Un avocat en droit social dénonce le Ministère
Anne Campagna
2013-09-24 15:00:00
Depuis qu’il a pignon sur rue à Montréal, Me Jimmy Lambert est témoin des souffrances vécues par certains de ses clients prestataires de l’aide sociale.
«Des prestataires dont les chèques ont été coupés arrivent dans mon bureau et m’annoncent qu’ils vont se suicider ! » raconte l'avocat. Une autre de ses clientes a dû être admise à l’hôpital psychiatrique en proie à un stress intolérable, terrorisée de se retrouver à la rue suite à la coupure de ses prestations.
On le sait, l’aide de dernier recours est destinée aux personnes démunies, parfois handicapées ou vivant avec des problèmes personnels graves ou de santé mentale.
Les fraudes : problème majeur
Chaque année, les fraudes au régime d'aide sociale coûtent très cher: environ 69 millions de dollars, sans compter les millions de dollars versés en trop, à la suite d’erreurs de bonne foi des prestataires. Le recouvrement de ses fonds devient donc une priorité ministérielle.
Quand un enquêteur se penche sur un dossier pour coincer un potentiel « fraudeur», l'avocat qui le représente a beaucoup de difficultés à obtenir la preuve du gouvernement, parce qu'il n'a pas l'obligation légale de la divulguer.
Elle ne sera totalement dévoilée que devant le Tribunal administratif du Québec pour respecter le droit à une défense pleine et entière du prestataire.
«Comment dire à mon client qui n'a plus de nourriture, que si je désire faire des représentations ou obtenir une copie de la preuve du Ministère, un délai de 30 jours pourra être ajouté à la demande de révision », s'interroge l'avocat.
«Ça devient quasiment impossible de contester parce que le client ne peut pas se permettre d'attendre. »
Cas de figure
Selon Me Lambert, certaines clauses de la loi sur l’aide aux personnes et aux familles sont sujettes à interprétation. « Pour déterminer si des gens font vie maritale, les critères s’appuient sur des faits comme " qui fait le lavage ou le ménage ! " affirme-t-il. La vie maritale est établie principalement sur la cohabitation et le secours mutuel. Si tu prépares le repas pour ton colocataire ou si tu fais son lavage, c'est du secours mutuel… ».
L’avocat donne l'exemple de deux clientes handicapées qui avaient décidé de cohabiter pour s'entraider. Chacune recevait un chèque d’aide sociale en tant que personne seule. Or, l'aide sociale a annulé leur prestation, et leur réclamait solidairement 25 000 $ en alléguant qu'elle faisaient vie maritale « parce qu'elles cohabitaient et s'entraidaient ».
Quand elles ont voulu contester cette décision, l’agent du centre local d’emploi leur a demandé de faire une nouvelle demande… à titre de conjointes ! Or, elles n'ont pas copie de la preuve des allégations du Ministère, mis à part un bail qu’elles ont signé en inscrivant "conjointes", sur indication du concierge alors que le statut de colocataire n'est pas prévu pour les HLM.
Me Lambert déplore le manque de jugement de certains agents. « Réclame-t-on 25 000 $ en menaçant d'annuler l'aide de dernier recours lorsque la seule preuve au dossier est un bail ?»
Après être allé en révision, l'avocat a fait annuler l’accusation de vie maritale des deux femmes… faute de preuve fournie par le Ministère.
Monsieur Christin témoigne
Quand le gouvernement annule les prestations, il annule en même temps le carnet de réclamations du bénéficiaire, explique l’avocat Jimmy Lambert. Il poursuit du même ton : « Si la personne a besoin de médicaments, elle peut devoir s'en passer, le temps que son dossier soit réglé. »
C'est le cas de monsieur Christin qui a besoin de cinq sortes de médicaments pour contrer sa dépression majeure. « Je suis devenu très agressif, je voulais me suicider, je voulais tuer. Je prenais ces médicaments depuis un an et demi », témoigne-t-il.
Des délais non respectés
«En octobre 2011, le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale réclamait 24 000 $ à monsieur Lapointe en raison de « gains, revenus avantages divers » sans aucune preuve jointe à l’envoi. Le prestataire s’est vu couper son chèque sans même pouvoir s’y opposer.
Il s’est retrouvé avec 274 $ par mois pour vivre, précise Me Lambert. Pourtant, l’avocat qui avait le dossier du client à ce moment-là, avait fait une demande de révision du dossier au Ministère, qui n'a répondu qu’un an plus tard, alors que le délai légal est de 10 jours !
«Dans plusieurs de mes dossiers, le gouvernement ne respecte pas les délais. Pourtant la loi est claire à ce sujet », explique l'avocat.
Mais le pire dans tout ça, c'est que le centre local d’emploi n’appliquera pas la décision révisée qui rétablie rétroactivement le droit à la pleine prestation. «Ce n’est pas écrit dans la loi que le centre local d’emploi doit obéir aux décisions des réviseurs, mais pourquoi alors créer un pallier de révision sinon pour que les décisions soient prises en considération? » se demande Me Lambert.
Pour finir, les bénéficiaires qui se disent victimes d'injustice ne peuvent poursuivre le Ministère en raison du principe de l'immunité. En effet, le Ministère ne peut être inquiété que s'il commet une faute lourde et intentionnelle, mais pas quand il agit dans le cadre de son pouvoir.
C'est le cas de le dire, Me Lambert ne manquera jamais de travail...