ci se trouvent dans son jardin et non en bordure de la chaussée !

Si elle ne saurait surprendre, cette décision à de quoi étonner puisque qu’elle ne semble pas s’enraciner dans les principes judiciaires antérieurement établis, d’une part, et qu’elle omet de reconnaître que les ordures sont des témoins ne nos habitudes de vie.

La diversité et l'importance des renseignements personnels que l'on retrouve dans les sacs à ordures sont considérables. À titre d'illustration, voici ce qui est susceptible de se retrouver dans un sac à ordures : des bouteilles de médicaments (qui révèlent l'état de santé ou la condition médicale), des reçus de cartes de crédit (susceptibles de permettre leur utilisation frauduleuse), des lettres personnelles (susceptibles de révéler des renseignements d'ordre financier, politique, religieux ou amoureux), des factures de téléphone (qui révèlent les relations personnelles), des relevés bancaires (qui révèlent le niveau socioéconomique), des boîtes de condoms, de contraceptifs ou de spermicide (qui révèlent la nature des activités sexuelles) ou des contenants vides de vin ou d'alcool (pouvant attiser l'opprobre des bien-pensants de la communauté), etc.

Les agences de mise en application de la loi ont bien compris l'importance des renseignements que recèlent les sacs à ordures puisque, tant pour les policiers que pour les espions, la fouille des ordures constitue l'une des techniques d'enquête les plus couramment utilisées. Aux États-Unis, les cours d'appel de cinq États (Californie, New Jersey, Hawaii, Washington, Vermont) ont jugé que l'ouverture, la fouille et la saisie d'objets se retrouvant dans des sacs à ordures étaient inconstitutionnelles.

La Cour suprême des États-Unis en est cependant arrivée à la conclusion contraire. Ainsi, dans l'arrêt Greenwood (1988), elle a statué que les ordures placées sur la voie publique ne bénéficient d'aucune protection constitutionnelle puisque, en les y abandonnant, l'individu a implicitement renoncé à son droit à la vie privée.

Dix ans plus tard, la Cour suprême du Canada adopte le même principe judiciaire, l’étendant même aux ordures qui se trouvent sur les terrains privés !

Au début des années 70, un journaliste d'un journal à sensation avait épluché les sacs à ordures d'Henry Kissinger, alors secrétaire d'État des États-Unis, et avait publié subséquemment la liste des objets qu'il y avait retrouvés. Le New York Times et le Washington Post s'étaient indignés, dans leur éditorial respectif, que l'on puisse ainsi s'attaquer impunément à la vie privée des gens.

Devons-nous attendre qu'un cousin canadien perce les sacs de Jean Charest ou de Stephen Harper avant que l'on ne se rende compte de l'importance de préserver le droit à la vie privée des individus ?


- L’auteur est avocat et docteur en droit constitutionnel et correspondant à la Cour suprême du Canada. Suivez ses propos sur l’actualité juridique à http://twitter.com/Jvstice.


Pour en connaître davantage :

R. c. Henry, 2009 CSC 17 (9 avril 2009)
http://scc.lexum.umontreal.ca/fr/2009/2009csc17/2009csc17.html (CSC)

California c. Greewood (1988) (en anglais)
http://www.oyez.org/cases/1980-1989/1987/1987_86_684 (Oyez)
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