Détermination de la peine dans les affaires de cartels : Le Bureau de la concurrence publie son projet de bulletin d’information

Osler
2008-05-12 06:30:00
Le Bureau souhaite encourager le règlement rapide de cas d’infraction en accordant un traitement de clémence, soit une amende réduite de 50 % et aucune sanction, à la première personne à s’adresser au Bureau et une réduction moindre aux personnes qui se présenteront par la suite. Les personnes qui demandent un traitement de clémence seront tenues de fournir tous les renseignements demandés et leur pleine collaboration à défaut de quoi elles pourraient ne pas y être admissibles.
Bien qu’il subsiste des zones grises, le Bulletin constitue un pas dans la bonne direction puisqu’il permet une meilleure prévisibilité et transparence dans la résolution des infractions criminelles les plus importantes. Les commentaires du public seront acceptés jusqu’au 25 juillet.
Comme il est indiqué dans l’Actualités Osler du 15 octobre 2007 intitulé « La révision du Programme d’immunité du Bureau de la concurrence apporte des éclaircissements pour les demandeurs », les sociétés qui découvrent des activités potentiellement criminelles au sein de leur entreprise peuvent avoir intérêt à prendre les devants et à en informer le Bureau.
Le Programme d’immunité s’adresse aux personnes qui sont en première ligne et qui bénéficieront de l’immunité complète tant pour l’entreprise que pour les personnes qui collaborent à l’enquête. Le projet de Bulletin d’information traite des situations où des entités qui ne seraient pas les premières personnes à s’adresser au Bureau voudraient néanmoins réduire au minimum leur exposition aux sanctions sévères prévues aux termes de la Loi sur la concurrence canadienne, lesquelles pourraient consister en des amendes de plusieurs millions de dollars et des peines d’emprisonnement pour les dirigeants.
Les « cartels ayant enfreint la loi » couverts par ce programme sont ceux qui ont commis les crimes standard de complot, et ceux qui ont contrevenu aux dispositions relatives aux directives étrangères et à l’interdiction de trucage des offres prévus aux termes de la Loi sur la concurrence (la « Loi »).
Le Bulletin d’information ne lie pas le DPP
Le Bulletin n’est que le projet d’une politique du Bureau et il ne vise pas à lier le directeur des poursuites pénales (DPP) du Service des poursuites pénales du Canada. Cet organisme indépendant est seul autorisé à intenter des poursuites criminelles au niveau fédéral. Bien que le Bureau aura certainement consulté le DPP dans le cadre de la préparation de son Bulletin, il n’est pas certain que le DPP adoptera officiellement les principes et pratiques qui y sont énoncés. Cela est un facteur important, étant donné que les procureurs ont actuellement une grande latitude dans l’administration du système de justice pénale.
Bien qu’ils soient tenus de tenir compte des avis et des positions de principe des organismes de réglementation avec lesquels ils travaillent, les procureurs prennent néanmoins leurs décisions au cas par cas. Le Bulletin mentionne également que les tribunaux ne sont évidemment pas liés par la politique du Bureau ou même par une recommandation conjointe en matière de détermination de la peine faite par le DPP et le conseiller juridique d’une partie accusée, bien que les tribunaux canadiens rejettent rarement celle ci.
Détermination de la peine
La démarche du Bureau en matière de détermination de la peine repose sur le principe selon lequel le préjudice économique découlant d’un cartel devrait servir à établir les amendes. Le Bureau s’appuie sur les « coûts supplémentaires » qui sont définis comme « … le montant que les consommateurs versent en plus de celui qu’ils auraient payé en l’absence du cartel. ».
Faisant remarquer qu’il peut être difficile de quantifier le préjudice économique découlant effectivement du comportement collusoire, le Bureau utilise habituellement un « indice » pour le calcul des amendes. Ensuite, il propose une formule de détermination de la peine qui est le volume du commerce au Canada (VCC) qui est touché par l’activité en cause, multiplié par un facteur de « coûts supplémentaires ». Le VCC est défini comme la valeur des ventes du produit qui a fait l’objet de l’entente anti concurrentielle au Canada pendant la période au cours de laquelle la partie a participé à l’infraction.
Le Bulletin mentionne que lorsque des parties participent à un cartel par omission (c. à d. en ne participant pas directement à un marché donné ou en refusant de participer à un marché donné), le VCC d’autres participants du cartel peut être considéré comme le facteur de préjudice économique pour le calcul de l’amende.
Fait intéressant, le Bureau mentionne que « dans la plupart des cas », il suffira d’inclure les ventes directes au Canada pour déterminer le VCC; toutefois, il mentionne (peut être par provocation) qu’il peut être parfois utile d’inclure les ventes indirectes « afin de connaître l’ampleur véritable de l’infraction au Canada ».
