Avocate et non-voyante, c’est possible
Céline Gobert
2013-07-03 15:00:00
Son champ de vision est restreint à la taille du contour d’une paille de slush estivale, dit-elle.
Depuis un an, c’est de plus en plus flou. Dans moins de douze mois, elle ne sera plus capable de lire du tout.
« Ce sont des défis supplémentaires, cela pousse à aller de l’avant, à se dire : je ne m’arrête pas là. Cela donne la volonté de vouloir changer les choses, de défoncer les portes quand cela nous chante», confie à Droit-Inc Me Fugère.
À 19 ans, lorsqu’elle se lance dans un baccalauréat en relations internationales et droit international de l’UQAM, elle est animée par cette même volonté de combattre.
C’est d’ailleurs, en plus du côté pratico-pratique de la matière, ce qui l’attire le plus dans le droit : être utile à la société.
Après un passage au cabinet Ménard Martin comme étudiante, une parenthèse au Centre de développement professionnel et de placement en droit de l’UQAM et un stage chez Justice Canada, Me Fugère répond à une offre d’emploi sur l’École du Barreau.
Bingo ! Elle est choisie parmi tous les candidats. Ce sera direction Québec. Une ville qu’elle ne connaît pas bien. Un nouveau défi.
L’équilibre
Aujourd’hui, son travail à l’Assemblée Nationale consiste à écrire des projets de loi pour des groupes d’opposition, à traiter des demandes d’accès à l’information, s’occuper des contrats ou encore des licences de droit d’auteurs.
« Nous sommes proches du politique tout en étant neutres et apolitiques, et on travaille en lien avec les attachés politiques pour les projets de loi, c’est vraiment passionnant», déclare la juriste enthousiaste.
Pour l’aider, elle dispose de nombreux outils informatiques. Par exemple, l’avocate utilise une revue d’écran, un système de synthèse vocale où elle peut interagir avec l’ordinateur sans souris.
Ou encore une plage tactile qui lui permet de lire en braille ce qu’il y a d’écrit à l’écran et de corriger ainsi d’éventuelles fautes de frappe.
Entre son travail et ses loisirs- elle aime notamment le tandem, une bonne terrasse avec des amis, le plein air ou une randonnée avec son conjoint qu’elle a rencontré il y a dix ans- Me Fugère a trouvé l’équilibre parfait…
Préjugés
Bien sûr, ce n’est pas facile tous les jours. Bien sûr, certains préjugés ont la peau dure.
« Dans le milieu du droit, il y a des gens qui ne perçoivent pas bien comment on peut travailler tout en ayant une déficience visuelle.»
Mais la juriste n’a jamais perdu courage.
C’est ainsi qu’elle a obtenu son diplôme d’études secondaires avec plusieurs mentions d’excellence, dont la Médaille de l’Assemblée nationale.
En outre, son CV associatif impressionne : cofondatrice d’un comité étudiant de solidarité sociale, membre d’Amnistie internationale – Canada francophone, membre du conseil d’administration de l’Association des étudiants handicapés de l’UQAM (2009-2010), membre du Comité institutionnel pour l’intégration des étudiant(e)s en situation de handicap de l’UQAM, et membre du comité des usagers de l’Institut Nazareth & Louis-Braille depuis 2010.
« Nous évoluons, la société évolue…La plupart des non voyants ne sont pas des accordeurs de piano ! »
Ce qui l’énerve ? L’accessibilité des sites internet, parfois rendue bien ardue.
« Beaucoup de sites et de bases de données ne respectent pas les normes gouvernementales émises, dont les balises minimales qui permettent à ma synthèse vocale de bien fonctionner.»
Parmi eux, des sites gouvernementaux très importants pour la vie démocratique d’une société qui « n’ont pas encore intégré ces normes et qui ne leur donnent pas la priorité», dit-elle.
Et le site de Droit-Inc ?
« Vous n’êtes pas parfaits mais vous êtes bien meilleurs que de gros sites gouvernementaux !» lance-t-elle dans un éclat de rire.