Ils ont terminé leur Barreau en pleine pandémie
Camille Laurin-desjardins
2020-08-25 15:00:00
Droit-inc a parlé à de nombreux futurs juristes qui viennent de terminer leur formation à l’École du Barreau. On s'en doute, les derniers mois ont été remplis d’inquiétude et de rebondissements pour eux.
D’abord, il y a eu l’incertitude par rapport au reste de leur session, puis le cafouillage du webinaire surchargé pour tous les étudiants de l’École du Barreau, et ensuite les problèmes techniques de l’examen en ligne. Enfin, les nouveaux finissants devaient se trouver un stage en pleine pandémie, alors que les offres ne pleuvent pas...
Plusieurs d’entre eux qui n’arrivaient pas à se trouver un stage – ou qui étaient dans tous leurs états, parce qu’il avait été annulé – n’ont pas voulu parler à visage découvert, de crainte que cela leur nuise dans leurs recherches.
Trois jeunes finissants du Barreau ont accepté de partager leur expérience avec Droit-inc.
Anthoni Daoust : le calme après la tempête
Le 11 juin, lorsqu’il a su qu’il avait réussi l’examen du Barreau, Anthoni Daoust a recommencé à vivre, lance-t-il, un peu à la blague.
Les mois précédents avaient été très anxiogènes. Déjà que l’examen du Barreau le stressait énormément, le contexte de pandémie en a rajouté une couche.
Titulaire d’un baccalauréat en droit de l’Université de Sherbrooke, le jeune homme qui vit à Coteau-du-Lac travaille actuellement chez Hydro-Québec (dans un domaine qui n’est pas relié au droit). Il vient de célébrer son trentième anniversaire.
Il a trouvé très difficile de se préparer à l’examen sans avoir d’encadrement. Après une tentative de webinaire qui ne s’est pas très bien déroulée (puisque tous les étudiants des quatre écoles se retrouvaient en même temps sur la même plateforme), et qui n’a donc pas été renouvelée, le Barreau leur a fourni une adresse courriel où envoyer leurs questions.
« On a été laissés à nous-mêmes », déplore Anthoni Daoust, même s’il dit comprendre que cette situation était du jamais vu pour l’École du Barreau.
Il avait tellement peur d’échouer son examen qu’il avait renouvelé son bail à Sherbrooke, au cas où il doit y retourner pour recommencer ses études. Il n’a pas dormi plus de deux heures par nuit pendant neuf jours consécutifs, avant de faire son examen.
Heureusement, il n’a pas connu de problème technique quant à l’enregistrement de ses réponses, pendant son examen.
Quand il a reçu ses résultats, Anthoni Daoust a enfin pu souffler. Il regarde les offres de stage, qui se font plutôt rares… mais il avoue qu’il n’est pas pressé, pour le moment. Il prend le temps de respirer, un peu.
« Je prends un petit break mental, parce que tout ça a été une charge extrêmement intense, pendant les derniers mois. »
Il affirme toutefois avoir extrêmement hâte de faire ses débuts dans le métier. Il est attiré par le droit criminel et pénal, ainsi que pour tout ce qui touche la finance – il a d’ailleurs un diplôme de premier cycle en la matière.
« Si j’avais un endroit à choisir, ce serait l’Autorité des marchés financiers! » lance-t-il.
Il a également un intérêt pour le droit du travail et la protection du consommateur.
Évidemment, la situation inquiète le Jeune Barreau de Montréal et l’Association des Jeunes Barreaux de régions, qui ont publié une lettre ouverte à ce sujet il y a quelques semaines.
« La crise sanitaire est plus difficile pour les jeunes », constate Me Mylène Lemieux, présidente du Jeune Barreau de Montréal, qui confirme recevoir beaucoup d’appels à ce sujet.
« Déjà en 2016, les statistiques que nous avions publiées étaient assez inquiétantes. Par rapport aux dix dernières années, on avait constaté que 25% moins de jeunes se trouvaient un stage avant de compléter leur formation à l’École du Barreau, et 12% moins de nouveaux avocats se faisaient offrir un emploi à l’endroit où ils avaient effectué leur stage. »
Elle encourage les avocats cumulant plus de dix ans de pratique à soutenir les nouveaux avocats, en leur servant de mentor, notamment.
Le JBM est d’ailleurs en train de colliger des données pour publier des états généraux pour les impacts de la COVID.
Giscard Tamas : une deuxième carrière
Ce père de famille de 44 ans a un parcours atypique. Après une première carrière en télécommunications, Giscard Tamas est retourné aux études à temps partiel, à l’âge de 38 ans, pour obtenir son baccalauréat en droit, à l’UQAM.
« Disons que j’ai eu une fin de formation laborieuse », lance-t-il, soulignant lui aussi que ses dernières semaines à l’École du Barreau se sont faites de façon assez autodidacte.