Le Bureau pose comme principe l’utilisation d’un multiple standard de coûts supplémentaires de 20 % et s’appuie sur les lignes directrices en matière de détermination de la peine des États Unis comme point de référence pour ce seuil. Le Bureau peut appliquer un pourcentage rajusté qui est davantage représentatif du montant des coûts supplémentaires lorsqu’il estime que l’indice de 20 % serait sensiblement supérieur ou inférieur au préjudice causé à l’économie canadienne par le cartel.
Établissement des amendes
Le Bureau énonce diverses circonstances aggravantes et atténuantes dont il propose qu’on tienne compte pour établir l’amende définitive. Parmi les facteurs aggravants, mentionnons les suivants :
• récidive;
• coercition ou instigation;
• taille importante de l’entreprise ou de la part du marché;
• degré de planification, de dissimulation et de complexité de l’activité collusoire;
• entrave;
• longue durée de l’activité illégale;
• type de victime (personnes vulnérables ou organisme gouvernemental/public);
• degré élevé de participation des cadres supérieurs.
Pour équilibrer ces considérations, le Bureau tiendra compte des facteurs atténuants suivants :
• coopération avec les autorités;
• acceptation de la responsabilité;
• restitution aux victimes.
Le Bulletin mentionne également la possibilité d’imposer des ordonnances d’interdiction (autorisées aux termes de l’article 34 de la Loi) qui pourraient comprendre des prescriptions exigeant la prise de mesures positives, par exemple la mise en œuvre d’un programme de conformité d’entreprise ou la mention aux clients de la présence d’une ordonnance d’interdiction.
Le Bureau fait remarquer que les sanctions pénales auxquelles sont exposés les individus qui se livrent à un comportement collusoire constituent un moyen de dissuasion important. À cet égard, le Bulletin mentionne le fait de savoir si l’individu a personnellement tiré profit de l’infraction ou s’il a été puni dans une autre juridiction ou d’une autre façon pour sa participation à cette activité collusoire.
Le Bureau fait remarquer que l’emprisonnement ne sera vraisemblablement recommandé que dans le cas des infractions plus graves, lorsque la présence d’au moins un facteur aggravant donne à penser qu’une peine plus lourde est appropriée, par exemple lorsqu’un individu a été le principal instigateur ou le dirigeant du cartel, qu’il a utilisé la contrainte ou qu’il a surveillé d’autres participants et les a encouragés à se conformer à l’arrangement illégal, qu’il a entravé la tenue de l’enquête ou qu’il a tiré personnellement profit de la conduite illégale. Toutefois, lorsque des « facteurs atténuants » peuvent être plus persuasifs, l’emprisonnement ne sera pas normalement recommandé.
Conditions d’admissibilité
Pour qu’une personne se qualifie pour la clémence, le Bulletin stipule ce qui suit :
Le commissaire recommandera au DPP un traitement de clémence lorsque celui ci n’a pas encore déposé d’accusations contre une partie à une infraction en matière de cartel et que la partie en cause :
• a mis fin à sa participation à l’activité illégale;
• collabore pleinement lors de l’enquête du Bureau et des poursuites ultérieures intentées par le DPP; et
• admet qu’elle s’est livrée au comportement anticoncurrentiel pouvant constituer une infraction prévue à la Loi et accepte, en cas d’accusation portée par le DPP, de plaider coupable et d’être condamnée relativement à sa participation à l’activité illégale.
Pour ce qui est des facteurs devant être considérés, le Bureau énonce qu’il tiendra compte de la rapidité avec laquelle la partie collabore avec le Bureau (selon le moment où la collaboration commence réellement), de la valeur de la preuve, et du fait que le demandeur peut ou non fournir des preuves d’autres activités collusoires non reliées.
Réduction de la peine standard
Le Bulletin indique que si le demandeur satisfait aux exigences du programme, le Bureau peut recommander une réduction « allant jusqu’à 50 % de l’amende qui aurait par ailleurs été recommandée », et recommander qu’aucune accusation distincte ne soit portée contre les administrateurs, dirigeants ou employés actuels de l’organisation, pourvu que ces personnes acceptent de collaborer lors de l’enquête du Bureau. Des exceptions s’appliquent lorsque la preuve démontre que l’individu a exercé une contrainte à l’endroit d’autres participants à l’infraction, qu’il est mêlé à d’autres infractions en matière de cartel ou qu’il a agi de manière à entraver la tenue de l’enquête.