« C’était dur, c’était très stressant. On n’avait pas accès à grand chose en terme de soutien pédagogique. Et même entre collègues, on ne se voyait pas… On se créait des groupes sur Facebook pour se partager des questions et des trucs. »
Tout ça, pendant qu’il continuait à travailler à temps plein de la maison, et de s’occuper de ses deux enfants qui n’allaient plus à l’école. Seul point positif pour celui qui habite à Mirabel : il sauvait du temps de déplacement (et gagnait par conséquent du temps d’études), puisqu’il n’avait plus à se rendre à l’École du Barreau de Montréal.
Vers la fin mars, il a vu passer une annonce: Droit légal, un cabinet de Lachute, qui faisait déjà de la consultation à distance avec ses clients, cherchait un stagiaire. Il a posé sa candidature et a été rappelé une semaine plus tard. Il n’avait plus qu’à attendre de réussir son examen! Heureusement, comme le cabinet pratiquait déjà beaucoup à distance, il n’a pas été affecté par la pandémie.
Giscard Tamas a commencé son stage du Barreau chez Droit légal à la fin juin, et affirme que cela se passe très bien. Il traite de droit des affaires, d’incorporation, de contestation de contraventions… Même si la majorité des consultations se déroulent à distance, le stagiaire se rend tous les jours au bureau – par choix, précise-t-il.
« Je voulais vraiment m’imprégner du cabinet. »
Le futur avocat qui aimerait bien travailler en litige pourrait même le faire à ce bureau, si tout se passe bien.
« Je me trouve extrêmement chanceux, confie-t-il. Je sais que ce n’est pas le cas de certains de mes collègues, qui sont encore en recherche… »
« Je suis vraiment bien tombé, poursuit-il. Ce n’est pas loin de chez moi, et c’est génial. Ce n’est vraiment pas un cabinet typique, leur pratique est très différente… et c’est très actuel, ça correspond bien aux besoins des clients. »
Giscard Tamas aimerait aussi être avocat militaire à temps partiel, éventuellement, lui qui fait déjà partie de la réserve de l’armée canadienne.
Raphaëlle Sansfaçon : une avenue moins connue
Quand la pandémie a frappé le Québec et a forcé la fermeture d’à peu près tout, Raphaëlle Sansfaçon a eu peur de perdre son stage du Barreau, celui qu’elle avait trouvé un an auparavant.
En même temps qu’elle terminait son baccalauréat en droit à l’Université Laval, et qu’elle participait à la course aux stages, elle a posé sa candidature pour le « Parcours de relève de droit » offert par Desjardins Groupe d’assurances générales, qui comprend une série de stages rotatifs dans plusieurs départements.
Elle a donc obtenu un premier stage à l’été 2019… et a été rassurée d’apprendre que son stage du Barreau, chez Pelletier D’Amour, le contentieux de la compagnie d’assurances, tenait toujours. Elle a finalement commencé le 22 juin, un peu plus tard que prévu, après avoir réussi son examen du Barreau.
Elle se trouve très chanceuse, considérant que plusieurs de ses amis ont vu leur stage être suspendu.
Comme la jeune femme a déjà travaillé pour une autre compagnie d’assurances, pendant ses études, c’était un domaine qu’elle visait. Mais elle trouve dommage que, pendant son parcours étudiant, on n’ait pas vraiment abordé les possibilités d’emploi au sein d’un contentieux.
« Des fois, on a l’impression qu'on a juste deux choix, comme étudiant en droit : se diriger vers la pratique privée, en cabinet, ou vers le public », fait-elle remarquer.
Pourtant, la pratique en entreprise, particulièrement au sein d’un contentieux, possède de nombreux avantages, selon elle.
« Le quotidien, ça se ressemble beaucoup… c’est du litige. Mais l’ambiance de travail et la qualité de vie sont beaucoup mieux, je crois! »
Raphaëlle Sansfaçon se considère comme une jeune femme « ambitieuse », mais plusieurs aspects qui semblent faire partie de la vie en cabinet l’irritaient, lorsqu’elle était aux études. Elle considère que la pratique au sein d’un contentieux évite ces irritants : les heures facturées, les journées innombrables qui s’étirent jusqu’au soir...
Bien sûr, faire son stage à distance, c’est… « particulier », confie-t-elle.
La première semaine, elle s’est rendue au bureau, rencontrer sa superviseure de stage (à distance, bien sûr). Mais depuis, elle travaille de chez elle. Elle considère qu’elle a un très bon encadrement de sa supérieure, à qui elle parle par visioconférence chaque jour.
Mais évidemment, ces circonstances exceptionnelles font en sorte qu’elle ne se sera pas familiarisée avec plusieurs aspects du travail, comme les procédures qui se font par papier, normalement!
Ce qui lui manque le plus: la vie sociale professionnelle. Elle espère pouvoir retourner au bureau d’ici la fin de son stage, question de rencontrer ses collègues… Au moins, elle sait déjà qu’elle aura un emploi après son stage, mais elle ne sait pas encore dans quel département.