Les parties qui demandent subséquemment la clémence peuvent être admissibles à des réductions allant jusqu’à 30 % de l’amende qui aurait par ailleurs été recommandée; toutefois, le commissaire peut envisager un taux de réduction supérieur pour les parties dont la preuve a une « valeur exceptionnelle » (c. à d. une valeur supérieure à celle du premier demandeur). Les individus peuvent être admissibles à la clémence s’ils respectent par ailleurs les exigences continues du programme, malgré le fait que l’organisation avec laquelle ils sont liés ne satisfait pas au critère du traitement de clémence.
Procédure relative à la clémence
Pour obtenir la clémence, une partie doit faire une demande auprès du Sous-commissaire principal de la concurrence, après quoi le Bureau demande à la partie en question de fournir une « présentation de l’information sous toutes réserves », comportant une description détaillée de l’activité anticoncurrentielle pour laquelle la clémence est sollicitée et de ses effets au Canada. Cette procédure reflète le processus de demande d’immunité et nécessite le dépôt de la présentation de l’information dans un délai de 30 jours « ou parfois dans un délai plus court ».
Le Bureau garde ces demandes confidentielles. La présentation de l’information doit comprendre une description détaillée de l’activité anticoncurrentielle, notamment les éléments de preuve ou le témoignage qu’un témoin potentiel peut offrir, la nature de tous les documents que le demandeur peut fournir au cours de l’enquête et des poursuites subséquentes et la force probante qui est susceptible de leur être attribuée. À cet égard, le Bureau peut demander une entrevue avec un ou plusieurs témoins afin d’évaluer la demande.
Une fois son évaluation réalisée, le Bureau présentera au DPP un aperçu de la preuve à être fournie par les témoins; mais le Bulletin fait remarquer que le DPP conserve le pouvoir discrétionnaire de décider s’il suivra ou non la recommandation du Bureau. Le Bureau note également qu’un demandeur de clémence doit « fournir une divulgation complète, franche et sincère » de tous les renseignements et documents non privilégiés ou autres éléments qu’il a en sa possession, qui sont sous son contrôle ou auxquels il peut avoir accès, où qu’ils puissent se trouver, et qui sont reliés à la conduite anticoncurrentielle.
Le processus de divulgation doit habituellement avoir lieu durant une période de six mois. Les demandeurs ne doivent faire aucune déclaration fausse ou trompeuse à l’égard de faits importants, et les témoins doivent témoigner dans le cadre des procédures judiciaires définitives.
Le Bulletin fait valoir que la collaboration est un élément essentiel du programme. Si un demandeur ne respecte pas ses obligations, le Bureau le lui fera savoir et lui fournira une période de 14 jours pendant lesquels il pourra corriger la situation, à défaut de quoi la clémence peut être révoquée. Ici encore, cela est similaire au programme d’immunité.
Le Bureau présentera au DPP une recommandation finale en faveur d’un traitement de clémence si le demandeur se conforme à son obligation de coopérer, notamment en fournissant une divulgation intégrale, franche et sincère au sujet du comportement qui constitue l’infraction, et qu’il plaide coupable à celle ci.
Importance du Bulletin
La publication de ce Bulletin représente un fait nouveau intéressant dans la réglementation relativement aux activités de cartels par le Bureau. Le Bulletin vise à fournir des incitatifs aux parties qui participent à des enquêtes sur des activités criminelles anticoncurrentielles pour qu’elles signalent leur conduite le plus rapidement possible, et offre un certain degré de prévisibilité et de transparence à ceux qui, pour une raison ou une autre, ne peuvent demander l’immunité et peuvent toutefois souhaiter envisager les pénalités réduites qui leur sont offertes au moyen d’une demande de clémence.
Toutefois, dans l’élaboration de sa politique, le Bureau doit clarifier et explorer un certain nombre de points, notamment les suivants :
• le DPP acceptera t il ultimement la politique et le cadre de procédure du Bureau en matière de clémence;
• le critère des « coûts supplémentaires » sera t il accepté par les tribunaux;
• les éléments subjectifs de la politique fonctionneront ils bien en pratique et s’assortiront ils d’une prévisibilité suffisante; et
• les preuves et les renseignements obtenus par le Bureau seront utilisés contre un demandeur si la demande de clémence est rejetée.
Le fait que le Bureau ait encouragé la consultation publique du projet de Bulletin d’information sera bien reçu. Cela permettra tant au Bureau qu’aux avocats d’avoir un dialogue sur la façon la plus appropriée d’assurer un système prévisible et transparent qui servira l’administration de la justice et fournira les incitatifs nécessaires aux parties pour qu’elles envisagent de demander la clémence.
Par Graham Reynolds, c.r. , associé chez Osler, a Toronto et membre groupe de la Loi sur la concurrence du cabinet.